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Nobeletjeux Schmidt REP2006

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Deux prix Nobel pour la théorie des jeux

Christian Schmidt*

L’article propose un panorama des principales contributions d’Aumann et de Schelling à la théorie des jeux. Il distingue, pour Aumann, les travaux consacrés aux jeux coo-pératifs et non coocoo-pératifs. Pour Schelling, il met l’accent sur les jeux de pure coordi-nation et les points focaux, d’une part, les effets collectifs de l’interdépendance des anticipations stratégiques, d’autre part. Il montre, en conclusion, l’existence des liens profonds, quoique partiellement cachés, entre les recherches d’Aumann et celles de Schelling concernant les croyances des joueurs et l’approche cognitive d’une situation de jeu.

Aumann - Schelling - continuum de joueurs - structures de coalition - équilibre corrélé - jeux de pure coordination - points focaux - rationalité cognitive

Two Nobel prizes for game theory

The paper is a survey of the Aumann’s and Schelling’s main contributions to game theory. For Aumann, a distinction is made between his works devoted to cooperative and non cooperative games. As for Schelling, pure coordination games and focal points are underlined on one hand, and the collective impact of interdependance strategic expectations, on the other hand. In conclusion, the paper shows the existence of a profound, but partially hidden, link between Aumann’s and Schelling’s researches concerning the players’ beliefs and the cognitive approach of a game situation.

Aumann - Schelling - continuum of players - coalition structures - correlated equilib-rium - pure coordination game - focal points - cognitive rationality

Classification JEL: C5

1 Introduction

Le prix Nobel de Sciences Economiques 2005 a été attribué à Robert J. Aumann et Thomas C. Schelling. C’est la seconde fois en onze ans que le jury de Stockolm récompense des théoriciens des jeux, puisque John F. Nash, John C. Harsanyi et Reinart Selten étaient les lauréats de 1994. Ce rapprochement suscite une première interrogation. Le choix de cette année vise-t-il à honorer des travaux différents de ceux qui ont déjà été primés en 1994, ou s’agit-il seulement de prendre acte du rôle croissant de la théorie

* LESOD, Université Paris-Dauphine

•D

ÉBATS

/O

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des jeux dans la formulation et l’analyse des phénomènes économiques ? En 1994, le message était clair. Le prix Nobel récompensait les progrès économiques qu’avait permis de réaliser l’équilibre de Nash comme solu-tion des jeux non-coopératifs. Les trois personnalités retenues avaient tou-tes travaillé à l’approfondissement et à l’extension de ce que l’on appelle communément le « programme de Nash ». Harsanyi et Selten, en étroite collaboration et en lien, au moins indirect, avec Nash lui-même. En 2005, au contraire, aucun programme de recherche commun ne relie les travaux d’Aumann à ceux de Schelling. Les sujets qu’ils ont abordés, et surtout les méthodes scientifiques qu’ils ont suivies pour les traiter semblent, à pre-mière vue, davantage les séparer que les rapprocher. Faut-il considérer qu’une unité profonde et partiellement cachée existe cependant entre leur objet scientifique ou, qu’à travers eux, c’est plutôt la flexibilité des outils fournis par la théorie des jeux et la grande variété de leurs applications économiques que le jury de Stockolm a voulu consacrer ?

Ces questions seront examinées en conclusion. Auparavant, il convient de rendre compte séparément des contributions respectives des deux lauréats de 2005.

2 Robert J. Aumann, Le Picasso

de la théorie des jeux

Les publications d’Aumann s’étendent sur une période de près d’un demi-siècle et concernent pratiquement toutes les branches de la théorie des jeux (jeux coopératifs, jeux non coopératifs, jeux stochastiques, jeux répétés...)1.

Un peu comme Picasso en peinture, Aumann a activement participé aux modes et aux mouvements d’idées divers qui se sont succédés au cours de ce demi-siècle de théorie des jeux, tout en leur imprimant sa marque origi-nale. Son œuvre constitue, pour cette raison, un condensé de l’histoire de cette théorie, en même temps que le témoignage d’une pensée personnelle, toujours en éveil, celle même de Robert J. Aumann.

Pour éclairer son parcours, le plus simple est de procéder à un découpage thématique qui conduit à examiner successivement ses principales contri-butions aux jeux coopératifs et aux jeux non-coopératifs.

3 Jeux coopératifs

Les premiers travaux d’Aumann en théorie des jeux portent sur les jeux coopératifs. Cela n’a rien de surprenant. L’ouvrage fondateur de Von

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mann et Morgenstern envisageait les jeux dans une perspective principale-ment coopérative.

Dès les années 60, Aumann entreprend de dégager, d’un point de vue analytique, les relations étroites qui relient quelques-uns des principaux concepts de solution de la théorie des jeux coopératifs, comme le cœur et la valeur de Shapley, à l’équilibre économique de marchés en concurrence parfaite. Pour y parvenir, Aumann redéfinit la concurrence parfaite comme un espace marchand où opère un continuum d’agents. Cette reformulation lui permet de démontrer, sous ces conditions, une équivalence complète entre le cœur et l’équilibre concurrentiel (Aumann, [1964]), puis d’établir, sous ces mêmes conditions, son existence, c’est-à-dire la garantie que le cœur d’une telle économie n’est pas vide (Aumann, [1966]). Un peu plus tard, poursuivant la même idée, Aumann démontre une équivalence sem-blable entre la valeur de Shapley et l’équilibre concurrentiel, dans une éco-nomie marchande, où la concurrence parfaite se trouve toujours représentée par un continuum d’opérateurs (Aumann, [1975]). Cela ne signifie pas, évi-demment, que le cœur et la valeur de Shapley renvoient eux-mêmes à des concepts équivalents, mais seulement que l’un et l’autre correspondent à des définitions possibles, mais distinctes d’un équilibre concurrentiel.

Ces résultats sont à l’origine d’un resserrement des liens entre la théorie des jeux et l’analyse économique des marchés. Ils ont ouvert une nouvelle approche de la concurrence conçue en termes de continuum des agents et montré que plusieurs contraintes sur les préférences individuelles des agents, traditionnellement associées à la réalisation d’un équilibre concur-rentiel, ne sont pas nécessaires dès que l’on ne raisonne plus sur un nombre fini d’agents. Ainsi, lorsque l’on adopte une perspective qualifiée parfois d’« océanique »2, où les opérateurs ne pèsent plus individuellement sur le

marché, la convexité de leurs préférences, et même leur complétude ne sont plus requises pour garantir le cœur, c’est-à-dire un équilibre concurrentiel de cette économie.

Les propriétés ainsi mises en évidence par Aumann ont donné lieu à de nombreux travaux, auxquels ont participé, notamment, Maschler, Shapley et Shubik. Elles conduisent à un renouvellement profond de l’analyse des re-lations entre le comportement des opérateurs individuels et l’évolution des économies de grande dimension (« large economies »). Hildenbrand, qui a d’abord étendu les résultats d’Aumann aux économies de production, a montré, plus récemment, comment ils débouchaient sur une révision des relations entre la théorie micro économique et la macro économie (Hilden-brand, [1995, 1999]).

A la même époque, Aumann introduit avec Maschler un nouveau concept de solution pour les jeux coopératifs, « l’ensemble de marchandage » (« bar-gaining set »). Dans un jeu décrit en forme coalitionnelle, cette solution résulte d’un marchandage fait de propositions et de contrepropositions en-tre les joueurs, jusqu’à ce qu’ils aboutissent à un état stable (Aumann and Maschler, [1964]). Le principal intérêt est ici d’introduire, dans le cadre d’un

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jeu coalitionnel, les contraintes d’un processus de négociation (menaces et objections) et de prendre ainsi en compte des considérations stratégiques à l’intérieur d’un jeu coopératif.

Mais la contribution la plus originale d’Aumann à l’avancement des jeux coopératifs réside, sans doute, dans sa mise en évidence des structures de coalitions qui sous-tendent, plus ou moins directement, toutes les solutions qui ont été proposées pour les résoudre. Parti de l’idée d’une organisation des coalitions inhérentes à chacune de ces solutions, Aumann, démontre dans un article rédigé avec Drèze que cette organisation peut être représen-tée par une partition définie au moyen d’une fonction identique dans tous les cas (Aumann and Drèze, [1976]). Ces « structures de coalition » précisent les relations existant entre deux composantes distinctes des jeux coopéra-tifs, la formation des coalitions et l’allocation des richesses entre leurs mem-bres. Elles constituent, en outre, le point de départ d’une endogénésation des coalitions dans l’analyse des situations coopératives.

Là encore, les idées d’Aumann ont été étendues et développées plus ré-cemment. On peut, en effet, considérer les structures de coalition comme un cadre analytique approprié pour étudier de manière plus fine les relations entre les joueurs dans un système coopératif. Myerson, par exemple, a enrichi le modèle initial des partitions proposé par Aumann and Drèze en le transformant en une structure d’information plus complexe, qui rend compte de la communication (ou de l’absence de communication) des agents entre eux, sous la forme de graphes de coopération (Myerson, [1977], Aumann and Myerson, [1988]). D’autres développements plus ambi-tieux et d’inspiration plus hétérodoxes prennent également leur source dans ce travail d’Aumann. Ainsi, Greenberg présente ce qu’il a appelé une « théo-rie des situations sociales » comme une construction théorique alternative par rapport à la théorie des jeux (Greenberg, [1990]). En approfondissant la notion de structure de coalition stable, empruntée à Aumann, il reconsidère la descriptions d’un jeu. Tous les concepts de solution reposent, en effet, sur la stabilité des structures de coalition, dont la formulation varie seulement en fonction des systèmes d’information et de communication qui caractéri-sent leur organisation institutionnelle. Il est encore trop tôt pour savoir si cette voie, explorée par Greenberg, renouvelle le paysage scientifique des jeux, comme le pense son auteur. Mais sa dette intellectuelle à l’endroit d’Aumann est incontestable.

4 Jeux non-coopératifs

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Aumann entreprend d’abord d’étendre aux situations de jeux, et, par conséquent, aux choix stratégiques des joueurs, les probabilités subjectives, comme Savage l’avait réalisé pour les décisions individuelles. Cette convic-tion subjectiviste l’amène à transformer l’interprétaconvic-tion initialement donnée des stratégies mixtes et à dégager un usage différent des probabilités pour justifier les choix stratégiques des joueurs. Tandis que les probabilités asso-ciées aux stratégies mixtes choisies par les joueurs sont indépendantes, selon l’acception classique donnée aux stratégies mixtes, il est facile d’ima-giner des hypothèses simples où elles seraient « corrélées ». Lorsque, par exemple, les joueurs ne connaissent pas les stratégies choisies par les autres joueurs, ils appréhendent cette incertitude au moyen de probabilités. Ils peuvent alors, pour élaborer cette évaluation probabiliste, s’appuyer sur des données réellement observables, ou seulement hypothétiques, mais dont la connaissance est également accessible aux autres joueurs. Il en irait ainsi, par exemple, si les coups des joueurs étaient tirés au hasard, ou plus simplement si tous les joueurs croyaient qu’il en allait ainsi. Les stratégies choisies par les joueurs dans de telles conditions ne sont plus alors indé-pendantes, elles sont corrélées (Aumann, [1974]).

Cette idée de corrélation des stratégies débouche sur la définition d’un nouveau concept d’équilibre, l’équilibre corrélé (Aumann, [1987]). Comme l’équilibre de Nash, cet équilibre corrélé décrit une situation dans laquelle, lorsqu’elle est atteinte, aucun des joueurs n’a d’incitation à s’en éloigner. Mais contrairement à l’équilibre de Nash, l’équilibre corrélé fait intervenir de manière explicite l’interaction épistémique des joueurs, à travers le méca-nisme de corrélation stratégique qui a été évoqué, ce qui permet, dans certains cas, aux joueurs d’accéder à des situations d’équilibre où les paie-ments obtenus par chacun sont supérieurs à ceux que leur garantirait un équilibre de Nash. On peut considérer, avec Aumann, que l’équilibre corrélé est plus fondamental que l’équilibre de Nash, dans la mesure où il prend en compte la dimension essentielle de la coordination des comportements des joueurs. D’un autre côté, cependant, il est plus exigeant que l’équilibre de Nash puisqu’il requiert des joueurs la connaissance commune d’une distri-bution de probabilités (« prior »).

L’émergence du concept d’équilibre corrélé a, en tout cas, permis quel-ques avancées majeures. Il révèle, d’abord, l’existence de situations d’équi-libre plus favorables aux joueurs que l’équid’équi-libre de Nash. Il ouvre, ensuite, une piste intéressante dans la recherche d’une corrélation des choix straté-giques des joueurs, à partir d’une analyse de leurs croyances respectives. Dans cette perspective, l’équilibre corrélé porte un éclairage intéressant sur la problématique plus générale de la coordination des agents qui concerne à la fois l’analyse microéconomique et la macroéconomie.

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changement profond dans l’approche des jeux et, par conséquent, dans la méthodologie suivie pour les analyser. Aumann a stigmatisé ce tournant en opposant ce qu’il nomme le point de vue « problème-solution », qui carac-térise, selon lui, l’approche classique des anciens, du point de vue « descrip-tif », propre à l’approche moderne. Dans le premier cas, il s’agit, pour le théoricien des jeux, de résoudre le problème posé par une situation de jeu : c’est-à-dire de trouver au jeu sa solution, indépendamment de ce que peu-vent effectivement penser les joueurs. Dans le second, la tâche du théoricien est d’expliquer ce que connaissent et croient réellement les joueurs pour parvenir à cette solution. Cette transformation épistémologique de la théorie des jeux a suscité de nombreux travaux récents (Samet, [1996] ; Dekel and Gul, [1997] ; Bonano and Nerhing, [1999]). Aumann, du reste, a lui-même participé activement à ces développements, en intégrant la théorie des jeux dans une épistémologie dérivée des logiques modales (Aumann, [1999]).

5 Thomas C. Schelling, un metteur

en scène de la théorie des jeux

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6 Jeux de pure coordination et points

focaux

A plusieurs étapes de sa carrière scientifique, Schelling s’est prononcé en faveur d’une réorientation, voire même d’une redéfinition des priorités en théorie des jeux (Schelling, [1960, 1967, 1973]). L’une de ses idées les plus anciennes et les plus fécondes est de prendre pour paradigme de référence la situation, a priori singulière, des jeux de pure coordination. Par jeu de pure coordination, il faut entendre une situation d’interactions stratégiques où tous les joueurs ont des préférences identiques et disposent d’une infor-mation parfaite, de telle sorte que leur unique problème consiste à coordon-ner leurs choix. On comprend aisément que ces caractéristiques particuliè-res, considérées intuitivement comme favorables à la coopération, rendent, au contraire très difficile la résolution de ce problème dans le cadre tradi-tionnel de la théorie des jeux non-coopératifs, lorsqu’il existe plusieurs équi-libres rigoureusement équivalents pour tous les joueurs.

Cette hypothèse extrême sur laquelle repose les jeux de pure coordination a, pour Schelling, deux mérites principaux. Elle permet, d’abord, de distin-guer clairement la coordination de notions parfois confondues avec elle, comme l’entente et la coopération. Elle isole, ensuite, un problème fonda-mental inhérent à toute situation de jeu, puisqu’il se pose même aux joueurs dont les intérêts sont strictement opposés, comme dans l’exemple célèbre de la poursuite de Sherlock Holmes par son ennemi, le Docteur Moliarty3.

Schelling tire de ce constat la conviction que, c’est en partant de cette question de la coordination, qu’il faut organiser et développer le programme de recherche de la théorie des jeux. A ce stade, un rapprochement s’impose avec Aumann. Ce qu’Aumann a analysé avec les concepts de stratégie et d’équilibre corrélés qu’il a patiemment forgé rencontre, d’une certaine ma-nière ici, les intuitions antérieures de Schelling sur l’incontournable, mais difficile, coordination des joueurs (Schelling, [1960]).

Si le problème de la convergence des anticipations identifié par Schelling est bien celui auquel s’est attaqué Aumann, la solution qu’il propose d’ex-plorer pour la résoudre s’éloigne des formules développées par Aumann pour corréler les stratégies des joueurs. Schelling pense, en effet, que la nature même du problème ne relève pas d’une investigation mathématique. L’exemple classique d’un jeu à deux joueurs ayant deux équilibres de Nash mathématiquement identiques en fournit la meilleure illustration. Il s’agit alors pour les deux joueurs de trouver un signal qui leur permettrait d’ef-fectuer une discrimination entre ces équilibres. Pour y parvenir, ce signal doit pouvoir être interprété par chacun d’une manière qui leur serait com-mune. Ce n’est évidemment pas dans la structure mathématique du jeu que réside un tel signal. Ce signal, par hypothèse, n’appartient pas, aux informa-tions au moyen desquelles ce jeu se trouve décrit par la théorie (stratégies,

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valeurs de paiements, etc...). Il relève, pour Schelling, du contexte dans lequel se déroule le jeu et de l’aptitude psychologique des deux joueurs à appréhender, de manière commune, certaines de ses caractéristiques. Cette convergence des représentations relative au contexte du jeu détermine ce que Schelling appelle des « points focaux », qui rendent possible leur coor-dination stratégique sur l’un des deux équilibres (Schelling, [1960], appen-dice C).

Les points focaux destinés à guider la coordination des joueurs ont d’abord été appliqués par Schelling aux négociations stratégiques interna-tionales auxquelles il a consacré l’essentiel de son ouvrage le plus connu « The strategy of conflict » [1960]. Cet ouvrage reprend, complète et appro-fondit une esquisse antérieure sur la négociation (Schelling, [1958]). Les points focaux reposent dans son esprit sur des « saillies » supposées com-munes aux négociateurs. Par la suite, on a cherché à les expliquer à travers des normes culturelles partagées par les joueurs (Kreps, [1990]). Mais ces normes culturelles peuvent, à leur tour, s’interpréter de manières différentes, selon qu’elles sont dérivées de pratiques institutionnelles ou sociales (Mil-grom, North and Weigast, [1989]), ou qu’elles sont construites par les joueurs eux-mêmes, au terme d’un processus d’apprentissage, lorsque le jeu est répété, ou, tout au moins, séquentiel (Crawford, [1991]).

Plusieurs dispositifs expérimentaux ont été plus récemment utilisés pour tester l’hypothèse de Schelling suivant laquelle les anticipations mutuelles des joueurs se coordonneraient à partir de « saillances » partagées (Van Huick, Battalio and Beil, [1990, 1991]. Metha, Starmer and Sugden, [1994]). Par delà, l’hétérogénéité des résultats obtenus, il se confirme qu’une phase préliminaire semble toujours précéder cette coordination, au cours de la-quelle s’organisent les mécanismes mentaux qui y conduisent (Cooper, [1999]). Mais on sait encore assez peu de chose sur leur fonctionnement.

Les idées énoncées par Schelling sur le rôle des points focaux dans la coordination des joueurs autour d’un équilibre ont également inspiré des constructions intellectuelles plus hardies. Certains auteurs, comme Bacha-rach, ont remis en cause une hypothèse plus ou moins tacite en théorie des jeux, selon laquelle les règles et les structures du jeu sont une connaissance commune pour les joueurs qui y participent (Bacharach, [1997], Schmidt, [2005]). Cette hypothèse est aisément satisfaite dans le cas des jeux de société ou de certains marchés organisés, comme les ventes aux enchères. En règle générale, cependant, elle ne l’est que très imparfaitement dans la réalité. Il en résulte un problème supplémentaire pour les joueurs, qui doi-vent découvrir, des règles, également repérables par les autres joueurs et, qui seraient communes aux uns et aux autres. La recherche des procédés qui permettent aux joueurs d’accéder à une telle connaissance n’est pas très éloignée, en son principe, de celle des points focaux de Schelling, puisqu’il s’agit, dans les deux cas, des conditions d’acquisition ou de révélation d’une connaissance commune (Bacharach, [1992]). Elle aboutit, en définitive, à élargir l’objet même de la théorie des jeux, en y intégrant la connaissance du jeu par les joueurs4.

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7 Soi et les autres : externalités

et effets de dimension dans les

décisions interdépendantes

Contrairement à une majorité de théoriciens des jeux, Schelling se montre davantage attiré par la multiplicité des cas de figures que peut permettre d’appréhender un jeu, que par ses quelques propriétés invariantes. Ainsi exprime-t-il sa fascination devant le fait que la seule grille des petits jeux 2×2puisse donner naissance à 78 situations différentes (Schelling, [1967]). Cette curiosité pour la variété des conséquences de décisions individuelles interdépendantes l’a conduit à examiner plus en détails l’incidence que peut avoir la dimension, c’est-à-dire, le nombre des autres joueurs, sur le com-portement de chacun (et vice versa). Cette enquête constitue le fil directeur d’un ensemble d’articles regroupés dans un ouvrage sous le titre « Micro-motives and Macrobehavior » [1978].

Pour saisir l’objet de son analyse qu’il applique à une multitude de situa-tions sociales très variées, le mieux est de partir de l’exemple qu’il étudie à la fin de cet ouvrage. Imaginons un cas de choix binaire interdépendant, du type de celui qui conduit au dilemme du prisonnier. Au lieu de deux joueurs, introduisons d’autres joueurs, tous différents, mais pour lesquels les valeurs de paiements du jeu sont identiques à ceux de deux joueurs. On obtient ce que Schelling appelle un « Dilemme du prisonnier uniforme à plusieurs joueurs » (Uniform multi-person prisoner’s dilemma, M.P.D.). Les « autres » représentent pour chacun l’ensemble des joueurs à l’exception de lui-même. Tous les autres joueurs, ainsi définis, sont autorisés à s’organiser et à former des coalitions. Bien plus, les « autres » peuvent constituer des maffias qui se protègent elles-mêmes sous la loi du silence, ou se transformer en « racket-teurs » à l’insu de tout un chacun qui n’en fait pas partie.

Schelling montre sur la base de cet exemple qu’un très grand nombre de configurations sont possibles, en fonction de la diversité des réactions anti-cipées des joueurs les uns par rapport aux autres. Il met surtout en évidence deux cas « polaires » intéressants, lorsque les équilibres dérivés des choix individuels sont sous-optimaux, comme dans le dilemme initial du prison-nier. Dans un premier cas, il apparaît que, si l’équilibre optimal était atteint, il se renforcerait de lui-même (« self-renforcing »). Dans un second cas, au contraire, son maintien exige une forme de coercition imposant au choix de chacun de tenir compte des choix des autres. Une telle distinction s’avère très précieuse pour éclairer les recommandations en matière d’actions pu-bliques dans les domaines économiques les plus divers où elles peuvent s’exercer.

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l’exem-ple emblématique de la tragédie des « Communs », bien connu des socio-logues depuis le célèbre article d’Hardin [1968]. Dans cet article, Hardin démontre que des éleveurs sans une prairie commune ont un intérêt indivi-duel à faire paître chacun un maximum de leurs bovins, quelque soit, par ailleurs, la pratique adoptée par les autres. Un tel comportement individuel-lement « rationnel » conduit inévitabindividuel-lement au désastre collectif de la dispa-rition de la prairie. Schelling approfondit cette problématique générale, en affinant les anticipations individuelles que chaque agent peut formuler sur le comportement des autres et en dégageant les effets de seuil (Masse critique) qui caractérisent, dans cette perspective, le passage de la décision indivi-duelle aux conséquences collectives.

Plusieurs des questions discutées sous cet angle par Schelling ont été depuis prolongées dans des travaux plus récents, émanant principalement de sociologues et de politicologues, comme Coleman [1980] et Hardin lui-même [1995]. Ils prennent en compte l’identification partielle des intérêts individuels à des sous-groupes, ou à des communautés auxquelles appar-tiennent les individus. Mais il revient à Schelling d’avoir, le premier, claire-ment montré comclaire-ment une approche inspirée par la théorie des jeux cons-titue un instrument privilégié pour explorer la complexité de la relation entre « soi » et « les autres », dès que l’on intègre dans cette analyse l’interdépen-dance des anticipations d’un grand nombre d’agents. Or, cette dernière di-mension est précisément à l’origine de beaucoup des problèmes posés par la vie collective.

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