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L art du compromis. La Cour opte pour un

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L’art du compromis: La Cour de justice opte pour une résistance modérée à l’arrêt A et B c/ Norvège

Araceli Turmo, Maître de conférences en Droit public, Université de Nantes, membre de DCS UMR 6297

Commentaire croisé des arrêts CJUE 20 mars 2018, Menci, C-524/15, ECLI:EU:C:2018:197; CJUE 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C-537/16, ECLI:EU:C:2018:193; CJUE 20 mars 2018, Di Puma et Zecca, aff. jointes C596 et C597/16, ECLI:EU:C:2018:192

Le feuilleton du dialogue entre juridictions européennes autour du principe ne bis in idem a connu un nouveau rebondissement le 20 mars dernier. La Cour de justice donne, dans trois arrêts rendus le même jour1, sa réponse à l’arrêt A et B c/ Norvège de la Cour européenne des droits de l’Homme du 15 novembre 20162, qui entraîne une modification importante du standard conventionnel concernant la compatibilité du principe avec les cumuls de procédures pénales et administratives. Ces trois arrêts s’ajoutent à un autre arrêt récent, dans les affaires Orsi et Baldetti3, l’ensemble témoignant de la nécessité d’une clarification de la jurisprudence de la Cour de justice. Le juge Pinto de Albuquerque, dans son opinion dissidente à l’arrêt A et B4, ainsi que l’avocat général Campos Sánchez-Bordona, dans ses conclusions dans l’affaire Menci5, ont tous deux signalé les problèmes posés par l’arrêt A et B pour la convergence des standards de protection entre les deux systèmes européens. L’avocat général entame d’ailleurs ses conclusions en rappelant qu’il s’agit pour la Cour de justice de prendre position sur la modification « considérable » de la jurisprudence de la Cour EDH6 sur l’une des normes situées au cœur des débats concernant la légitimité du développement du droit administratif répressif.

Plusieurs États membres avaient milité devant les deux juridictions pour un assouplissement de ne bis in idem permettant les procédures mixtes ou parallèles, en particulier en matière fiscale. La Cour de justice avait affirmé que le cumul de deux procédures de nature pénale7 était contraire à ce droit

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CJUE 20 mars 2018, Menci, C-524/15, ECLI:EU:C:2018:197; CJUE 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C-537/16, ECLI:EU:C:2018:193; CJUE 20 mars 2018, Di Puma et Zecca, aff. jointes C‑596 et C‑597/16, ECLI:EU:C:2018:192.

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Cour EDH 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, req. n° 24130/11 et 29758/11. La règle posée dans cet arrêt a été confirmée et mise en œuvre dans l’arrêt Cour EDH 18 mai 2017, Jóhannesson e.a. c/ Islande, req. no 22007/11. Dans cette affaire concernant une déclaration fiscale inexacte, la Cour constate une violation de ne bis in idem en s’appuyant sur l’absence de lien matériel et temporel suffisant, du fait que, en particulier, les deux procédures n’ont été conduites en parallèle que pendant une durée limitée et qu’elles ont fait l’objet d’enquêtes indépendantes. L’affaire illustre la fragilité de la jurisprudence A et B, comme le signalent N. GUILLAND, « Cumul de sanctions en matière de fraude fiscale et principe non bis in idem : première condamnation par la CEDH et appréciation du lien temporel et matériel entre les procédures après l’arrêt A et B c/ Norvège », RDF 2017, n° 30-35, Procédures fiscales n° 417; et L. COUTRON / F. LECOMTE, « Le principe ne bis in idem dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne : de la diversité dans l’unité? », RDP 2018, n° 1, pp. 5-18, p. 16.

3 CJUE 5 avril 2017, Orsi et Baldetti, aff. jointes C-217et 350/15, ECLI:EU:C:2017:264. 4

Pts 67 et 80 de l’Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque dans l’affaire A et B, précitée. 5

Pts 60-61 des Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona présentées le 12 septembre 2017, dans l’affaire Menci, précitée, ECLI:EU:C:2017:667.

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fondamental dans son arrêt Åkerberg Fransson8, s’alignant ainsi sur la position majoritaire dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme9. Elle n’avait toutefois pas pris position concernant la compatibilité des règles en cause avec le principe. La confirmation d’une tolérance de la Cour européenne au cumul, lorsque les procédures présentent un « lien matériel et temporel suffisamment étroit », demandait une nouvelle prise de position de la part de la Cour de justice. La Cour EDH nie en effet, dans l’arrêt A et B, l’existence de deux procédures distinctes lorsqu’un tel lien est établi entre deux procédures complémentaires. Le principe ne bis in idem ne trouverait donc pas à s’appliquer dans de telles situations. Face à ce qu’il identifiait à raison comme un revirement10, l’avocat général Campos Sánchez-Bordona indique que la la Cour de justice avait de trois options: affirmer la spécificité d’une protection plus forte de ce droit dans l’Union ou opérer elle-même un revirement, soit en s’alignant sur la position de la Cour européenne, soit en développant sa propre conception de l’applicabilité du principe aux procédures mixtes11. La Cour de justice semble avoir retenu la troisième option dans trois arrêts concernant le cumul de procédures pénales et administratives en Italie.

L’affaire Menci est, des quatre, la plus proche de celle qui avait donné lieu à l’arrêt Åkerberg Fransson. Le litige en cause au principal est une procédure pénale engagée contre M. Menci pour défaut de paiement de la TVA. Cette procédure a été ouverte après la clôture définitive d’une première procédure, qui a donné lieu à une décision administrative définitive imposant à M. Menci le paiement de la somme due ainsi qu’une sanction représentant 30% de sa dette fiscale. L’affaire Garlsson Real Estate e.a. porte sur une manipulation de marché. L’un des requérants au principal conteste une sanction administrative pécuniaire dont il est solidairement responsable, alors qu’il a également fait l’objet, au pénal, d’une condamnation définitive à une peine d’emprisonnement. Dans les troisième et quatrième affaires jointes, MM. Di Puma et Zecca contestaient quant à eux des sanctions administratives pécuniaires infligées pour des opérations d’initiés suite à un jugement devenu définitif qui a prononcé leur relaxe dans le cadre de poursuites pénales engagées pour les mêmes faits. Ces renvois préjudiciels interrogeaient tous en substance la Cour de justice sur la possibilité de cumuler poursuites et sanctions administratives et pénales pour de mêmes faits, et sur la modalités suivant lesquelles un tel cumul serait possible, au regard du principe ne bis in idem. Dans l’affaire Garlsson, la Corte suprema di cassazione interrogeait également la Cour sur l’effet direct de ce principe. Cette question ne posait guère de difficultés au regard de la jurisprudence antérieure de la Cour de justice12. Tous les litiges au principal entraient dans le champ d’application du droit de l’Union européenne, ce qui entraîne selon l’article 51§1 de la Charte tel qu’interprété par la Cour de justice l’applicabilité de la Charte des droits fondamentaux13. Tous ces litiges présentent toutefois aussi la particularité d’une marge de manoeuvre importante laissée aux États membres et d’une diversité des solutions nationales concernant le caractère alternatif ou cumulatif de procédures administratives et pénales. La Cour de justice constate dans l’ensemble des affaires qui lui sont soumises que la sanction administrative mise

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CJUE 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C-617/10, EU:C:2013:105.

9 La jurisprudence de la Cour EDH comprend en effet des variations importantes sur ce sujet avant l’arrêt A et

B, en particulier une opposition entre la position favorable au cumul qui semble résulter de la jurisprudence concernant les infractions au code de la route et une position défavorable en matière fiscale. Sur ce point, cf. infra, p. XXXX.

10 Compte tenu de l’importance de la modification de la position jurisprudentielle concernant le cumul de

procédures et sanctions en matière fiscale, il ne saurait selon nous s’agir d’une simple « précision » ni même d’un « infléchissement » comme l’affirmait L. MILANO, Note sur CEDH, gr. ch., 15 nov. 2016, nos 24130/11, 29758/11, A et B c/ Norvège, JCP G 2016, n° 48, note n° 1290.

11 Pt 61 des Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Menci, précitées. 12 Pts 64-67 de l’arrêt Garlsson Real Estate e.a., précité.

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en œuvre est de nature pénale au sens des critères Engel14et que les deux procédures visent les mêmes faits matériels (idem factum), critère qui résulte également d’une jurisprudence constante en droit de l’Union européenne15. Les interrogations se concentrent donc sur l’existence du « bis », compte tenu de la jurisprudence A et B: y avait-il en l’espèce deux procédures et sanctions de nature pénale conduisant à un cumul contraire à ne bis in idem tel qu’il est garanti à l’article 50 de la Charte? La Cour de justice adopte dans les trois arrêts une position nuancée à l’égard de la nouvelle jurisprudence de la Cour EDH. Elle refuse de nier l’applicabilité du droit fondamental dans des situations telles que celles en cause et estime que le caractère pénal des deux procédures interdit en principe leur cumul, conformément à l’arrêt Åkerberg Fransson. La Cour accepte toutefois contrairement à son avocat général16 que de tels cumuls soient exceptionnellement justifiés, s’ils respectent les conditions énoncées à l’article 52§1 de la Charte. Il convient que la limitation ainsi apportée au principe ne bis in idem soit prévue par la loi et respecte le contenu essentiel de ce droit, réponde à un objectif légitime et respecte le principe de proportionnalité.

Selon la Cour de justice ces conditions semblent remplies dans la première affaire, dans la mesure où les règles en cause visent à lutter contre les infractions en matière de TVA et qu’elles assurent notamment la limitation au strict nécessaire de la charge supplémentaire résultant du cumul de procédures et la sévérité de l’ensemble des sanctions. En revanche, la Cour retient la position contraire dans les deux autres arrêts. Dans l’affaire Garlsson Real Estate e.a., l’objectif de protection de l’intégrité des marchés financiers de l’Union ne suffit pas à justifier la poursuite d’une procédure de sanction administrative après une condamnation pénale. Les règles italiennes en cause ne paraissent pas garantir le respect de la proportionnalité dans les sanctions imposées. Dans les affaires Di Puma etZecca, la Cour accepte que l’autorité de chose jugée s’oppose à la poursuite d’une procédure de sanction administrative suite à un jugement de relaxe définitif rendu suite à des poursuites pénales pour les mêmes faits. L’objectif de protection de l’intégrité des marchés financiers ne permet pas de justifier une remise en cause de l’autorité de chose jugée et une atteinte manifestement disproportionnée à ne bis in idem.

Le choix opéré par la Cour de justice dans ces décisions est très intéressant, non seulement pour l’évolution de ce droit fondamental en droit de l’Union européenne mais aussi, et surtout, dans la perspective de la convergence des standards de protection des droits au niveau européen. D’une part, la Cour de justice accepte la solution retenue par la Cour EDH dans l’arrêt A et B en admettant sous certaines conditions le cumul de procédures et sanctions. D’autre part, elle rejette la ratio decidendi

retenue par la Cour de Strasbourg, selon laquelle aucune atteinte au principe n’existerait dans de telles situations. Elle retient au contraire une approche qui lui est familière17, fondée sur le contrôle de

14

Cour EDH 8 juin 1976, précité. 15

Cf. notamment la jurisprudence concernant l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, en particulier les arrêts Van Esbroeck (CJCE 9 mars 2006, C-436/04, ECLI:EU:C:2006:165) et Kraaijenbrink (CJCE 18 juillet 2007, C-367/05, ECLI:EU:C:2007:444), sur lesquels la Cour EDH s’est alignée dans son arrêt Zolotoukhine (Cour EDH 10 février 2009, Zolotoukhine c/ Russie, req. n° 14939/03). La jurisprudence de la Cour de justice concernant le droit de la concurrence ne retient toutefois pas la même appréciation de l’identité de l’idem. Sur ces questions, cf. les rappels de la jurisprudence dans les Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Menci, précitées, ainsi que P. J. WATTEL, « Ne Bis in Idem and Tax Offences in EU Law and ECHR Law », in B. VAN BOCKEL (ed.), Ne Bis in Idem in EU Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, pp. 167-217, pp. 179-180.

16

Concernant les conclusions de l’avocat général et son opposition marquée à la nouvelle position de la Cour EDH, cf. notamment N. GUILLAND, « Cumul de sanctions de la fraude fiscale et principe non bis in idem : l’avocat général de la CJUE ne s’incline pas devant la CEDH », RDF 2017, n° 42, actualité n° 559.

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proportionnalité de l’atteinte au regard d’objectifs d’intérêt général. L’on note en outre, notamment dans l’arrêt Menci, une insistance simultanée sur la nécessaire autonomie du droit de l’Union et de la Charte et sur la compatibilité du niveau de protection de ne bis in idem qu’elle retient avec celui qui résulte de l’arrêt A et B. La Cour de justice continue ainsi de placer l’interprétation de l’article 50 de la Charte dans une « autonomie relative »18 à l’égard de la jurisprudence de la Cour EDH.

Bien que la Cour exprime une certaine volonté de convergence avec la Cour EDH en acceptant d’établir une limitation similaire au droit fondamental en droit de l’Union (I), le choix d’une approche autonome lui permet d’établir un standard de protection qui paraît plus élevé (II).

I. La transposition de l’apport de l’arrêt A et B, manifestation du souci de convergence des standards

Les renvois préjudiciels opérés par les juridictions italiennes demandaient à la Cour de justice de prendre à nouveau position sur la compatibilité de procédures mixtes ou parallèles avec ne bis in idem

et donc de se prononcer sur la transposition de la jurisprudence A et B en droit de l’Union européenne. La Cour cède aux arguments des États membres concernés et à un souci de convergence avec la Cour EDH. Ces arrêts offrent certes une clarification longtemps attendue de l’arrêt Åkerberg Fransson19

rendue indispensable suite au revirement opéré par la Cour EDH (A). En s’alignant en partie sur l’arrêt A et B, ils constituent contrairement à ce que cherche à prétendre la Cour de justice un revirement introduisant une limite importante à ce droit fondamental (B).

A. La nécessaire clarification de la jurisprudence de la Cour de justice

L’arrêt Åkerberg Fransson avait donné une première indication concernant l’interdiction du cumul de procédures et sanctions de nature pénale en droit de l’Union, mais n’avait pas pris position concernant la compatibilité des règles suédoises avec le droit fondamental. Le nombre de questions soulevées devant les juridictions italiennes par la jurisprudence de la Cour de justice concernant ne bis in idem témoignent du besoin de clarification. Ce besoin s’est fait d’autant plus pressant suite à l’arrêt A et B qui paraissait créer un nouveau cas d’incompatibilité entre les jurisprudences des deux Cours européennes.

(ed.), The EU Charter of Fundamental Rights as a Binding Instrument: Five Years Old and Growing, Oxford, Hart, 2015, pp. 135–154; J. KOKOTT / C. SOBOTTA, « The Evolution of the Principle of Proportionality in EU Law—Towards an Anticipative Understanding? », in S. VOGENAUER / S. WEATHERILL (ed.), General Principles of Law: European and Comparative Perspectives, Oxford, Hart, 2017, pp. 167–178; M. BEIJER, « Procedural Fundamental Rights Review by the Court of Justice of the European Union », in J. GERARDS (ed.), Procedural Review in European Fundamental Rights Cases, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, pp. 177-208.

18

X. GROUSSOT / A. ERICSSON, « Ne Bis in Idem in the EU and ECHR Legal Orders. A Matter of Uniform Interpretation? », in B. van BOCKEL (ed.), op. cit., pp. 53-102, p. 86.

19 Cet arrêt a fait l’objet d’interprétations contradictoires, non seulement devant les juridictions italiennes

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Dans l’arrêt Åkerberg Fransson, en dépit de la déférence affichée à l’égard de la juridiction suédoise, la Cour avait clairement pris position dans le sens de l’incompatibilité d’un cumul de procédures de nature pénale avec ne bis in idem tel que garanti à l’article 50 de la Charte. Elle affirme en effet dans cet arrêt que le cumul de sanctions fiscales et pénales en cas de non-respect d’obligations déclaratives à la TVA est compatible avec le droit de l’Union sauf lorsque la sanction fiscale « revêt un caractère pénal »20, au sens des critères Engel repris dans l’arrêt Bonda de la Cour de justice21. La Cour de justice ne prenait pas position sur le caractère pénal de la sanction fiscale en cause en droit suédois, mais un tel constat semblait inévitable22. Rien à la lecture de l’arrêt n’indique donc que l’effectivité du droit de l’Union puisse justifier une violation du principe ne bis in idem23ou une remise en cause du caractère pénal de procédures et sanctions administratives remplissant les critères Engel. Cette solution correspondait au contrôle strict des cumuls en matière fiscale par la Cour EDH24.

Il est vrai que la Cour de justice rappelle par ailleurs que la juridiction de renvoi demeure libre d’apprécier « s’il y a lieu de procéder à un examen du cumul de sanctions fiscales et pénales prévu par la législation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 […], ce qui pourrait l’amener, le cas échéant, à considérer ce cumul comme contraire auxdits standards, à condition que les sanctions restantes soient effectives, proportionnées et dissuasives »25. Toutefois, il convient de noter que les standards visés au point 29 sont bien les standards nationaux, car en application de la jurisprudence Melloni, « lorsqu’un acte du droit de l’Union appelle des mesures nationales de mise en œuvre […] il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d’appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu’interprétée par la Cour, ni la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union »26. En dépit d’une construction manquant sans doute de clarté, ces principes interviennent donc non comme des limites à l’effectivité du droit fondamental dans l’ordre juridique de l’Union mais, conformément à une jurisprudence désormais bien établie, à la liberté des autorités nationales d’appliquer des standards nationaux plus élevés. C’est donc avec raison que l’avocat général Campos Sánchez-Bordona et le juge Pinto de Albuquerque signalaient l’incompatibilité entre cet arrêt et la nouvelle position de la Cour EDH. La jurisprudence antérieure de la Cour EDH manquait elle aussi de clarté en ce qui concerne le problème spécifique du cumul de procédures et sanctions de nature pénale. Les arrêts en matière d’infractions routières et ceux qui portaient sur des procédures fiscales pouvaient difficilement être lus comme l’expression d’un ensemble de critères communs27. Nul ne doutait du besoin de clarification28, cependant la jurisprudence antérieure semblait clairement considérer des procédures administratives en matière fiscale qui remplissent les critères Engel comme étant de nature pénale29. La condition fondée sur le « lien matériel et temporel suffisamment étroit » paraît émaner de la

20

Pt 34 de l’arrêt CJUE Åkerberg Fransson, précité. 21 CJUE 5 juin 2012, précité.

22

B. VAN BOCKEL / P. J. WATTEL, op. cit., 872. 23

Cf., contra, C. GAUTHIER / S. PLATON / D. SZYMCZAK, Droits européens des droits de l’homme, Paris, Sirey, 2016, p. 328.

24 Cf. notamment Cour EDH 27 novembre 2014, Lucky Dev c/ Suède, Req. n° 7356/10 ; Cour EDH 20 mai 2014, Nykanen c/ Finlande, Req. n° 11828/11.

25

Pt 36 de l’arrêt Åkerberg Fransson, précité. 26

CJUE 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, ECLI:EU:C:2013:107, pt 60. 27

Cf., sur ce point, l’analyse de la jurisprudence antérieure par le juge Pinto de Albuquerque dans son Opinion dissidente précitée, spéc. pts 33-47.

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jurisprudence relative au cumul de sanctions administratives telles que le retrait de permis avec des sanctions pénales en cas d’infractions au code de la route30.

Soucieuse de saisir une opportunité de clarifier sa jurisprudence concernant ce droit fondamental, la Cour de justice avait d’abord joint l’affaire Menci aux affaires Orsi et Baldetti31, dans lesquelles les questions portaient sur l’application du critère de l’identité de la personne poursuivie ou sanctionnée dans les cas où la sanction fiscale a été imposée à une personne morale, tandis que les poursuites pénales visent son représentant légal, personne physique. Dans ces affaires, la Cour ne s’est pas attardée sur la question de la nature pénale des sanctions fiscales et a estimé que le critère d’identité n’était pas rempli en l’espèce32. Elle s’est par ailleurs attachée à affirmer la conformité de son arrêt à la jurisprudence de la Cour EDH en citant l’arrêt Pirttimäki c/ Finlande33 sur lequel s’appuyait également l’avocat général Campos Sánchez-Bordona34. Comme l’indique ce dernier, ces deux renvois présentaient également le problème des procédures mixtes mais la réponse y dépendait non du problème du « bis » mais d’un aspect bien plus simple de ne bis in idem, l’identité des personnes poursuivies et sanctionnées35. L’affaire Menci offrait une meilleure opportunité de prendre position sur les procédures mixtes et de clarifier l’arrêt Fransson. L’importance d’un arrêt établissant clairement les conditions de compatibilité de ne bis in idem avec le cumul de procédures administratives et pénales s’est sensiblement accrue avec l’arrêt A et B c/ Norvège, suite auquel la Cour de justice a donc décidé de disjoindre l’affaire Menci des deux autres.

Cet arrêt semble étendre la tolérance à l’égard des doubles voies à la matière fiscale et à l’ensemble des procédures administratives, ce qui créait un conflit évident avec le droit de l’Union européenne tel qu’il résultait de la jurisprudence de la Cour de justice. Le juge Pinto de Albuquerque insiste dans son opinion dissidente sur l’atteinte ainsi portée à la convergence entre les deux systèmes européens et au dialogue avec les juges de l’Union. Après l’arrêt Zolotoukhine36 par lequel la Cour EDH s’alignait sur la jurisprudence de la Cour de justice concernant l’identité matérielle des faits, puis l’arrêt Åkerberg Fransson dans lequel la Cour de justice reprenait à son tour la jurisprudence majoritaire de la Cour EDH concernant le cumul de procédures de nature pénale, voici un arrêt qui crée une nouvelle divergence entre les deux systèmes européens de protection des droits fondamentaux. Le juge critique ainsi avec raison37 le choix surprenant de la Cour EDH de se référer38 aux conclusions de l’avocat général Cruz Villalón39, que la Cour de justice n’avait pas suivi dans l’affaire Åkerberg Fransson, plutôt qu’à l’arrêt. Si l’on peut comprendre l’arrêt A et B comme l’expression d’un compromis à l’égard des nombreux États membres ayant manifesté des réticences à l’égard de la protection accrue de ne bis in idem dans la jurisprudence récente, il marque un coup d’arrêt dans la convergence des standards de protection en Europe.

Une clarification de la jurisprudence de la Cour de justice était nécessaire. En choisissant de s’adapter partiellement à la nouvelle position de la Cour EDH, la Cour de justice opère à son tour un revirement. Ainsi, la jurisprudence antérieure des deux juridictions européennes est trouve remise en question par la décision de la Cour EDH à laquelle la Cour de justice s’est trouvée contrainte de répondre.

30 Cf. notamment l’arrêt Cour EDH, 13 déc. 2005, Nilsson c/ Suède, Req. n° 73661/01. 31 CJUE 5 avril 2017, précité.

32 Pts 22-23 de l’arrêt.

33 Cour EDH, 20 mai 2014, Pirttimäki c/ Finlande, Req. n° 35232/11, pt 51, cité pt 25 de l’arrêt Orsi et Baldetti. 34 Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona présentées le 12 janvier 2017, dans les affaires jointes Orsi et Baldetti, précitées, ECLI:EU:C:2017:14, pts 34-35.

35

Pt 3 des Conclusions précitées. 36 Cour EDH 10 février 2009, précité. 37 Pt 67 de l’Opinion dissidente précitée. 38 Pt 118 de l’arrêt A et B, précité. 39

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B. L’acceptation d’une nouvelle limitation de ne bis in idem

Dans les arrêts Menci, Garlsson Real Estate et Di Puma et Zecca, la Cour de justice se trouvait comme l’indique l’avocat général face à un dilemme auquel elle a choisi de répondre par un compromis. En retenant l’alignement partiel sur la Cour EDH, la Cour de justice introduit en droit de l’Union européenne une nouvelle limite aux garanties qui résultent de ne bis in idem. En dépit de la présentation choisie par les deux Cours européennes, il s’agit bien d’une restriction nouvelle à ce droit fondamental. Comme la Cour EDH, la Cour de justice tente toutefois de s’appuyer sur sa jurisprudence antérieure pour éviter l’apparence d’un revirement.

La Cour fonde la possibilité de limiter la portée de ne bis in idem en vertu de l’article 52§1 de la Charte sur l’arrêt Spasic40. Le renvoi à cet arrêt ne suffit cependant pas à convaincre de l’absence de revirement tant la pertinence de ce précédent en l’espèce semble contestable. Dans cette affaire, la Cour devait répondre à une question concernant la compatibilité avec ce principe de la condition d’exécution prévue à l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen. Elle s’appuie notamment sur les Explications relatives à la Charte41 pour juger que la limitation résultant de cette condition supplémentaire est compatible avec l’article 50. Elle estime en outre que cette limitation est prévue par la loi, ne remet pas en cause l’essence du principe et est proportionnée à l’objectif poursuivi42. Or, cet objectif est déterminant dans la motivation de l’arrêt. Comme l’indique la Cour, la condition d’exécution vise à éviter que des personnes définitivement condamnées dans un État membre qui n’aurait pas fait exécuter la peine puissent échapper à toute sanction en circulant au sein de l’espace de liberté, sécurité et justice. Il s’agit de concilier protection des droits fondamentaux et liberté de circulation dans l’espace Schengen43.

L’affaire Spasic présente des caractéristiques qui la distinguent fondamentalement des affaires tranchées le 20 mars 2018. Elle porte sur la mise en œuvre de ne bis in idem dans les situations transfrontalières et la prise en compte des difficultés d’exécution des peines qui peuvent être créées par l’exercice d’une liberté de circulation. Il s’agit d’assurer l’effectivité d’une peine effectivement prononcée tout en garantissant la libre circulation des personnes. Aucune de ces caractéristiques ne se retrouve dans les arrêts commentés ici. Les affaires en cause au principal concernaient toutes des cas où une première sanction avait été non seulement prononcée mais exécutée et qui ne présentaient aucun élément transfrontalier. Il est dès lors permis de douter que la ratio decidendi de l’arrêt Spasic

soit transposable dans ces affaires. Seule la lecture très générale qu’en retient la Cour de justice peut être reprise mais l’appréciation des limitations envisagées dans ces trois arrêts ne pouvait qu’être très différente de celle qui résultait de cet arrêt.

Cette lecture est également celle qui ressort des Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona. Comme le juge Pinto de Albuquerque, il commence par rappeler le caractère censément

40

CJUE 27 mai 2014, Spasic, C-129/114 PPU, ECLI:EU:C:2014:586. L’arrêt est cité aux pts 40 de l’arrêt Menci, 42 de l’arrêt Garlsson Real Estate et 41 de l’arrêt Di Puma et Zecca.

41

Les Explications ne contiennent toutefois pas une mention expresse de l’article 54 de la Convention d’application parmi les dispositions visées par l’article 52§1 de la Charte, comme l’indique la Cour au pt 54 de l’arrêt Spasic, précité.

42

Pts 57-74 de l’arrêt Spasic, précité.

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absolu du droit fondamental en cause tant en droit de l’Union européenne que dans le Protocole n° 744 et l’impossibilité de justifier des limitations par des considérations d’ordre économique. Il s’interroge ensuite sur la possibilité d’établir une analogie entre l’affaire Spasic et l’affaire Menci. Il estime qu’en l’espèce le contenu essentiel du droit n’est pas respecté puisque l’on a bien une double réponse répressive pour un même fait. La Cour de justice élude comme à son habitude la justification du choix de précédent invoqué45 et en retient la lecture la plus générale possible sans s’expliquer. L’alignement, même partiel, sur la position de la Cour EDH apparaît pourtant bien comme une remise en cause de l’un des fondements de ne bis in idem tel qu’il résulte des jurisprudences européennes des quinze dernières années.

Or, la différence dans l’appréciation de la pertinence du renvoi à l’arrêt Spasic fonde des approches différentes de la compatibilité de la limitation avec l’article 52§1 de la Charte. Selon l’avocat général, la condition de nécessité dans le cadre du contrôle de proportionnalité n’est pas remplie. A cet égard, le simple fait que certains États membres aient choisi de ne pas cumuler deux procédures de nature pénale démontre que les systèmes tels que le doppio binario italien se sont pas indispensables et l’avocat général rappelle que les États membres peuvent toujours, s’ils le souhaitent, prévoit un cumul entre une procédure pénale et une procédure administrative dépourvue de caractère pénal46. L’avocat général rejette ainsi en bloc la compatibilité cumuls de procédures et sanctions de nature pénale avec

ne bis in idem en tant qu’elles constituent des atteintes excessives au droit fondamental en cause. L’arrêt Menci ne s’intéresse pas à ces questions et évacue en un paragraphe la question de l’éventuelle atteinte au contenu essentiel de l’article 50 de la Charte47. La Cour de justice estime que le respect de ce contenu essentiel résulte du simple fait que le cumul n’est permis « qu’à des conditions limitativement fixées », sans chercher à aucun moment à démontrer la compatibilité d’un système prévoyant une double réaction répressive pour un même fait avec l’essence de ne bis in idem. Ces points sont reproduits à l’identique dans l’arrêt Garlsson Real Estate, dans lequel la Cour de justice se dispense également de la précaution, prise dans l’arrêt Menci, consistant à préciser que l’appréciation de ces conditions se fonde sur les indications figurant dans le dossier dont elle dispose48. La seule discussion concernant l’essence des principes en cause intervient dans l’arrêt Di Puma et Zecca. Elle ne porte pas sur ne bis in idem mais sur l’autorité de chose jugée. Dans cet arrêt, la Cour de justice adopte une motivation différente de celles des deux autres arrêts du même jour en mettant immédiatement en avant l’importance de l’autorité de chose jugée49. Elle passe encore plus rapidement ici sur la question de la possibilité d’une limitation justifiée sur le fondement de l’article 52§1, renvoyant à la motivation des deux autres arrêts50.

Le refus de la Cour de justice de s’engager dans une discussion approfondie de la possibilité d’appliquer Spasic par analogie et la légitimité d’une telle limitation à ce droit fondamental sont aisément compréhensibles à la lecture des critiques formulées par son avocat général ainsi que par le juge dissident de la Cour EDH. Il s’agit bien d’un revirement dans l’interprétation de l’article 4 du Protocole n° 7, qui établit une nouvelle limitation au droit ne bis in idem. Il n’est pas possible de s’appuyer sur la jurisprudence antérieure de la Cour de justice pour la justifier et la possibilité de

44

Pt 78 des Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona présentées dans l’affaire Menci, précitées, et pts 22, 49 de l’Opinion dissidente, précitée.

45

Cf. notamment A. ARNULL, The European Union and its Court of Justice (2nd ed.), Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 631.

46

Pts 83 et 89 des Conclusions. 47

Pt 43 de l’arrêt Menci, précité.

48 Pts 42-45 de l’arrêt Garlsson Real Estate e.a., précité.

49 Pt 31 de l’arrêt Di Puma et Zecca, précité. Concernant l’appréhension du lien entre ne bis in idem et autorité de chose jugée par les deux Cours européennes, cf. infra, p. xxxxxx.

(9)

mener deux procédures de nature pénale contre une même personne pour les mêmes faits paraît opposée à la conception de ce droit fondamentale développée par les deux juridictions européennes dans leur jurisprudence récente. La Cour de justice pouvait difficilement fonder la position qu'elle adopte dans ces arrêts sans éluder le problème pourtant central de la légitimité d’une telle limitation. Comme le rappelait bien le juge Pinto de Albuquerque, le recours de plusieurs États membres à ce type de double voie est lié à un processus plus général de dépénalisation d’infractions au profit du développement du droit administratif répressif. Or, loin de garantir les droits des justiciables et dans la mesure où il aboutit à créer des procédures et sanctions administratives d’une sévérité équivalente à celle du droit pénal, ce processus est la manifestation d’une évolution de la politique répressive vers un souci de fermeté et d’efficacité - voire de punition plus « expéditive »51. Le passage d’une procédure pénale à une procédure administrative peut en lui-même être problématique, mais dès lors que la procédure administrative prend un aspect quasi-pénal son cumul avec les poursuites pénales paraît particulièrement difficile à défendre du point de vue des droits fondamentaux. La Cour EDH se fonde sur la prise en considération du souci d’efficacité exprimé par les États mais aussi sur l’idée, issue notamment de l’arrêt Jussila52, selon laquelle il existerait un « noyau dur » du droit pénal hors duquel les garanties n’auraient pas à être aussi fortes53.

Ainsi, dans le développement d’une politique répressive en droit administratif dans des domaines tels que la fiscalité, les États pourraient s’affranchir du plein respect des droits fondamentaux associés au droit pénal. La notion de « noyau dur » n’a pas réellement été élaborée et peut être considérée comme un obiter dictum dans l’arrêt Jussila54. Elle joue toutefois un rôle évident dans l’argumentation de la Cour EDH dans l’arrêt A et B puisqu’il s’agit bien de transposer à l’article 4 du Protocole n° 7 l’idée selon laquelle le type d’affaire en cause ne concerne pas le cœur du droit pénal et ne justifie pas la mise en œuvre du degré de protection le plus élevé. Or, on pourrait au contraire considérer que si un État juge nécessaire de prévoir à la fois une sanction pénale et une sanction administrative sévère pour un même fait, celui-ci atteint nécessairement le degré de gravité permettant d’entrer dans le « noyau dur » du droit pénal55.

La Cour de justice accepte à son tour, par ces trois arrêts du 20 mars 2018, l’objectif répressif poursuivi par le cumul de procédures administratives de nature pénales avec des procédures pénales. Elle intègre au droit de l’Union européenne le résultat auquel aboutit l’arrêt A et B, suivant lequel de tels cumuls sont admissibles sous certaines conditions. Il est toutefois aussi intéressant de noter que, si elle accepte ainsi une remise en question de sa propre jurisprudence, la Cour de justice refuse nettement la ratio decidendi de l’arrêt A et B et propose une motivation fondamentalement différente. Elle aboutit aussi à une certaine tolérance à l’égard des doubles voies instituées par les États membres mais s’appuie sur l’autonomie du droit de l’Union européenne pour fonder sa solution sur des bases différentes et sans doute plus stables.

II. Le refus de la ratio decidendi de l’arrêt A et B, condition du maintien d’un standard de protection plus élevé en droit de l’Union européenne

51 Pts 20-21 de l’Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque. Cf. également O. DÉCIMA, « Unum in idem : cumul des sanctions pénales et fiscales », Note sur l’arrêt A et B, JCP G 2017, n° 7-8, pp. 314-317, p. 316. 52 Cour EDH 23 novembre 2006, Jussila c/ Finlande, Req. n° 73053/01. Dans cet arrêt, la Cour EDH a affirmé que les exigences découlant du droit à un procès équitable devaient être modulées en fonction du caractère de la procédure pénale en cause, considérant que ces garanties n’avaient pas à s’appliquer dans leur totalité à une accusation dépourvue de « caractère infamant ».

53 Pt 133 de l’arrêt A et B, précité. 54

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Le choix de la « troisième voie » conduit la Cour de justice à rejeter les principaux aspects de la motivation de l’arrêt de la Cour EDH tout en en transposant l’apport en droit de l’Union européenne. Si le cumul de deux procédures de nature pénale est possible en droit de l’Union européenne, ce ne sera pas en application des critères ni du raisonnement présentés par la Cour de justice. A l’invitation de son avocat général, la Cour de justice s’appuie sur l’autonomie de l’interprétation de l’article 50 de la Charte pour retenir une approche différente (A), notamment marquée par un contrôle de proportionnalité plus précis et exigeant que celui qui apparaît dans l’arrêt A et B c/ Norvège (B).

A. Une motivation distincte fondée sur l’autonomie de l’interprétation de l’article 50

Le constat du cumul de deux procédures de nature pénale conduit la Cour de justice à constater, dans les trois arrêts commentés, une limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte56. Ce constat a une importance essentielle, bien qu’il soit suivi de développements envisageant la justification de telles atteintes. En effet, il affirme l’existence d’une différence fondamentale avec la position retenue par la Cour EDH dans l’arrêt A et B. La Cour de justice refuse de transposer en droit de l’Union européenne la ratio decidendi retenue par la Cour EDH et développe sa propre approche de la double voie et des conditions de sa compatibilité avec le droit fondamental en cause.

Dans l’arrêt A et B, la Cour EDH affirme qu’il n’y a aucune violation de ne bis in idem dans les affaires en cause parce qu’il n’existe pas de « bis ». Elle constate dans les deux cas, comme la Cour suprême norvégienne, l’existence de deux procédures de nature pénale et d’un « idem factum »57et ne remet pas en question le caractère définitif de la première décision rendue58. En revanche, elle se fonde sur la légitimité des motifs fondant le cumul institué en droit norvégien, son caractère prévisible et l’imbrication des deux procédures entraînant notamment la prise en compte des constats et de la sanction résultant de la première procédure dans la seconde, pour conclure à l’absence d’un préjudice disproportionné ou d’une « injustice » dans la mesure où il existe un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les deux procédures pour les considérer comme un mécanisme intégré59. Dès lors qu’il y a un seul mécanisme intégré de réaction aux faits, il ne saurait y avoir répétition des poursuites. Ainsi, selon la Cour EDH, le lien matériel et temporel entre les deux procédures permet d’éviter l’application de ne bis in idem puisqu’il convient de considérer qu’il n’y a qu’une seule réponse répressive.

C’est bien cette ratio decidendi de l’arrêt A et B c/ Norvège que la Cour de justice refuse de transposer en droit de l’Union européenne. Ce refus explique que la Cour commence par indiquer qu’elle n’est pas liée par la Convention dans son interprétation de la Charte du fait qu’elle n’est pas (encore) un

« instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union »60 selon la formule consacrée depuis l’arrêt Åkerberg Fransson61. Tout en renvoyant notamment aux critères Bonda62

permettant de déterminer la nature pénale de poursuites et sanctions, qui constituent la reprise des

56

Pts 39 de l’arrêt Menci, 41 de l’arrêt Garlsson Real Estate e.a. et 40 de l’arrêt Di Puma et Zecca, précités. 57 Cour EDH 10 février 2009, précité. Cf. les pts 140-141 et 148 de l’arrêt A et B, précité.

58

Pts 140-143 et 148 de l’arrêt A et B, précité. 59

Pts 147 et 153 de l’arrêt.

60 Pt 22 de l’arrêt Menci et pt 24 de l’arrêt Garlsson Real Estate e.a., ce rappel disparaissant dans la motivation de l’arrêt Di Puma et Zecca.

(11)

critères Engel, la Cour de justice insiste dans ces arrêts sur la légitimité d’une approche autonome des droits fondamentaux tels que ne bis in idem. Cette approche lui permet d’articuler sa motivation non pas autour de la question de la reprise de l’arrêt A et B en droit de l’Union, mais suivant la méthode indiquée à l’article 52§1 de la Charte, que l’avocat général Campos Sánchez-Bordona avait également privilégiée mais sans aboutir à la même solution. L’idée d’une autonomie du droit de l’Union dans la détermination du contenu des droits fondamentaux et de ne bis in idem en particulier n’est pas neuve63 mais elle peut sembler ici s’opposer au mouvement de convergence entre les deux juridictions européennes. L’autonomie du droit de l’Union se justifie toutefois d’autant plus en l’espèce que la Cour EDH est elle-même à l’origine de la « perturbation »64 dans la collaboration entre les deux Cours et que l’atteinte portée au droit fondamental par l’arrêt de la Cour EDH paraît importante. En particulier, le critère lié au « lien matériel et temporel » entre les deux procédures paraît peu clair dans la jurisprudence antérieure de la Cour EDH65 et les précisions données dans l’arrêt A et B et dans

Jóhannesson e.a. c/ Islande66, ne sont pas entièrement satisfaisantes67. L’avocat général rappelle par ailleurs le nombre d’États membres ayant refusé de signer ou ratifier le Protocole n° 7, ou ayant émis des réserves68 mais insiste surtout sur la difficulté qu’il y aurait à « renoncer au niveau de protection déjà atteint avec l’arrêt Åkerberg Fransson au seul motif que la Cour européenne des droits de l'homme a changé de position »69.

En retenant l’existence d’une atteinte à ne bis in idem, la Cour de justice établit une différence significative entre sa position et celle de la Cour EDH. Elle rejette tant la notion de de « noyau dur » du droit pénal que celle, centrale à la motivation de l’arrêt A et B, d’imbrication des deux procédures fondée sur un critère tiré d’un lien matériel et temporel suffisamment étroit. La Cour de justice indique qu’elle prend en considération le fait que les deux procédures ont « des buts complémentaires ayant pour objet, le cas échéant, des aspects différents du même comportement infractionnel concerné »70. Ce passage renvoyant au lien recherché par la Cour EDH intervient toutefois dans le cadre du contrôle de légitimité de l’objectif poursuivi au sens du contrôle de proportionnalité exigé par l’article 52§1 de la Charte71. Du point de vue du droit de l’Union européenne, les deux procédures demeurent bien distinctes et déclenchent de ce fait l’application de ne bis in idem. La Cour de justice veille dans son arrêt Menci à indiquer que le niveau de protection établi dans son arrêt ne méconnaît pas celui qui est garanti à l’article 4 du Protocole n° 7 en vertu de l’arrêt A et B72. Cette compatibilité ne vaut cependant pas équivalence.

L’une des différences les plus visibles concerne l’importance que chacune des juridictions accorde à la relation entre ne bis in idem et autorité de chose jugée, aussi bien au niveau des rapports de principes qu’en ce qui concerne les modalités de mise en œuvre concrète du droit fondamental. La Cour EDH indique dans son arrêt A et B que ne bis in idem « vise principalement l’équité procédurale, qui est

63

Cf. notamment X. GROUSSOT / A. ERICSSON, op. cit., spéc. pp. 76-87; D. SARMIENTO, « Ne Bis in Idem in the Case Law of the European Court of Justice », in B. van BOCKEL (ed.), op. cit., pp. 103-130, pp. 129-130. 64

Suivant le terme employé par le juge Pinto de Albuquerque dans son Opinion dissidente, pt 80. 65

Cf. le pt 46 de l’Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque. 66

Cour EDH 18 mai 2017, précité. 67 O. DÉCIMA, op. cit., p. 317. 68

Pt 35 des Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Menci, précitées. Concernant la nécessité de prendre en considération les divergences entre États membres concernant ne bis in idem dans l’élaboration de standards européens convergents, cf. notamment P. J. WATTEL, op. cit., pp. 176-177.

69

Pt 79 des Conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Menci, précitées. 70

Pts 44 de l’arrêt Menci, 46 de l’arrêt Garlsson Real Estate e.a. et 42 de l’arrêt Di Puma et Zecca. Dans les deux premiers, la Cour précise qu'il appartient à la juridiction de renvoi d vérifier si tel est bien le cas en l’espèce.

71 Sur ce point, cf. infra, p. xxxxxxx.

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l’objet de l’article 6, et s’intéresse moins au droit pénal matériel que l’article 7 »73. Cette position peut surprendre car ne bis in idem apparaît au contraire comme un droit subjectif qui va bien au-delà d’une règle procédurale et se distingue notamment de l’autorité de la chose jugée par l’accent plutôt placé sur la protection du justiciable74. Le juge Pinto de Albuquerque conteste avec raison le postulat apparent selon lequel ne bis in idem serait plutôt une règle procédurale visant à garantir l’autorité de la chose jugée avec pour but la satisfaction de l’intérêt punitif de l’État qu’une expression d’un droit subjectif de l’accusé75. Sur ce point, le refus de suivre en droit de l’Union européenne la position selon laquelle il n’y aurait dans certains cumuls aucune atteinte à ce droit fondamental illustre une volonté d’offrir une meilleure protection au justiciable.

Paradoxalement, c’est également l’approche de la Cour de justice qui prend le mieux en considération le jeu de l’autorité de chose jugée non en tant que notion inspirant l’interprétation de ne bis in idem, mais en tant que principe distinct à prendre en considération dans la mise en œuvre de ce droit fondamental. L’arrêt A et B n’évoque pas le problème et il est particulièrement surprenant de constater que la Cour EDH ne paraît y établir aucune distinction suivant l’ordre dans lequel les procédures administrative et pénale sont conduites. Or, on ne peut ignorer que l’incidence d’une sanction administrative, même définitive, sur un procès pénal ne saurait être la même que celle d’un jugement rendu dans une procédure pénale sur une procédure administrative76. Dans le second cas, la chose jugée au pénal bénéficiera généralement en vertu du droit processuel d’une autorité empêchant toute remise en cause des points ainsi tranchés par l’autorité administrative, tandis que dans le premier il n’existe aucune autorité de chose jugée, la situation devenant différente en cas de jugement annulant la décision administrative par exemple. Compte tenu des difficultés très sérieuses que peut poser la coexistence dans l’ordre juridique de décisions différentes sur un même sujet77, le respect nécessaire du jeu de l’autorité de chose jugée dans les ordres juridiques nationaux doit être pris en considération avec bien plus de sérieux que ne semble l’exiger la jurisprudence de la Cour EDH78.

La Cour de justice profite d’une question portant directement sur ce problème dans les affaires Di Puma et Zecca pour offrir à la juridiction italienne une réponse mettant particulièrement en avant la nécessité de garantir l’autorité de chose jugée. La première question préjudicielle interrogeait en effet la Cour sur la compatibilité de la disposition italienne garantissant l’autorité de chose jugée du jugement pénal sur les procédures administratives postérieures avec la directive 2003/6, au regard de l’article 50 de la Charte. La Cour de justice traite la question en répondant d’abord en ce qui concerne la compatibilité de la directive 2003/6 avec une telle règle nationale, avant de confirmer qu’une telle interprétation de la directive est compatible avec l’article 5079. Tout en établissant un lien avec les deux autres arrêts du 20 mars, elle fait ainsi le choix de structurer sa motivation très différemment, contrairement à ce qu’avait fait l’avocat général qui aboutissait à la même réponse en reprenant une argumentation structurée comme celles de ses deux autres conclusions80.

73

Pt 107 de l’arrêt A et B, précité.

74 C’est notamment cette différence qui fonde la coexistence des deux principes et leurs apports distincts en matière de procédure pénale. Sur la relation entre autorité de chose jugée et ne bis in idem, cf. notamment J. LELIEUR-FISCHER, La règle ne bis in idem. Du principe de l’autorité de la chose jugée au principe d’unicité d’action répressive, Thèse soutenue à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), 2005, 615 p., spéc. pp. 84-98; B. VAN BOCKEL, The Ne Bis In Idem Principle in EU Law, Alphen aan den Rijn, Kluwer Law International, 2010, spéc. p. 25.

75

Pts 35 et 49 de l’Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque, précitée.

76 Cf., sur ce point, le pt 39 de l’Opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque, précitée. 77

Le problème est notamment relevé par le juge Pinto de Albuquerque dans son Opinion dissidente, précité, pt 62.

78 O. DÉCIMA, op. cit., p. 317.

79 Pts 26-36 et 37-45 de l’arrêt Di Puma et Zecca, précité.

(13)

Ce choix permet à la Cour de justice de rappeler la formule désormais consacrée concernant l’importance du principe de l’autorité de la chose jugée « tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux »81, employée ici dans sa fonction première consistant à rappeler le respect du droit de l’Union pour les règles nationales garantissant l’autorité de la chose jugée82. La Cour de justice n’a exigé des juges nationaux qu’ils écartent les règles nationales relatives à l’autorité de chose jugée que lorsqu’elle a jugé qu’elles lui donnaient une portée excessive susceptible de porter atteinte à l’effectivité du droit de l’Union83. En l’espèce, la Cour estime qu’aucune circonstance ne justifie d’écarter la règle nationale couvrant les éléments de fait tranchés dans le jugement pénal. Elle précise que la possibilité de constater et de sanctionner les infractions de manière effective n’est pas affectée, dans la mesure où l’autorité administrative en cause a notamment les moyens de s’assurer que la procédure pénale tient compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle dispose84. La Cour ajoute enfin que l’émergence de faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental de procédure peut toujours, en vertu de l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH, justifier la réouverture de la procédure pénale85. La suite de l’arrêt est consacrée à l’examen de la règle nationale au regard de ne bis in idem et affirme justement que la remise en cause des constatations factuelles couvertes par un jugement pénal définitif par la poursuite d’une sanction administrative de nature pénale dépasse manifestement ce qui est nécessaire afin d’atteindre les objectifs de la directive. Il s’agirait donc non seulement d’une atteinte non justifiée à l’autorité de chose jugée, mais aussi au principe ne bis in idem.

Dans son arrêt Di Puma et Zecca, la Cour de justice construit donc sa motivation de façon à insister sur la nécessité de respecter l’autorité de chose jugée en tant que norme distincte de ne bis in idem et donc de prendre en considération l’articulation entre les deux dans la mise en œuvre de la règle posée dans l’arrêt Menci concernant le cumul de procédures administratives et pénales. Cet arrêt illustre l’exigence de la Cour dans la reprise partielle de l’arrêt A et B en droit de l’Union européenne. L’affirmation de la légitimité de l’autonomie dans l’interprétation de l’article 50 de la Charte ne conduit pas la Cour à refuser le revirement mais elle lui permet d’adopter une approche différente, plus précise dans le traitement des problèmes juridiques en cause et plus soucieuse du respect de l’essence des principes visés.

B. Une évaluation plus stricte de la justification de l’atteinte

C’est dans l’appréciation de la justification de la limitation de ne bis in idem que l’importance du refus de reprendre la négation de l’atteinte apparaît le plus clairement. La Cour de justice substitue à l’appréciation du lien entre les deux procédures, par lequel la Cour européenne évalue l’applicabilité du droit fondamental, l’appréciation de la justification de l’atteinte qui y est portée sur le fondement

acccordé au principe de l’autorité de chose jugée en tant que norme de droit national aux pts 68-70 de ses Conclusions présentées le 12 septembre 2017, dans les affaires jointes Di Puma et Zecca, précitées.

81 Pt 31 de l’arrêt Di Puma et Zecca.

82 A. TURMO, L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2017, pp. 94-96.

83

Ibid., p. 80 ss. La Cour de justice se réfère ici à l’arrêt Pizzarotti (CJUE 10 juillet 2014, C-213/13, ECLI:EU:C:2014:2067, pts 59-62), où elle distinguait l’affaire de celle qui avait donné lieu à l’arrêt Lucchini (CJCE 18 juillet 2007, C‑119/05, EU:C:2007:434) pour conclure à l’absence d’obligation d’écarter les règles nationales en cause, ainsi qu’à l’arrêt Târșia qui s’y réfère (CJUE 6 octobre 2015, C-19/14, ECLI:EU:C:2015:662, pts 28-29).

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de l’article 52§1 de la Charte. L’analyse ainsi menée permet à la Cour de justice de poser en droit de l’Union européenne un encadrement plus strict de la limitation de ne bis in idem que celui qui résulte de l’arrêt A et B: il offre plus de prévisibilité et paraît pouvoir réduire le nombre de règles nationales couvertes par l’exception. Si l’appréciation de la proportionnalité des mesures en cause peut être contestée, elle constitue à l’évidence un moyen de proposer un niveau de protection qui paraît plus élevé que celui que retient la Cour EDH86.

L’examen de la proportionnalité contraste avec la facilité avec laquelle la Cour accepte que les doubles voies respectent le contenu essentiel de ce droit87. Sans doute dans le souci d’éviter un conflit frontal avec le standard désormais imposé par la Cour EDH, la Cour de justice ne remet à aucun moment en cause la compatibilité de tels cumuls de poursuites et sanctions avec l’essence de ne bis in idem dès lors qu’ils sont soumis à des conditions limitativement fixées. Elle concentre en revanche son contrôle sur l’appréciation de la proportionnalité, requise par la deuxième phrase de l’article 52§1. La première étape de ce contrôle porte sur l’identification d’un objectif d’intérêt général, qui n’est contesté dans aucune des quatre affaires. L’arrêt Menci concerne des poursuites menées afin de lutter contre les infractions en matière de TVA dont la Cour a plusieurs fois reconnu l’importance, notamment en raison de son lien avec la protection des intérêts financiers de l’Union88. La Cour de justice rappelle d’ailleurs en exergue de sa motivation l’importance de cet objectif et les obligations des États membres en la matière89. Les arrêts Garlsson Real Estate e.a. et Di Puma et Zecca portent quand à eux sur des mesures nationales entrant dans le champ d’application de la directive 2003/6, que la Cour relie à l’objectif de protéger l’intégrité des marchés financiers et la confiance du public dans les instruments financiers, qui constituent également des objectifs d’intérêt général susceptibles de justifier selon elle la limitation de ce droit fondamental90.

C’est à ce stade que la Cour de justice mentionne la prise en considération de la complémentarité des deux procédures.Il est intéressant de retrouver cet élément au sein du contrôle de proportionnalité. Cette complémentarité ne conduit pas en droit de l’Union européenne à nier l’existence de deux procédures distinctes mais prend sa place dans l’examen de la justification. Le fait que les deux procédures visent des aspects différents du comportement infractionnel, ce qui semble en tous les cas difficile à démontrer, doit faciliter la justification du cumul par le souci d’effectivité dans la dissuasion et la sanction des actes portant atteinte à l’objectif légitime. Ici encore, la Cour de justice reprend l’un des postulats qui fondent l’arrêt A et B, selon lequel il serait possible de distinguer clairement les aspects infractionnels d’un même comportement visés par une procédure administrative et une procédure pénale, mais sans y donner une importance excessive dans son raisonnement.

Intervient ensuite le contrôle de proportionnalité de l’atteinte au droit fondamental au sens strict. Les étapes en sont bien connues: contrôle de l’aptitude et de la nécessité de la mesure en cause au regard de l’objectif poursuivi. On note avec intérêt que la Cour de justice place ces développements sous le signe du respect de l’autonomie des États membres dans le choix des sanctions applicables en

86

Concernant l’absence de contrôle de proportionnalité selon la jurisprudence A et B, cf. notamment O. DÉCIMA, op. cit., p. 317.

87

Sur ce point, cf. supra, p. xxxxxx.

88 La infractions en matière de TVA étaient en cause, faut-il le rappeler, dans l’arrêt Åkerberg Fransson (CJUE

26 février 2013, précité) mais aussi dans les arrêts Taricco I (CJUE 8 septembre 2015, Procédure pénale c/ Ivo Taricco e.a., 105/14, ECLI:EU:C:2015:555) et Taricco II (CJUE 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B., C-42/17, ECLI:EU:C:2017:936).

89 Pts 18-19 de l’arrêt Menci, précité, qui précèdent la confirmation de la légitimité de cet objectif aux pts 44-45.

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l’absence d’harmonisation91, peut-être un signe de bonne volonté à l’égard des juridictions constitutionnelles nationales, en particulier italienne, dont on connaît les résistances récentes à la jurisprudence de la Cour en matière de droits fondamentaux92. Ce passage contribue à fonder l’admission de l’aptitude des mesures nationales à réaliser les objectifs poursuivies. La Cour de justice considère ainsi que les États membres sont libres de considérer que le cumul est un choix pertinent pour prévenir et sanctionner les infractions visées.

C’est au niveau du contrôle de nécessité que la Cour de justice place l’essentiel du contrôle concret des normes en cause. La Cour de justice s’avance en effet dans les trois arrêts, contrairement à ce qu’elle avait fait dans l’arrêt Åkerberg Fransson, dans la résolution des litiges en cause au principal. Elle exige tout d’abord, comme la Cour EDH93, que l’atteinte portée à ne bis in idem soit prévisible, mais précise cette condition en y intégrant un examen de la clarté et la précision des dispositions. Ensuite, la Cour s’attèle à évaluer la « stricte nécessité » proprement dite des atteintes portées aux droits des intéressés. Cette condition s’applique séparément au cumul de procédures, pour lequel elle impose notamment l’existence d’une coordination réduisant la charge supplémentaire pour le justiciable, et au cumul de sanctions. Concernant ce deuxième aspect, il faut pouvoir s’assurer que la sévérité de l’ensemble des sanctions demeure proportionnée à la gravité du comportement sanctionné, notamment au regard de l’article 49§3 de la Charte. La Cour de justice exige que les autorités nationales compétentes soient soumises à des règles contraignantes concernant ces deux aspects du contrôle de nécessité94. Enfin, elle précise qu’il ne suffit pas de prendre en considération les règles applicables mais il faut évaluer la proportionnalité dans la pratique concrète des autorités et des juridictions nationales 95 . Cette indication est particulièrement importante car elle permet l’appréciation du degré effectif de protection des droits fondamentaux et l’évaluation au cas par cas des situations en cause.

C’est à cette étape que la Cour de justice constate l’incompatibilité des atteintes en cause dans les affaires Garlsson Real Estate et Di Puma et Zecca. Dans les secondes elle constate aisément que la règle nationale visant à préserver l’autorité de chose jugée d’un jugement de relaxe est nécessaire puisque la poursuite d’une procédure de sanction administrative de nature pénale, alors dépourvue de tout fondement, dépasserait manifestement ce qui est nécessaire96. Dans la première, elle estime que les règles nationales sont aptes à atteindre l’objectif et que la coopération entre les organes concernés est susceptible de réduire la charge résultant du cumul de procédures. Cependant, les conditions du cumul de sanctions peuvent aboutir à un résultat dépassant ce qui est strictement nécessaire dès lors qu’a déjà été prononcée une condamnation pénale de nature à réprimer l’infraction de manière effective, proportionnée et dissuasive. La Cour de justice s’attache à l’examen détaillé de la législation nationale et constate également que la disposition nationale permettant la prise en compte du cumul de sanctions ne semble concerner que les cas de cumul de sanctions pécuniaires, et ne permet donc pas de garantir une limitation de la sévérité des sanctions au cas où l’une d’entre elles serait une peine d’emprisonnement97.

Bien que ces indications soient données dans les arrêts Menci et Garlsson Real Estate sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, ces passages témoignent d’un souci de contrôle effectif par les juridictions nationales et la Cour de justice des atteintes ainsi portées à ne bis in idem. Le cumul de procédures et de sanctions doit demeurer exceptionnel et se faire dans des conditions qui

91 Pts 47 de l’arrêt Menci et 49 de l’arrêt Garlsson Real Estate e.a.

92 Ces arrêts suivent en effet l’infléchissement de la position de la Cour de justice dans l’arrêt Taricco II, précité, suite à l’alerte sonnée par la Corte costituzionale.

93 Pt 132 de l’arrêt A et B, précité. 94 Pts 53 et 55 de l’arrêt Menci. 95 Pt 59 de l’arrêt Menci. 96

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permettent de n’accroître ni la charge pour le justiciable, ni la gravité de la sanction au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif invoqué. Les exigences ainsi imposées aux États membres paraissent constituer un garde-fou sensiblement plus efficace que les indications données par la Cour EDH dans l’arrêt A et B. Bien que la Cour de justice admette la compatibilité de cumuls de procédures et sanctions avec l’article 50, elle le fait en posant un cadre plus précis et plus sécurisant pour les personnes concernées. C’est ici que le choix de rejeter la ratio decidendi de la Cour EDH prend tout son intérêt: le maintien du constat d’atteinte au droit fondamental permet à la Cour de justice d’insister sur le contrôle de proportionnalité.

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