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15. - nuit de sekaten - KHASTARA

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Le croissant et la croix.

Le gong retentissait déjà dans la cour de la Grande Mosquée.

Les gens quittaient tous leur maison pour se diriger en foule, tels des fourmis blanches, vers la grande place.

La fête de Sekatén l fait partie intégrante des traditions de Solo et de Djogdja; le nom serait dérivé de Sjahadatain, c'est-à-dire. les deux Sjahadat »2. Elle remonte à un lointain passé, au temps où les wali * répandaient l'Islam à Java. A l'origine, c'est à cette occasion que se déclaraient les nouveaux convertis qui lâchaient l'hindouisme du royaume Madjapahit, pour la religion nouvelle, qui, à partir du royaume de Demak, commençait à pénétrer dans Mataram '.

Le jour de cette fête tombe en même temps que celui de la naissance du Prophète. Son Excellence le Sultan de Djogdjakarta se rend alors de son palais à la Grande Mosquée, afin d'y entendre tous les docteurs, le penghulu * du palais à leur tête, chanter la naissance du Prophète, sur des rythmes très doux où se mêlent à la fois des influences arabes, hindoues et javanaises. Lorsque le souverain est entré, on tire le canon, et c'est le signe que la fête commence. Derrière

(1) Sekati ou Sekattn est le nom donn.! il. un g/lme/all particulier dont on joue dans les grandes oecasions. à Djogdjaknrta, à Solo et à Tjirebon. c·cst-à·dlre dans les villes oô. se trouvent encore des keratoll savoir des palais, avec les cjh!ments d'une cour). C'est aussi le .nom donné à la foire et atu Cestivitts multiples qui se déroulent sur la arande place (/llwH~lun, de chacune de ces trois villes, II. proximité du palais, lors. du • Garebeg Mulud " c'est-à-dire de la

f~te de la naissance du prophète Muhammad, le douzième jour du mois de Rabl'·a1 Awwal, à l'oceasion duquel le game/all, ci-dessus mentionné. est utilis.é.

(2) Sjalladat, ou témoignnge. est, en Islnm. le nom donné à la fonnule : .. Il n'y a de Dieu qu'Allah et Muhammad est son prophète _, qu'il suffit de prononcer, en nyant la roi, pour entrer dans la communauté musulmlUle. L'étymologie proposée par Hamka, de SekaUn par .. Sjahadatain _ e$t on ne peut plus sujette à caution.

(3) C'est, n!sum~e en une phrase, la façon dont on se représente généralement la péné- tration de l'Islam à Java. Les wali, personnages semi-légendaires, venus de l'Ouest (du Moyen·

Orient, d'Inde ou de Soumatra) se seraient installés dans quelques ports de la OOte septentrio- nalc de Java (xv< s.), y auraient orJanisé quelques petites cellules politiques (dont le Sultanat de Demak, au pied du Mont Muria), et à partir de là se seraient mis à lancer des aUaques de plus en plus violentes contre les descendants des souverains hindouistes de Madjapahlt, rtfugiés plus au Sud, dans ce qui restait de l'empire de Mataram (date traditionnelle de la chute de Madjapahit : 1478; apogée du Sultanat de Demalr. : XVI' s.).

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lui s'avancent, en bon ordre, les gardes du palais, en grande tenue, les uns portant des lances, d'autres des parasols d'apparat ou des oriflammes multicolores. A proximité du souverain sont les soldats d'élite, des Makasarais et des Bugis. qui depuis plus d'un siècle, de génération en génération, assurent la garde du palais.

Les paysans et les paysannes, venus de leurs villages reculés, se retrouvent là pour célébrer cette fête à laquelle, par devoir religieux, ils se sentent tenus d'assister; ils ont en plus le plaisir de pouvoir voir leur prince, qui ne quitte son palais qu'en de rares occasions.

Lors de ces Sekatén, que ce soit à Djogdja ou à Solo, on peut admirer le sens artistique très développé de ces gens de Mataram;

leurs kain 1< lurik', tout neufs, que dans les cours des fermes, les jeunes filles ont tissés en chantant des kinanti $; leurs délicats batik olt dont les motifs ont été tracés dans la maison de quelque patron, par des femmes plus âgées, qui imitaient le bruit du gamelan "' ...

Par la porte d'honneur du palais, sort une voiture, une calèche à deux chevaux avec deux cochers en livrée rouge; un noble y est assis en grand costume, son kens'" à la ceinture; à ses côtés se trouve son épouse, au chignon ravissant. C'est quelqu'un de la Cour qui veut faire un tour en ville avant de se rendre à la fête. De temps en temps, quelque fille du quartier arabe' passe d'un pas pressé, toute sérieuse, vêtue d'un kain long qu'elle a batiké de ses mains; une longue ceinture étroitement serrée accentue la finesse de sa taille; jusqu'à sa tête qui est recouverte d'un voile blanc. Colombe blanche, perdue dans un noir vol de corbeaux ...

Dans le tohu·bohu, les marchands offrent leurs produits à grands cris, bourdonnant comme un essaim d'abeilles qui changent de ruche.

Ici, les charlatans vendent leur élixir infaillible; à ce coin-ci, des vendeurs font l'article d'une certaine bière, à ce coin-là, un pèlerin vante les mérites de la religion musulmane; là-bas, c'est un soldat de l'Armée du Salut qui invite la foule à étudier l'~vangile.

Et dans la cour de la Grande Mosquée, le gong retentit toujours ...

(4) A la dllf~rence du kain baille, dont les motifs sont obtenus par le procédl!: de la teinture .. la ~el"Ye, le leain lurik est tissé directement avec des fils de couleurs différentes; les motifs se limitent ~n~ralemcnt Il des bandes longitudinales,

(S) Les pœmes javanais sont s~n~ralement faits pour être chantés; la prosodie javanaise oW:lt Il des lois très precises CI distingue plusieurs types de strophe, dont l'un porte le nom de kimmti. Il y a de m!me l'Asmarllndan4, le Dandllllg SUIIl, etc ... L'idte que les jeunes filles chaDtent des leiml1lll en tissant, el surtout j'idte que les vieilles femmes. imitent le bruit du pmtllln en batikant _, sont, il va sans dire, nte de l'imasination de Hamka; elles parth:ipenl 1 " vision. soumatranaise • CI un peu idyllique des choses de Java,

(6) Le KIlUItfDn, ou • quartier arabe • est situé au sud-ouest du palais de DJogdjakarta.

y habitent les • Arabes ., dont certains seulement sont effectivement originaires du Moyen·

Orient, mais qui tous protessent un "Islam tr~ strict. C'est dans ce quartier arabe que naquit, en 1168, Kjal Hadji Ahmad Dahlan. qui, en 1912, devait ~Ire à l'orisine de la crbtlon de la snnde association musulmane " Muhammadljah ., qui, en 1960, ne comptait pas moins de 498 filiales.

(3)

Parmi les jeunes gens, ·venus étudier à Djogdjakarta depuis qu'on y avait ouvert des écoles secondaires musulmanes, se trouvait Atma, né dans quelque village du Priangan 7. C'était la troisième année qu'il assistait à cette fête; mais des deux fois précédentes, il n'avait pas gardé de souvenir bien particulier. Cette fois-ci, elle devait laisser en lui une impression ineffaçable. Jusqu'alors, il n'avait guère eu à faire à ces mystères qui influent sur la vie d'un homme; il avait toujours gardé pleine confiance en lui-même.

Après avoir enfilé des vêtements fraîchement repassés, il sortit de chez lui et se dirigea, comme tout le monde, vers la grande place.

Il était très difficile de se frayer un chemin à travers la foule qui s'était massée des deux côtés de la rue, sans parler des véhicules qui étaient très nombreux, eux aussi. Ses habits allaient presque être trempés de sueur, quand il parvint au champ de foire; il se mit à déambuler au milieu des boutiques, pleines d'ustensiles et de jouets.

Sous un beringin * magnifique, si régulier que le feuiIlage avait l'air d'en avoir été taiIIé, il aperçut un attroupement; un membre de la communauté chrétienne de Java était en train de tenir un discours enflammé sur les péchés des hommes et la rédemption par le Christ;

il parIait aussi du diable et de sa façon de tromper les humains.

Atma ne s'intéressait pas au christianisme et ne voulait pas non plus apporter la contradiction, mais il s'approcha cependant, poussé par le désir de voir comment la conviction pouvait amener un homme à prêcher, sans se lasser, pour sa religion. L'orateur savait attirer l'attention de son auditoire et beaucoup étaient séduits par l'habileté avec laquelle il parIait le javanais poli '.

Soudain, alors que tout le monde écoutait et que Atma observait, on entendit un cri de femme qui montait du milieu de la foule.

Dans la bousculade, personne n'y prêta attention; seul Atma se fraya un chemin avec vigueur, afin de savoir la raison de ce cri, si cette femme avait été volée ou si on l'avait bousculée. Parvenu sur les lieux, il trouva une jeune fille, évanouie, par suite de la chaleur excessive et étendue sur le sol. Pas l'ombre d'un agent de police et les badauds se contentaient de regarder ...

(7) On donne le nom de Prhmgan à l'ensemble du massif montagneux qui constitue l'essen- tiel du pays soundanais (Java ouest); les Hollandais y avalent organ!s\! autrefois ce qu'ils appe- laient .. la rdgcnee des Prêanger _. Dans le toponyme • Per·iang-an _, on retrouve la base iang qui. en nousantarien, désigne toute manifcstation de la divinité. C'est celle même base que l'on retrouve dans un autre toponyme, celui de Dieng (où se trouve un cêl~bre ensemble de petits temples hindouistes). aiosi que dans \\//ljallg.

(&) La langue javanaise comporte, on le sait. plusieurs lIivCQux; e'est·à·dire que da.ns la

conversation, le vocabulaire et les tournures varient selon le rapport social, le degr~ de parent\!

ou d'intlmlt\! o:::dstant entre les interlocuteurs. et entre ceu.-.c·cI et les personnes dont ils parlent.

Ce ph\!nom~ne existe bien so.r dans toutes les langues, mals Il est tout spécialement d~veloppé

en javanais. ee qui a fait dire parfois, mais à tort, que le java.nais comportait c plusieurs la.n- gues -. Panni les .. niveaux de langue _ reconnus par les Javanais eux·mf;mes, deux surtout sont importants: le ngolro, que 1'00 peut traduire par .. langue de tutoiement _, et le kromo, que J'on peut traduire par langue polle _. Le vocabulaire de tutoiement sera employ\! entre amis ou entre camarades, ou encore par uo I*re vis--à·vIs de son fils ou par un suptricur vis-b.·vis d'un inf\!rieur. Le vocabulaire dit .. poli_ sera employê in\·ersement. pa.r le lils vis-t.·vis de son I*re ou par le domeslique vis·à·vis de son maUre.

(4)

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Atma sentit la colère monter en lui; comment tous ces gens qui étaient précisément en train d'écouter un sermon, pouvaient-ils rester indifférents et refuser de porter secours à leur semblable. Il eut tôt fait, poussé par la simple humanité, de s'approcher de la jeune fille, de tirer un petit flacon d'eau de Cologne de sa poche, d'en verser quelques gouttes sur son mouchoir et de lui en humecter le visage. Elle reprit conscience et il l'aida à se relever et à faire quelques pas. Elle titubait, comme si elle allait tomber à nouveau. Il la conduisit jusqu'à la grand'rue, la fit monter dans une calèche et la mena à l'hôpital qui se trouvait dans le quartier arabe. Après l'avoir remise entre les mains du docteur de service, il attendit encore une heure environ et finit par rentrer chez lui.

La jeune fille resta deux jours à l'hôpital et durant ce temps Atma vint lui rendre visite à plusieurs reprises, comme s'il avait tout oublié de la fête. Le grand jour s'était déroulé dans une atmosphère de joie, puis les gongs sacrés avaient été remisés dans le palais, on avait démonté les boutiques, et les balayeurs s'étaient mis à nettoyer les saletés qui jonchaient la grand'place. Pourtant Atma ne prêtait guère attention à tout cela; il ne pensait qu'à ses visites.

Quand le docteur lui eut donné l'autorisation de s'en aller, la jeune fille se prépara à rentrer chez elle. Devant la porte, elle retrouva Atma et lui dit :

« Le docteur m'a dit que c'est vous qui m'aviez amenée ici.

- Je n'ai fait que mon devoir.

- Je noublierai pas ce H devoir H. Si vous n'aviez pas été là, j'aurais pu rester longtemps au milieu de la foule et qui sait... je serais peut-être morte, faute d'être secourue. Je n'oublierai jamais votre bonté.

- Merci.

- Le docteur m'a permis de rentrer chez moi. Non, je n'oublierai jamais le service que vous m'avez rendu.

- Laissez-moi vous raccompagner, pour pouvoir dire que je vous ai aidée jusqu'au bout...

- Merci. Mais je pense que c'est inutile. Ce n'est pas que je ne veuille pas que vous me raccompagniez, mais je ne voudrais pas que vous ayez à le regretter.

- Le regretter? Et pour quelle raison?

- Vous comprendrez plus tard... »

Atrna restait devant l'hôpital, désemparé; c'était comme si tous ces espoirs s'étaient brisés d'un coup. La jeune fille monta dans une calèche, qui l'attendait depuis déjà longtemps et le cocher fouetta ses chevaux; alors Atma ne put plus se retenir et courut dans la grand'rue en criant :

« Je ne vous demande qu'une chose, ne me refusez pas ...

- Que voulez-vous?

- Votre nom!

- A quoi cela vous servira-t-il?

(5)

_ Ce me sera un souvenir, mon amie, rien d'autre!

_ Ce souvenir pourra vous être pénible plus tard ...

_ Alors même cela, vous me le refusez!

_ Je m'appelle Warnidah, et vous?

- Atma! »

Le cocher avait enlevé ses chevaux et Atma restait cloué sur place;

il suivit des yeux la calèche qui tourna devant le club, prit la direction du quartier chinois et disparut ...

Warnidah!

** *

Regards, sourires, salutations, échanges de quelques phrases, rendez·vous, rencontre ...

Voilà comment le poète égyptien bien connu, Achmad Sjauqij, voudrait que se déroulent toutes les histoires d'amour, dans ses poèmes

philosophiques.

Pendant des jours, des semaines, Atma s'efforça d'oublier. Il alla se promener sur le rivage de la Mer du Sud, en respirant l'air marin à pleins poumons et en visitant les lieux sacrés, si respectés des Javanais, où réside la Njai Roro Kidul9• Mais rien n'y fit ... Puis il alla à Kaliurang, au pied du terrible mont Merapi 10, une station au climat agréable, où les gens riches de Solo et de Djogdja vont en villégiature, mais toujours en vain. Son mal semblait incurable.

Des mois passèrent; les vacances arrivèrent et il retourna à Kaliurang pour y goûter à nouveau la fraîcheur. De l'hôtel où il était descendu, il partit un jour à l'aube, pour aller grimper dans les hauteurs qui dominent l'agglomération; il avait une canne, des bandes molletières, des chaussures à tige et un chapeau à grands bords ...

n

était en train de se promener ainsi, lorsqu'il aperçut soudain à une distance raisonnable, un groupe de jeunes gens et de jeunes filles qui couraient après des papillons; parmi eux, il y avait ...

Warnidah !

Elle parut très surprise de le voir et même un peu gênée; un seul mot lui vint aux lèvres :

c Atma!

- Vous êtes ici, Warnidah?

- Oui, pour les vacances. :0

Les autres les saluèrent et allèrent continuer leur chasse plus

(9) La Njai Roro Kidul, ou Reine du Sud. est dite hanter la c6te inhospltali~re du sud de Java, et attirer à elle les marins ou nageurs imprudents qui se risquent dans ses C3UJ1:; elle est plus sp&:ialement • pn!sente _ dans la baie de Pelabuhan Ratu (sud du pays soundanais) et surtout sur la plagc de Parangtritis (sud de Djogdjakarta) 00., à dates fixes, les Sultans de Djogdja se rendaicnt en ~Ierinage et abandonnaient dans les vagues tumultueuses quelque v!tc- ment por1~ par eux. Aujourd'hui, la c~n!monie a toujOUT$ lieu mals le Sultan ne s'y rend pas en personne.

(10) Le Merapi est un des plus importunts volcans encore actifs de Java central; son alti·

tude est de 2.911 m; il est entré en ~ruption en 1930, puis en 1954. Dans le nom de Mer-api, on retrouve la bue api. qui slgullie « feu _.

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loin. Ils restèrent seuls et se mirent à marcher à pas lents. Ni l'un, ni l'autre n'était en mesure de parler.

Ce ne fut qu'au bout de plusieurs longues minutes, qu'elle put ouvrir la bouche :

• Le ciel est clair aujourd'hui. C'est rare ici, n'est-ce pas?

- Oui, à Kaliurang, c'est une chose rare. Aussi rares que les occasions de vous rencontrer.

- On dirait que vous vous rappelez encore de la nuit de Sekatén ...

- Comment pourrais-je l'oublier! » dit Atma en souriant.

Ils continuèrent leur promenade en direction d'une petite colline.

De là, on pouvait contempler la beauté du paysage, une beauté bien faite pour stimuler l'amour entre des jeunes gens. Au loin, les cheminées des sucreries crachaient leur fumée, les champs de canne étaient caressés par le vent et ondulaient comme une mer d'alang-alal1g

*.

Là-bas les ouvriers travaillaient avec ardeur, pour gagner leur riz du matin et leur riz du soir.

e Wamidah, dit Atma avec émotion, en plongeant son regard dans les yeux de la jeune fille, je ne sais pas aussi bien m'exprimer que d'autres, ma langue est gauche, mais sachez-le, depuis que nous nous sommes quittés, votre visage n'a pas cessé d'être présent à mon esprit. »

Son front était moite, bien qu'il fit frais dans ces montagnes, tant était violent le sentiment qui l'animait. Il retomba dans ses rêveries, fouillant la terre de sa canne, attendant en silence la réponse de la jeune fille. Elle non plus, ne pouvait guère, semble-t-il, retenir plus longtemps sa sympathie, car bientôt, touchant la main d'Atma, elle lui dit avec douceur :

« Voilà bien ce que j'ai redouté dès le début. C'est un souvenir qui nous sera pénible, je vous l'ai déjà dit.

- Warnidah, je ne suis pas un méchant homme. Je ne sais ni séduire, ni faire la cour. Je vous aime, voulez-vous accepter mon amour?

- Mon ami, répondit la jeune fille, dont les larmes, signe de sincérité, commençaient à couler. Nous sommes libres d'aimer. Mais cette liberté se trouve endiguée par de stricts principes. Vous pouvez m'aimer et je peux vous aimer en retour, mais hélas! nous sommes obligés d'en rester là, comme un fleuve qui coule sans trouver d'embouchure. Les principes nous empêchent de donner suite à cet amour.

- Votre réponse est pleine de cruauté, Warnidah, et pourtant je puis lire, sur votre visage, que vous ne sauriez être cruelle; dites-moi alors ce qui vous pousse à me répondre ainsi.

- Vous en dire la raison serait être plus cruelle encore.

- Votre décision est une sentence qui pèsera sur tout le reste de ma vie. Indiquez-moi quel chemin je dois suivre. Si vous acceptez de recevoir mon amour et d'être ma femme, je serais un homme comblé, j'en suis so.r. Vous êtes une lumière, la lumière de mon cœur.

- Hélas! il ne peut en être ainsi.

- Et pourquoi?

(7)

- :etes-vous prêt à tout entendre?

- Je suis prêt, dussé-je en être meurtri!

- N'êtes-vous pas musulman?

- Grâce à Dieu, je le suis.

- Vous êtes disciple de Muhammad?

- Pour sûr, je crois en Sa parole!

- Voilà bien le point; nous nous heurtons ici à une muraille infranchissable, bien que nos cœurs se soient déjà trouvés. Vous êtes disciple de Muhammad et invoquez le nom d'Allah. Je suis chrétienne, quant à moi, et crois en Jésus-Christ, notre Sauveur_ »

Et, tirant de son corsage la chaînette qu'elle portait à son cou

elle lui montra une petite croix en or. '

«: Voilà ce qui nous sépare, ami ~, dit-elle, en portant la croix à ses lèvres.

Atma était bouleversé; il se leva d'un bond et son visage changea de couleur; il se raidit et contempla longuement le visage de Warnidah.

«: Vous êtes donc chrétienne?

- Oui, mes parents sont chrétiens l'un et l'autre. »

Ils restèrent sans mot dire_

Elle leva les yeux au ciel, s'agenouilla et, joignant les mains, demanda à son Dieu de lui donner la force de supporter cette épreuve.

Lui baissa la tête, les mains appuyées sur sa canne et ses lèvres murmurèrent une prière_ Le soleil déclinait peu à peu et le crépuscule approchait_ La lutte que menait ces deux êtres était terrible, une lutte entre le cœur et la raison, que l'une menait avec la croix et l'autre avec le croissant ...

Quand ils furent revenus à eux, Atma prit la parole

«: Allons, Warnidah, ne devons-nous pas en cette vie subir les épreuves que Dieu nous envoie pour savoir jusqu'où va notre foi?

Comme vous l'avez dit tout à l'heure, nous ne sommes libres que d'aimer;

mais plus difficile est la route, plus belle est la vie; nous devons veiller à ce que rien ne vienne ternir cette beauté. Ma religion ne m'interdit pas de vous épouser; rien ne m'en empêche. Mais cela dépend aussi de vous et il ne saurait y avoir de contrainte en matière de religion_

Si vous estimez que cet amour ne doit pas déboucher sur le mariage, rendons-le encore plus beau et indestructible, faisons-en une amitié.

Voulez-vous être mon amie, Warnidah? Une amie dans l'honneur et l'affection?

_ C'est en effet la seule chose qui nous reste à faire. J'accepte votre proposition_ Je l'ai acceptée dès le premier moment où vous m'avez caressé la tête, le jour où je suis tombée et où mon visage a senti votre souffle sur le chemin qui nous menait de la place à l'hôpital.

Vous étiez déjà mon ami, mon véritable ami. Renforçons les liens qui nous attachent à Dieu, et recherchons ensemble la lumière et la pureté. »

D'un pas lent, les deux jeunes gens s'en retournèrent chez eux.

Après la prière du soir. Atma repartit pour Djogdja et depuis lors,

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158 DENYS LOMIlt\RD

il n'entendit plus jamais reparler de la jeune fille, qui avait tant bouleversé sa vie.

***

Plusieurs mois passèrent. Atma avait terminé ses études à l'école secondaire musulmane de Djogdja et se préparait à regagner son village, dans le beau pays de Priangan. Il prit un autobus qui devait le mener de Djogdja à Semarang par Magelang et Ambarawa. A Semarang, il prendrait le train pour Tjirebon et de là, encore un autobus pour Bandung. Il resta quelques heures à Magelang 11 et se promena un peu dans les belles campagnes qui sont au pied du mont Merapi. Soudain, il s'arrêta stupéfait, en passant devant un monastère. Panni les sœurs dont plusieurs étaient javanaises, il avait reconnu Warnidah. Elle portait une robe de nonne! Leurs regards se rencontrèrent; elle suspendit son pas, mais ils n'eurent pas même le temps d'échanger une parole. La porte de l'église s'ouvrit soudain toute grande et les cloches se mirent à vibrer, appelant tous les fidèles à la prière. Warnidah se retourna un moment vers Atma, qui restait comme pétrifié par l'émotion.

Les religieuses entrèrent en rangs, Warnidah parmi elles, et quelques instants plus tard, on entendait leurs voix s'unir pour chanter un cantique très doux, bien fait pour raffermir la foi.

Atma s'en retourna et Magelang disparut derrière lui, pour toujours.

(11) Maaelang est situé à peu près à égllie distance de Djogdjakarta et de Semarang. Le

Ql!1~bre Borobudur n'en est pas très éloigné.

(9)

Amir Hamzah est né le 28 février 1911, à Tandjungpura (région de Bindjai, dans l'est de Soumatra, un peu au nord-ouest de Médan), d'une famille noble apparentée au Sultan de Langkat. Il fit ses études primaires dans sa ville natale et, sous la direction de son père qui était un amateur du passé, il découvrit la littérature malaise « classique»

et l'histoire des Sultanats, tant ceux de Soumatra que ceux de la Péninsule malaise, toute proche. Puis il vint faire ses études secondaires à Solo et tomba alors amoureux d'une jeune fille pour qui il composa quelques-uns de ses plus beaux poèmes. Il commença ensuite à suivre les cours de la Faculté de Droit, à Batavia (il n'y avait pas encore de Faculté des Lettres dans les \II Indes :Il); mais il dut interrompre ses études supérieures en 1938, pour obéir au Sultan de Langkat qui le rappelait pour le marier à sa fille. A l'occasion de ce mariage, il reçut le titre de Pangéran Indera Putera. Il passa les années de guerre à Soumatra et mourut en mars 1946, fusillé par une troupe d'irréguliers, avec plusieurs autres membres de sa famille, lors des troubles sociaux qui éclatèrent à Soumatra, au lendemain de la défaite japonaise.

Il n'avait que 35 ans. Un frère cadet d'Amir, Amal, né en 1922, s'illustra également dans la poésie et fit une belle traduction du Gitanjali de R. Tagore.

Amir Hamzah est surtout connu comme poète : le « prince des poètes» de sa génération, dit-on quelquefois de lui. Avec Sutan Takdir Alisjahbana et Armijn Pané, il fonda en 1933 la célèbre revue Poedjangga Baroe, qui devait refléter, plusieurs années durant, les aspirations de la jeune littérature indonésienne. En 1937, il faisait paraître dans cette revue, un premier recueil de 24 poèmes, intitulé Njanji Soenji,

« Chants de solitude », puis en 1941, un delL"dème recueil de 28 poèmes, intitulé Boeah Rindoe, <'( Fruits de nostalgie ». Il est également l'auteur d'un recueil d'adaptations de poèmes iraniens (Omar Khayyam), hindi (Kabir), chinois (Li Tai po, Tu Fu), japonais et turcs, transposés à partir de traductions anglaises ou hollandaises et regroupés sous le titre : Setanggi Timoer (Arôme d'Orient) - parus d'abord dans Poedjangga Baroe en 1939, puis réédités après la guerre - . Il fit aussi une traduction complète de la Bhagawadgita en indonésien, ainsi qu'une traduction partielle du Cantique des Cantiques. Son œuvre

6

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160 DENYS LOMBARD

en prose se limite à assez peu de chose: 1° Quelques textes critiques ou d'histoire littéraire, dont une étude sur les pantul1.·, des réflexions sur les littératures asiatiques, un exposé sur la jeune littérature indonésienne dont le premier chapitre parut indépendamment sous le titre Sastra Melaju lama dan radja.radjanja (Médan, 1942); 2° Quelques textes courts ou même très courts, qui sont comme des sortes de tjerpén avant la lettre (pour ainsi dire tous parus dans Poedjangga Baroe de 1933 à 1937).

C'est une de ces « nouvelles », parue dans P.B., I, 4 d'octobre 1933, que nous avons retenue ici. On voudra bien noter que c'est là le texte le plus ancien de notre recueil et y voir comme l' « ancêtre » des tjerpén d'après-guerre. L'auteur, nourri, nous l'avons vu, aux sources malaises traditionnelles, choisit ici un sujet ~ historique 1), et évoque la décadence de la cour de Djohor au XVI~ siècle, au temps du Sultan Alauddin Riajat Sjah. Ce sujet lui donne toute latitude pour utiliser, un peu à la façon de nos Parnassiens, un vocabulaire assez recherché, évocateur parce que désuet, et de ciseler des phrases dignes de figurer dans une chronique malaise du XVIIe siècle. Le lecteur pourra donc, par la même occasion, se faire ainsi une idée approximative de ce que pouvait être cette littérature « malaise », dont l'indonésienne est sortie.

Sur Amir Hamzah, consulter: 10 Une note bio-bibliographique, in L.-C. Damais, Cent deux poèmes indonésiens 1965, p. 67; 20 Amir Hamzah Radja penjair Pudjangga Baru, excellente étude et recueil de textes par H.-B. Jassin, Djakarta, Gunung Agung, 1962,221 p. avec biblio- graphie plus complète, p. 220).

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