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Sporteteconomie Eber REP2008

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Ce que les sportifs ont appris

aux économistes

Nicolas Eber*

Les économistes utilisent de plus en plus des données provenant du monde sportif pour tester leurs théories. En effet, le sport de compétition offre un « laboratoire » particulièrement riche, dans lequel des individus hautement expérimentés et extrême-ment motivés font, en permanence, des choix stratégiques dans un cadre invariant et contrôlé. Il n’est donc pas surprenant d’assister à une montée en puissance des études empiriques fondées sur des données « sportives ». Ces travaux s’appuient essentielle-ment sur quatre grandes catégories de données : les salaires des joueurs profession-nels, les performances enregistrées lors des compétitions, les records (notamment d’athlétisme) et les stratégies des sportifs observées pendant les compétitions. L’objet du présent article est de faire le point sur les principaux résultats provenant de ces quatre types d’études.

sport - théorie économique

What Athletes Have Taught Economists

Economists use more and more sports data to test their theories. Sports offer a very fruitful “laboratory” where highly experienced and motivated individuals make perma-nently strategic decisions in a controlled and invariant framework. It is therefore not surprising to observe the rise in empirical studies based on sports data. These studies rely on four main categories of dataset: salaries of professional athletes, results from tournaments, records (especially from track and field) and athletes’ strategies observed during the games. In this paper, we review the main results from these four types of studies.

sports - economic theory

Classification JEL : L83

* LARGE, IEP, Université Robert Schuman (Strasbourg III), e-mail: nicolas.eber@urs.u-strasbg.fr.

L’auteur tient à remercier les participants au séminaire DESport, et tout particulièrement Wladimir Andreff et Stefan Szymanski, ainsi qu’un rapporteur de la Revue pour leurs remar-ques et suggestions. Il remercie également Anne Lavigne pour son aide précieuse dans l’élaboration de la version finale de l’article.

•A

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Introduction

L’économie du sport s’est fortement développée depuis une vingtaine d’années (Andreff et Szymanski [2006]). Généralement, on l’envisage comme l’utilisation des outils de l’analyse économique pour étudier l’indus-trie du sport. Cependant, cette définition est quelque peu restrictive. En effet, elle omet une seconde facette du croisement entre sport et économie : le fait que le sport permet de mieux comprendre l’économie !

L’économie du sport renvoie généralement à la première facette, en étu-diant certaines questions importantes sur les aspects économiques et finan-ciers du sport, notamment du sport professionnel. Cet article porte sur la seconde facette. Il montre comment l’observation du sport de haut niveau peut donner des pistes intéressantes aux économistes. En effet, la compéti-tion sportive offre un cadre particulièrement propice aux vérificacompéti-tions de certaines théories économiques car il s’agit d’un contexte hautement concurrentiel, avec des acteurs particulièrement motivés et compétents (i.e.

« rationnels »), des règles du jeu claires et stables et des performances/ résultats parfaitement objectifs, mesurés sans aucune ambiguïté par un score ou par un temps1.

L’un des indices de la montée en puissance de la mobilisation de données sportives pour tester la théorie économique est la présence de plus en plus fréquente d’articles faisant référence au sport dans les revues généralistes. Pour évaluer cette montée en puissance, on peut observer, pour l’ensemble des grandes revues généralistes, le nombre d’articles publiés faisant, d’une manière ou d’une autre, référence au sport (articles qualifiés de « sportifs » dans la suite). On s’intéresse ici uniquement aux revues généralistes car le propos est d’illustrer comment l’observation des sportifs peut informer la théorie économique. Il ne s’agit donc pas de repérer l’ensemble des articles consacrés à l’industrie du sport, mais l’ensemble des articles prenant le sport comme exemple ou comme support empirique d’un discours écono-mique général. À cet égard, le nombre d’articles « sportifs » dans les revues généralistes est probablement une bonne approximation de l’intensité avec laquelle les économistes mobilisent le sport dans l’évaluation de leurs théo-ries2. En utilisant la base de donnéesEconLit, nous avons recensé

l’ensem-ble des articles « sportifs » publiés dans les grandes revues généralistes entre 1991 et 20063.

1. Les performances sportives sont probablement les activités humaines les mieux mesu-rées : dans quel autre domaine a-t-on des règles quasiment inchangées depuis un siècle et un enregistrement complet de l’ensemble des performances réalisées sur la base de chiffres fiables et ne comportant aucune ambiguïté ?

2. Il est bien évident qu’il ne s’agit que d’une approximation. Les revues généralistes publient parfois des articles ayant une problématique spécifiquement sportive, sans lien direct avec la théorie économique. Par exemple, l’article de Bernard et Busse [2004] sur les déterminants des performances olympiques n’est pas problématisé en termes de théorie économique.

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En premier lieu, on peut s’intéresser aux huit grandes revues du Blue

Ribbon. Le Tableau 1 donne les chiffres par année pour chacune de ces

revues.

Tableau 1. Publication d’articles « sportifs » dans les revues duBlue Ribbon

AER E IER JET JPE QJE RES REStat Total

1991 1 0 0 0 1 0 0 0 2

1992 0 0 0 0 0 0 0 1 1

1993 1 0 0 0 0 0 0 1 2

1994 0 0 0 0 0 0 0 0 0

1995 0 0 0 0 0 0 0 0 0

1996 0 0 0 0 0 0 0 0 0

1997 0 0 0 0 0 0 0 0 0

1998 0 0 0 0 0 0 0 0 0

1999 0 0 0 0 1 0 0 1 2

2000 0 0 0 0 1 0 0 1 2

2001 1 0 0 0 1 0 0 0 2

2002 3 0 0 0 0 0 0 0 3

2003 0 0 0 0 0 0 1 2 3

2004 2 0 0 0 1 0 0 1 4

2005 0 0 0 0 0 0 0 1 1

2006 2 0 0 0 2 0 0 0 4

Total 10 0 0 0 7 0 1 8 26

Note : AER =American Economic Review, E =Econometrica, IER =International Eco-nomic Review, JET =Journal of Economic Theory, JPE =Journal of Political Economy, QJE =Quarterly Journal of Economics, RES =Review of Economic Studieset REStat =

Review of Economics and Statistics.

Le Tableau 1 montre d’une part que 4 des 8 revues n’ont jamais publié un seul article « sportif ». D’autre part, sur l’ensemble des 8 revues, on recense 21 articles « sportifs » sur la période 1999-2006 contre 5 sur la période 1991-1998 : manifestement, les très grandes revues généralistes publient davan-tage d’articles « sportifs » aujourd’hui qu’il y a dix ans.

Journal of Economic Literature(JEL), puis nous avons corrigé en éliminant les articles n’ayant pas de lien direct avec le sport (c’est-à-dire relevant deGambling,Recreationou

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La Figure 1 présente les chiffres obtenus sur un ensemble plus large de revues généralistes.

Là encore, la tendance générale est à la hausse : de plus en plus d’articles « sportifs » sont publiés dans l’ensemble des revues généralistes. En conclu-sion, il semble bien que de plus en plus de travaux en économie s’appuient sur des exemples sportifs ou des données sportives.

L’objet de cet article est de faire le point sur les principaux résultats que la théorie économique a pu obtenir de l’observation du monde sportif. Ces résultats sont classés et présentés en fonction des quatre grandes catégories de données sur lesquelles ils s’appuient : les salaires des joueurs profession-nels (section 1), les performances enregistrées lors des compétitions (sec-tion 2), les records (sec(sec-tion 3) et les stratégies des sportifs observées pen-dant les compétitions (section 4). Dans la conclusion, nous discutons du principe selon lequel le sport de compétition offre à l’économiste un « labo-ratoire » particulièrement fructueux pour l’évaluation de ses théories.

4. En raison du nombre très élevé d’articles publiés dans cette revue, nous l’avons omise.

0 2 4 6 8 10 12 14 16

1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006

Année

Nombre d'articles "sportifs" publiés

Figure 1. Nombre d’articles « sportifs » publiés dans les revues généralistes, 1991-2005.

Notes :

1. Les revues concernées sont toutes les « revues généralistes » recensées dans la classification des revues à comité de lecture en économie et en gestion opérée par la section 37 du CNRS (version de juillet 2004), à l’exclusion de la revueApplied Econo-mics4.

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1. Qu’avons-nous appris de l’analyse

des salaires des joueurs

professionnels ?

Une littérature assez abondante s’appuie sur les salaires des joueurs dans les principaux sports d’équipe professionnels (notamment américains) pour évaluer certains principes théoriques concernant le marché du travail (cf. Kahn [2000] pour une synthèse de ces travaux). En effet, le sport profession-nel est l’un des rares domaines dans lesquels on dispose à la fois d’une base de données complète sur les relations entre l’employé et l’employeur, d’une mesure claire des performances du salarié, mais aussi, en raison de chan-gements dans les règles et les structures des marchés des joueurs au fil du temps, d’expériences naturellessur la base desquelles on peut évaluer l’im-pact de ces règles.

1.1. Pouvoir de monopsone et salaire

Les dirigeants d’équipe sportive constituent un petit groupe étroitement interconnecté. Ainsi, ils ont sans doute la possibilité de s’entendre pour bénéficier d’un pouvoir de monopsone sur le marché des joueurs. La théorie standard du monopsone indique qu’en présence d’un tel pouvoir, les salai-res devraient être dessous de leur niveau concurrentiel, c’est-à-dire en-dessous de la productivité marginale des salariés. Le problème est que, pour tester cette théorie, il faut disposer de données complètes sur les salaires et la productivité. Le sport professionnel est l’une des rares industries pour lesquelles de telles données sont disponibles.

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Scully [1989] et Zimbalist [1992] ont mené des études similaires pour les années 1980, période durant laquelle la clause de réserve a été supprimée. Scully [1989] trouve que les stars, en 1987, obtiennent un salaire correspon-dant à 29-45 % de leur productivité marginale, c’est-à-dire bien au-delà des 15 % trouvés pour la période avec clause de réserve. L’ensemble de ces recherches a permis de confirmer, sur la base de données plus fiables que dans tout autre secteur, qu’un marché du travail plus concurrentiel conduit bien à des salaires plus élevés et que l’écart (positif) entre la productivité marginale et le salaire perçu dépend positivement du degré de pouvoir de monopsone des employeurs.

1.2. La discrimination raciale sur le marché

du travail

Une manière simple de mesurer l’importance de la discrimination raciale sur le marché du travail est de comparer les salaires des travailleurs noirs avec ceux des travailleurs blancs5. Là encore, les données provenant du

sport professionnel se prêtent particulièrement bien à l’exercice économé-trique consistant à régresser le salaire (variable expliquée) sur des indica-teurs de performance, des variables de contrôle et une variable indicatrice concernant la couleur de peau. Une telle régression permet de mesurer la « prime à la couleur », un coefficient significatif sur la variable indicatrice de couleur de peau étant un indice fort de discrimination. Le sport le plus étudié en la matière a sans aucun doute été le basket-ball aux Etats-Unis. Au milieu des années 1980, plusieurs études (Kahn et Sherer [1988], Koch et Vander Hill [1988], Brown et al. [1991]) ont estimé que toutes choses égales par

ailleurs(notamment en termes de performance), les joueurs noirs

obtien-nent un salaire inférieur de 11 à 25 % à celui perçu par les joueurs blancs. Il semble cependant que cette discrimination ait disparu au milieu des années 1980 puisque plusieurs auteurs ne trouvent plus d’écart de salaires entre les joueurs noirs et les joueurs blancs, pour des niveaux de performance iden-tiques (Hamilton [1997], Dey [1997], Bodvarsson et Brastow [1998]). Par ailleurs, des analyses similaires des salaires dans le base-ball et le football américain n’ont pas trouvé de traces de discrimination contre les joueurs noirs. Au total, il semble donc que si ces discriminations ont pu être fortes à une certaine époque (notamment dans le basket-ball), elles se sont considé-rablement atténuées, conformément d’ailleurs à la théorie selon laquelle, sur moyen-long terme, les employeurs non discriminants profitent de payer moins cher des joueurs performants, ce qui leur permet d’améliorer le bilan de leur équipe et de prendre le dessus sur les équipes poursuivant une gestion discriminante de leur effectif.

Un problème majeur de toute la littérature en matière de discrimination sur le marché du travail concerne la non-observabilité ou la mesure peu

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fiable de certaines variables, telles que la qualité de l’enseignement par exemple, qui déterminent la productivité du salarié (Heckman [1998]). Même si ce problème est certainement moins sévère dans le sport que dans tout autre domaine, il n’est pas totalement éliminé dans les régressions de sa-laires des sportifs professionnels. C’est pour cela que, tout en restant dans le domaine du sport professionnel (football anglais), Szymanski [2000] propose une autre méthode de détection des discriminations salariales à l’encontre des minorités, méthode fondée sur un test global de marché plutôt que sur l’analyse des salaires individuels. L’idée est que, si le marché des joueurs est concurrentiel, ce qui semble être le cas dans le football anglais sur la pé-riode considérée (1978-1993), alors les dépenses totales en salaire des clubs devraient refléter leur productivité et, par conséquent, leurs résultats spor-tifs. Or Szymanski trouve que les clubs ayant une proportion de joueurs noirs au-dessus de la moyenne obtiennent des résultats sportifs systémati-quement meilleurs,toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en contrô-lant l’effet des différences de dépenses salariales. Cela signifie qu’en enga-geant plus de joueurs noirs, les équipes peu enclines à la discrimination s’assurent de meilleurs résultats sans coûts salariaux supplémentaires, ce qui suggère clairement une discrimination salariale à l’encontre des joueurs noirs. Un point important est que, contrairement à ce que prédit la théorie de la discrimination (Becker [1957], Arrow [1998]), la très forte pression concurrentielle s’exerçant sur les équipes semble ici insuffisante pour faire disparaître cette discrimination.

1.3. La détermination des salaires

Plusieurs études s’appuyant sur les salaires des sportifs professionnels ont cherché à évaluer la pertinence de certaines théories sur la formation des salaires. En particulier, Blass [1992] s’est intéressé au modèle de capital humain, alors qu’une série d’études récentes explore la validité de la théorie du « salaire équitable » (fair wage) d’Akerlof et Yellen [1990]6.

1.3.1. La théorie du capital humain

La théorie du capital humain tient une place centrale en économie du travail. Selon cette théorie, le salaire des individus dépend de leur produc-tivité, celle-ci étant directement liée à leur niveau de capital humain. Ainsi, les travailleurs expérimentés gagneraient davantage que les travailleurs inexpérimentés simplement parce qu’ayant accumulé des connaissances, de l’expérience, etc., ils sont plus productifs. Les travaux empiriques sur le modèle de capital humain sont toutefois peu concluants, en raison

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ment du problème crucial de mesure de la productivité individuelle des salariés.

Blass [1992] utilise des données de la Ligue professionnelle de base-ball

(Major League Baseball) aux États-Unis pour tester le modèle de capital

humain. Pour cela, il estime une mesure de productivité utilisant 11 ans de statistiques sur les performances individuelles des joueurs. Il montre que le salaire augmente avec l’ancienneté du joueur (définie comme le nombre de saisons effectuées), mais bien davantage que ne l’exigent les gains de productivité. Ainsi, par rapport à leur productivité, la plupart des « vieux » joueurs sont sur-payés alors que la plupart des jeunes sont sous-payés. Ce résultat est en contradiction avec le modèle de capital humain, mais éven-tuellement compatible avec les modèles de contrats implicites7.

Il convient de noter une limite importante de cette étude8. En effet, la

contradiction des résultats avec le modèle de capital humain repose sur l’hypothèse forte que le seul objectif de l’équipe de base-ball est la perfor-mance. Or, dans bien des cas, la notoriété d’un joueur en fin de carrière peut être telle que les spectateurs payent pour le voir même si ses performances déclinent9. Ainsi, dans la mesure où un joueur est aussi une star du

spec-tacle, la performance n’est probablement pas le seul objectif, en particulier pour ce qui concerne les vedettes en fin de carrière. Cet effet tend à limiter le lien entre salaire et productivité au fil de la carrière d’un joueur vedette tel qu’il apparaît théoriquement dans le modèle de capital humain.

1.3.2. La théorie du « salaire équitable » (fair wage)

Une série d’études récentes a cherché à évaluer la pertinence de l’hypo-thèse de « salaire équitable » proposée par Akerlof et Yellen [1990]. Selon cette hypothèse, motivée par la théorie de l’équité en psychologie sociale, le niveau d’effort des salariés dépend de l’écart entre le salaire effectivement perçu et le salaire considéré comme « équitable » par le salarié. Ainsi, si le salaire tombe en-dessous du salaire « équitable », l’employé choisit de relâ-cher ses efforts, au détriment de la productivité de l’entreprise. Par ailleurs, la disparité des salaires à l’intérieur de l’entreprise joue un rôle fondamental dans la perception du salaire équitable. Comme le note Levine [1991], dans le cas d’un travail en équipe, la cohésion des salariés est primordiale. Ré-duire la disparité des salaires peut alors permettre d’éviter la jalousie ou la défiance entre les employés et améliorer ainsi la cohésion du groupe et, par suite, la productivité de l’entreprise10.

7. Le lien avec la théorie des contrats implicites prête toutefois à discussion. En effet, cette théorie repose sur l’hypothèse qu’il est difficile (coûteux) d’observer la productivité du sala-rié, ce qui n’est clairement pas le cas dans un sport comme le base-ball. Autrement dit, il n’est pas évident de justifier l’utilisation de contrats implicites dans ce type de contexte (Blass [1992], p. 268).

8. Nous remercions le rapporteur pour cette remarque.

9. À titre d’exemples, on peut citer les cas de Sammy Sosa pour le base-ball ou de Pelé (qui a fini sa carrière au Cosmos de New-York) pour le football.

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d’effi-Concernant la validation empirique de cette théorie, il est clair qu’il est plutôt difficile de collecter des données complètes sur la distribution des salaires à l’intérieur d’entreprises comparables (taille, secteur, etc.). Les don-nées provenant des sports d’équipe se prêtent particulièrement bien à l’es-timation de la théorie du salaire équitable puisque toutes les données sur les salaires sont facilement disponibles et dans la mesure où on est sûr que l’ensemble des firmes (équipes) qui sont comparées partagent les mêmes contraintes techniques et légales, utilisent les mêmes inputs, ont la même fonction de production, etc.

Ainsi, plusieurs études ont analysé les politiques de salaire dans les sports d’équipe professionnels (américains) pour tester la théorie du salaire équi-table, en particulier la version proposée par Levine [1991] et centrée sur le lien supposé entre cohésion et disparité des salaires. L’approche empirique consiste à évaluer comment la disparité des salaires affecte les résultats de l’équipe. Le modèle économétrique a donc la structure suivante :

PERFi=a0+a1QUALi+a2INEGALi+a3Xi+ei

oùPERFiest une mesure des performances de l’équipei(par exemple, le taux de matches gagnés dans la saison),QUALiune mesure de la qualité des joueurs de l’équipei(généralement approximée par la masse salariale to-tale),INEGALiune mesure des inégalités de salaire à l’intérieur de l’équipei

(indice d’Herfindhal-Hirschman de la concentration des salaires, écart-type ou indice de Gini sur la distribution des salaires),Xiun vecteur de variables de contrôle (qualité de l’entraîneur, stabilité de l’effectif, etc.), ete

iun terme

d’erreur. L’hypothèse de Levine [1991] sur le lien négatif entre cohésion et, par suite, performance de l’équipe et disparité des salaires prédita2<0.

Depken [2000] utilise des données sur les politiques de salaire des équipes de la Ligue professionnelle de base-ball (Major League Baseball) aux Etats-Unis entre 1985 et 1998. Il obtient un effet significativement négatif de la disparité des salaires sur la performance des équipes :toutes choses égales

par ailleurs, les équipes ayant opté pour une politique de plus grande

dis-parité des salaires ont des performances inférieures à celles ayant privilégié la compression des salaires11. Par contre, les résultats de Berri et Jewell

[2004] sur les équipes de basket-ball de la NBA vont dans le sens opposé puisque ces auteurs ne trouvent aucun lien entre inégalités salariales et productivité.

Frick et al. [2003] tentent de réconcilier l’ensemble de ces résultats en analysant le cas des quatre grandes Ligues professionnelles américaines (NBA – basket-ball, NHL – hockey, NFL – football américain et MLB – base-ball). Ils montrent que l’effet négatif de la disparité des salaires sur la per-formance de l’équipe n’apparaît que dans les cas du football américain et du base-ball, mais pas dans ceux du basket-ball (où l’on observe, au contraire, un lien positif entre dispersion des salaires et performance) et du hockey (où aucun effet significatif n’apparaît). Les auteurs proposent une explication

cience (i.e.un salaire supérieur au salaire concurrentiel) aux employés situés en bas de l’échelle des salaires.

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séduisante en notant que les deux sports pour lesquels l’hypothèse de cohé-sion semble validée (football, base-ball) sont précisément ceux dans les-quels le nombre de joueurs par équipe est le plus important et qui requiè-rent donc probablement davantage de coopération et de cohésion à l’intérieur du groupe.

2. Qu’avons-nous appris de l’analyse

des performances enregistrées

lors de compétitions sportives ?

Plusieurs études s’appuient sur les performances (scores, statistiques di-verses) enregistrées lors de compétitions sportives (matches, tournois, cour-ses, etc.) dans le but de vérifier empiriquement la pertinence de certaines théories économiques. Ces études couvrent des champs très divers de la science économique : l’économie du crime et de la corruption (2.1), l’écono-mie du travail (2.2), mais aussi le domaine plus récent de l’éconol’écono-mie comportementale (2.3).

2.1. Economie du crime et de la corruption

Dans les domaines relatifs aux comportements illicites (crime, corruption) plus que dans tout autre, la théorie économique se heurte à de redoutables problèmes de validation empirique. En effet, les données fiables sont rares et il est souvent difficile d’en tirer des conclusions claires. Les compétitions sportives produisent des observations particulièrement intéressantes sur les comportements délictueux.

2.1.1. L’économie du crime

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nombre d’infractions et nombre de personnes chargées de faire respecter le règlement. McCormick et Tollison [1984] utilisent des données de matches de basket-ball en étudiant l’évolution du nombre moyen de fautes par match suite à l’introduction d’un troisième arbitre12. Ils s’intéressent à une ligue

universitaire mineure (Atlantic Coast Conference), dans laquelle le nombre d’arbitres est passé, en 1978, de deux à trois. Le modèle économétrique testé a la structure suivante :

FAUTESi=a0+a1NARBITRESi+a2CONTROLi+e

i

oùFAUTESiest le nombre de fautes sifflées durant le matchi,NARBITRESile nombre d’arbitres durant la rencontrei(2 ou 3 dans l’étude de McCormick et Tollison),CONTROLiun vecteur de variables de contrôle concernant le match

i(caractéristique des équipes, score final, nombre de spectateurs, etc.) ete

i

un terme d’erreur. Notons que la variable expliquée est le nombre de fautes

sifflées(et non pas commises). Dans ce contexte, l’effet de contrôleplaide

poura1>0alors que l’effet de dissuasionprédit clairementa1<0. Autrement

dit, un coefficient a1 négatif signifie que l’effet de dissuasion est fort et l’emporte sur l’effet de contrôle.

McCormick et Tollison trouvent une réduction de 34 % du nombre moyen de fautes sifflées par match suite à l’introduction du troisième arbitre et montrent que cette baisse résulte bien d’un arbitrage plus efficace et de meilleurs comportements sur le terrain. L’étude de McCormick et Tollison repose cependant sur une erreur révélée récemment par Hutchinson et Yates [2007]. En effet, il apparaît que, pour environ la moitié des matches obser-vés, McCormick et Tollison se sont trompés dans le codage des données et ont malencontreusement utilisé comme variable expliquée non pas le nom-bre de fautes, comme ils le souhaitaient, mais le nomnom-bre de rebonds ! Or, la réplication que font Hutchinson et Yates en utilisant la bonne variable expli-quée ne conduit pas aux résultats annoncés par McCormick et Tollison puisqu’en fait, le nombre d’arbitres n’a pas d’effet significatif sur le nombre de fautes sifflées. Ainsi, les résultats très influents de McCormick et Tollison ne reposent que sur une erreur dans l’analyse des données13!

Finalement, l’absence d’effet du nombre d’arbitres sur le nombre de fautes en basket-ball ne fait que rejoindre les conclusions obtenues par des études du même type sur le hockey sur glace. En effet, plusieurs auteurs (Allen [2002], Levitt [2002], Heckelman et Yates [2003]) se sont intéressés à l’« ex-périence naturelle » qu’a constitué, dans la ligue professionnelle de hockey (NHL), l’allocation aléatoire de 1 ou 2 arbitres à la moitié des rencontres durant les saisons 1998-1999 et 1999-2000. En estimant des modèles simi-laires à celui de McCormick et Tollison, ces auteurs concluent à un impact

positif du nombre d’arbitres sur le nombre de fautessifflées, mais à

l’ab-12. Ils reconnaissent (p. 226) que l’analogie entre les fautes dans un match de basket-ball et les délits envisagés en économie du crime n’est pas parfaite, mais considèrent que les ressorts de la décision d’enfreindre le règlement en encourant le risque d’être sanctionné sont similaires. On peut toutefois être un peu sceptique sur cette hypothèse – cf. Heckelman et Yates [2003], p. 711.

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sence d’impact sur le nombre de fautescommises, des résultats qui plaident clairement en faveur d’un effet de contrôle, mais font douter de l’existence d’un réel effet de dissuasion dans ce contexte.

2.1.2. La corruption

Bien que la corruption soit considérée dans la théorie économique comme un phénomène très répandu et de première importance, il y a peu de re-cherche empirique sur le sujet. De manière évidente, la collecte de données s’avère délicate. Duggan et Levitt [2002] étudient les résultats des tournois de sumo au Japon pour montrer que même dans cette activité ancestrale, emblématique d’un pays, le Japon, considéré comme globalement peu cor-rompu, on trouve des traces de corruption. Les auteurs justifient la portée de leur étude en faisant remarquer (p. 1594) que « if corrupt practices thrive here, one might suspect that no institution is safe » !

Des tournois de sumo sont organisés toute l’année au Japon. Les sumo-toris font l’objet d’un classement sur la base duquel sont déterminés leurs gains pour l’année écoulée, mais également l’accès aux tournois de la sai-son suivante. Le classement d’un lutteur est déterminé par ses perfor-mances lors des 6 grands tournois annuels. Dans chacun de ces tournois, chaque lutteur livre 15 combats. S’il finit le tournoi avec un bilan positif (8 victoires ou plus), il gagne des places au classement ; dans le cas contraire, il en perd. Dans chaque tournoi, la 8èmevictoire est donc particulièrement

importante puisqu’elle fait la différence entre promotion ou rétrogradation dans le classement. Ainsi, le sumotori qui aborde le dernier combat du tournoi avec un bilan de 7-7 a nettement plus à gagner que n’a à perdre un adversaire à 8-6.

Duggan et Levitt observent qu’une proportion anormalement élevée de lutteurs atteint exactement la barre fatidique des 8 victoires : environ 26 % de tous les lutteurs finissent les tournois avec exactement 8 victoires contre seulement 12,2 % avec 7 victoires, quand une distribution binomiale prédit une fréquence de 19,6 % pour 8 victoires comme pour 7 victoires. De plus, alors que les statistiques sur les combats passés prédisent que le lutteur à 7-7 a 48,7 % de chances de gagner face à un lutteur à 8-6 (ce qui est logique puisque celui à 8-6 est légèrement plus fort), il l’emporte dans 79,6 % des cas !

Bien entendu, ces résultats sont insuffisants pour conclure à une corrup-tion dans les combats « couperets ». En effet, les lutteurs à 7-7 pourraient simplement être plus motivés dans ces matches pour une 8èmevictoire. Un

autre résultat de Duggan et Levitt semble toutefois confirmer l’hypothèse de corruption. En effet, lors de leur rencontre suivante, lorsque ni l’un ni l’autre ne sont en difficulté, le vainqueur du combat couperet perd « anormale-ment » souvent14, comme s’il retournait les faveurs que lui aurait faites son

adversaire lors du match précédent. Duggan et Levitt comparent également les scores spécifiques de 29 sumotoris ayant été dénoncés par deux anciens

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lutteurs comme étant corrompus avec ceux de 14 sumotoris ayant été cités comme étant incorruptibles. Ils obtiennent des résultats très clairs : alors que les lutteurs « corrompus » gagnent anormalement souvent les matchs couperets, ce n’est pas le cas des lutteurs « incorruptibles ». Comme les performances dans les matches couperets des autres sumotoris, ceux n’ayant été cités dans aucune des deux catégories, sont très proches de celles des « corrompus », on peut s’attendre à ce qu’ils soient, dans leur grande majorité, eux aussi corrompus.

2.2. Economie du travail

L’analyse des performances individuelles des sportifs a permis d’évaluer la pertinence de certaines théories modernes concernant le fonctionnement du marché du travail, non seulement les principes fondamentaux de la théo-rie de l’agence, mais également la théothéo-rie du tournoi ou encore la théothéo-rie de l’appariement (matching).

2.2.1. La théorie de l’agence

Dans la théorie de l’agence, l’employeur (le principal) doit concevoir un contrat incitatif pour s’assurer que l’employé (l’agent) fournira bien le niveau d’effort souhaité. Selon cette théorie, l’assurance de conserver son emploi grâce à un contrat de long terme peut créer un problème classique d’aléa moral en incitant l’employé à relâcher ses efforts,i.e.à tirer au flanc ( shir-king). L’évaluation de cette théorie s’avère complexe, notamment parce qu’il est difficile d’estimer de manière fiable les performancesindividuelles des employés. De nouveau, l’intérêt des données sportives vient du fait que les performances individuelles, et donc la contribution du salarié (le joueur) à l’entreprise (l’équipe), peuvent être mesurées sans ambiguïté. Ainsi, cer-taines études récentes ont mobilisé des données sur les sports d’équipe professionnels américains pour tester l’hypothèse d’un effet désincitatif des contrats de long terme15. Il s’agit simplement de voir si, conformément à

l’hypothèse d’un relâchement de l’effort après la signature d’un contrat long, les performances des joueurs se détériorent justeaprèsla signature d’un tel contrat.

Les résultats sont globalement mitigés. Certains auteurs observent une modification des performances dans le sens escompté (Woolway [1997] et Marburger [2003] pour les joueurs de base-ball, et Stiroh [2007] pour les basketteurs de la NBA), mais d’autres ne trouvent pas de différence signifi-cative dans les performances avant et après la signature d’un contrat de long terme (Krautmann [1990] et Maxcy et al. [2002] pour les joueurs de base-ball). En fait, Scoggins [1993], dans le cas du base-ball, et Berri et

(14)

Krautmann [2006], dans celui du basket-ball NBA, montrent clairement que la conclusion dépend de manière cruciale de la mesure de performance retenue.

2.2.2. La théorie du tournoi

La théorie économique s’est beaucoup intéressée, à partir des années 1980 et des articles fondateurs de Lazear et Rosen [1981] et Rosen [1986], à la forme de concurrence que constituent lestournois, c’est-à-dire des situa-tions hautement concurrentielles caractérisées par le fait que le gain d’un individu dépend uniquement de son rang par rapport aux autres. Les mo-dèles de tournoi décrivent bien les systèmes de récompense (prime, promo-tion, etc.) utilisés pour les cadres d’entreprise, pour les commerciaux ou encore dans les milieux académiques. Sous certaines hypothèses, le sys-tème de tournoi présente des propriétés normatives intéressantes dans la mesure où il repose sur des structures incitatives efficaces (Lazear et Rosen [1981])16.

Peu d’études empiriques ont été menées sur les effets incitatifs des tour-nois. Les études économétriques sur données « réelles » s’avèrent délicates car il est bien difficile d’identifier précisément, dans une organisation, quels sont les tournois mis en place, quels en sont les règles, les enjeux, etc. De plus, il est également difficile de mesurer le niveau d’effort des individus. Au plan expérimental, Bull et al. [1987] ont trouvé des résultats relativement peu concluants.

Devant ce manque d’éléments empiriques, Ehrenberg et Bognanno [1990a] ont utilisé les résultats des grands tournois de golf américains (tour-nois du PGA Tour) s’étant déroulés en 1984 pour tester l’hypothèse selon laquelle les tournois ont bien des effets incitatifs positifs. Ils estiment un modèle économétrique simple ayant la structure suivante :

sij=a0+a1TPRIZEi+a2xi+a3yj+a4zi+eij

sij est le score final de l’individujdans le tournoii,TPRIZEila dotation totale du tournoii,xiun vecteur de variables de contrôle sur la difficulté du

tournoi, les conditions météorologiques, etc.,yjun vecteur de proxies pour la qualité du joueur j (score moyen sur la saison, etc.), zi un vecteur de

variables de contrôle sur la qualité de la concurrence dans le tournoii, ete

ij

le terme d’erreur.

(15)

La théorie du tournoi prédita1<0:toutes choses égales par ailleurs, des prix plus élevés devraient inciter à davantage d’effort de la part des partici-pants et, par suite, à de meilleures performances, donc des scores plus faibles. Les estimations de Ehrenberg et Bognanno [1990a] conduisent, comme prévu, à un coefficient a1 significativement négatif ; plus précisé-ment, ils obtiennent qu’une augmentation de 100 000 $ de la dotation totale conduit à ce qu’en moyenne, chaque joueur joue 1,1 coup de moins sur l’ensemble du tournoi17.

D’autres études empiriques sur données sportives semblent confirmer ce résultat puisque le lien positif entre incitations et performances postulé dans la théorie du tournoi a également été mis en évidence dans les domaines de la course à pied (courses sur route) par Frick [1998] et Maloney et McCor-mick [2000]18, et du tennis, tant chez les hommes (Sunde [2003]) que chez

les femmes (Lallemandet al.[2008]).

2.2.3. La théorie de l’appariement (matching)

Plusieurs études ont cherché à valider la théorie de l’appariement (

mat-ching) sur la base de données sportives. Cette théorie, proposée initialement

par Jovanovic [1979], stipule que l’efficacité d’un travailleur à un poste donné ne dépend pas uniquement des caractéristiques propres de l’employé (qualifications, compétences, effort, etc.), mais dépend aussi et surtout de la qualité de l’appariement de l’employé au poste qu’il occupe. Une autre hypothèse importante de la théorie de l’appariement de Jovanovic [1979] est que l’employeur et l’employé apprennent progressivement sur la qualité de l’appariement. Il en résulte que la probabilité de rupture de la relation d’em-ploi augmente dans les premières années suivant l’embauche puis décroît après un certain temps passé dans l’entreprise, le fait d’être resté en poste jusque-là révélant une information positive quant à la qualité de l’apparie-ment et renforçant la volonté des deux parties de poursuivre leur relation.

Cette théorie s’avère particulièrement difficile à tester directement. Il est difficile voire impossible d’évaluer, pour un employé donné, dans une posi-tion donnée, la qualité de l’appariement puisqu’une telle évaluaposi-tion suppo-serait de comparer la productivité de cet employé avec celle qu’il aurait à un poste similaire dans une autre entreprise. De telles comparaisons sont faci-lement réalisables dans le domaine du sport professionnel, en tout cas pour ce qui concerne les managers et les entraîneurs. En effet, un grand nombre de managers et d’entraîneurs sont amenés à changer plusieurs fois d’équipe au cours de leur carrière. L’idée de certains auteurs a été de regarder si,

toutes choses égales par ailleurs(c’est-à-dire une fois pris en compte les

effets liés aux caractéristiques de l’équipe, à l’expérience de

17. Ehrenberg et Bognanno [1990b] ont répliqué leur test sur les résultats des grands tournois européens s’étant déroulés sur l’année 1987 et ont obtenu des résultats similaires. Par contre, Orszag [1994] obtient des résultats différents dans une étude portant sur des données de la PGA pour l’année 1992.

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l’entraîneur/manager, etc.), un entraîneur/manager a des résultats (donc, une productivité) différents dans les différents postes qu’il est amené à occuper durant sa carrière.

Les résultats sont globalement en accord avec la théorie de l’appariement puisque la qualité de l’appariement entre l’entraîneur/manager et l’équipe semble avoir un impact significatif sur le bilan sportif ; autrement dit, un même entraîneur/manager peut présenter un bilan différent avec différentes équipes,toutes choses égales par ailleurs. L’effet d’appariement ainsi que son implication sur l’évolution du taux de séparation ont été confirmés par Chapman et Southwick [1991] puis Prisinzano [2000] dans le cas des mana-gers de base-ball aux Etats-Unis19, par Borland et Lye [1996] dans le cas des

entraîneurs de football australien, et par Brown et al. [2007] pour ce qui concerne les entraîneurs dans le football américain universitaire.

2.3. Economie comportementale

L’économie comportementale consiste à donner des fondements psycho-logiques plus solides à la théorie économique standard. Cela conduit à pren-dre en considération les biais de jugements des individus, les normes so-ciales ou encore la pression sociale. Quelques travaux récents se sont appuyés sur le domaine sportif pour mesurer empiriquement l’impact de la pression sociale sur le favoritisme (2.3.1) ou, plus généralement, le rôle des émotions dans les comportements et les performances (2.3.2).

2.3.1. Pression sociale et favoritisme

La pression sociale joue un rôle important dans un grand nombre de contextes économiques. Dans la mouvance de la nouvelle économie comportementale, il est aujourd’hui clair que la pression sociale affecte les comportements individuels et peut notamment conduire à la forme de cor-ruption implicite que constitue le favoritisme (Prendergast et Topel [1996]). Alors que de nombreux résultats expérimentaux établissent un impact déci-sif de la pression sociale sur les comportements individuels, des vérifica-tions économétriques sur des cas réels sont rares, faute de données fiables. Le sport de compétition a permis de tester, en environnement réel, l’effet de la pression sociale.

Trois études récentes portant sur l’arbitrage dans le football professionnel analysent le comportement des arbitres pour vérifier le rôle de la pression sociale sur le favoritisme (Garicano et al. [2005], Sutter et Kocher [2004], Dohmen [2008a]). L’idée est d’étudier si les arbitres, sans doute poussés par la pression de la foule, ont effectivement tendance à favoriser l’équipe jouant à domicile (home bias). Le problème est bien entendu de trouver une

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mesure objective du comportement des arbitres. Or, une décision se prête bien à une telle mesure. Il s’agit du temps additionnel que l’arbitre accorde à la fin du match pour compenser les arrêts de jeu s’étant produits pendant le temps réglementaire (blessures, remplacements de joueurs, anti-jeu, etc.). En effet, même si le règlement fixe les principes généraux devant guider la gestion de ce temps additionnel, l’arbitre de champ reste libre du moment où il siffle la fin du match.

Garicanoet al.[2005] utilisent une base de données sur l’arbitrage dans le championnat espagnol pour voir si les arbitres ne sont pas plus « pressés » de siffler la fin de la rencontre lorsque l’équipe jouant à domicile mène avec une faible marge, c’est-à-dire avec un but d’avance, et moins « pressés » de le faire dans le cas où l’équipe qui reçoit est mené d’un but. Les résultats sont très clairs. Par exemple, lorsque l’équipe évoluant à domicile est menée avec un but d’écart, le temps additionnel est environ 35 % au-dessus de la moyenne, alors que lorsque l’équipe qui reçoit mène avec un but d’écart, le temps additionnel est 29 % en-dessous de la moyenne ! Des études du même type ont été menées par Sutter et Kocher [2004] et Dohmen [2008a] sur le championnat allemand (Bundesliga). Leurs résultats confirment large-ment ceux de Garicioet al. en faveur de l’hypothèse de favoritisme pour l’équipe jouant à domicile.

2.3.2. Le rôle des émotions

L’une des grandes contributions de l’économie comportementale est de montrer le rôle fondamental des émotions dans les comportements des individus. Là encore, l’observation du monde sportif peut s’avérer très infor-mative.

L’étude de Dohmen [2008b] sur les penalties manqués dans le champion-nat allemand de football confirme que les émotions et la pression sociale jouent un rôle fondamental dans les performances individuelles, même chez des sportifs de haut niveau. En particulier, les individus peuvent « craquer sous la pression », un effet très étudié en psychologie sociale, mais large-ment négligé par les économistes. Or, comme le note Dohmen (p. 636), « There are plenty of situations in which pressure arises in the workplace. Knowing how individuals perform under pressure conditions is crucial be-cause it has implications for the design of the workplace and the design of incentive schemes ». Il est clair qu’il est très difficile d’obtenir, dans le monde de l’entreprise, le type de données nécessaires à l’évaluation d’un éventuel effet pervers de la pression sur les performances. Dohmen [2008b] contourne cette difficulté en s’intéressant aux penalties manqués par les footballeurs allemands depuis la fondation de la ligue professionnelle (

Bun-desliga) en 1963. Il choisit une définition stricte de « craquer sous la

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réussi (score au moment du tir, match décisif de fin de saison) ; ainsi, les joueurs semblent davantage sensibles et fragilisés par la pression du public que par la pression de l’enjeu. Comme le note Dohmen (p. 652), ce résultat peut avoir des ramifications intéressantes dans le domaine de l’entreprise : « The empirical result of this paper implies, for example, that workers who might feel they are being observed, especially by well disposed co-workers or spectators, perform worse than they otherwise would. »

Par ailleurs, Paserman [2007] note, sur la base d’une analyse approfondie des matches de tennis professionnel, que les hommes et les femmes ne se comportent pas de la même manière sous la pression. Plus précisément, ses données sur la vitesse du service, le pourcentage de premiers services ou encore la longueur des échanges suggèrent que les hommes maintiennent la même stratégie et le même niveau de performance dans les moments clés du match, alors que les femmes se tournent vers une stratégie moins agressive (services plus lents, échanges plus longs) lors des points impor-tants. Ce résultat d’une différence entre les hommes et les femmes dans la manière de gérer la pression dans un contexte hautement concurrentiel ne fait que confirmer toute une batterie de résultats expérimentaux (Gneezyet al.[2003], Gneezy et Rustichini [2004]).

Une autre étude récente fondée sur des données sportives a mis en avant le rôle des émotions dans les performances. Palomino, Rigotti et Rustichini [1999] estiment, sur la base de 2885 matches de football professionnel, la probabilité de marquer un but aux différents moments du match. Ils étudient comment cette probabilité est liée aux trois déterminants fondamentaux de la performance d’une équipe de football : les aptitudes(mesurées par des indicateurs tels que le nombre de buts marqués ou encaissés sur l’ensemble de la saison), lastratégie(définie comme le choix d’attaquer ou de défendre en réaction au score du match et en fonction du moment de la partie, et mesurée par la manière dont, pour une équipe, la probabilité de marquer dépend du score et du temps qui reste à jouer), et lesémotions(qui regrou-pent l’ensemble des facteurs émotionnels et psychologiques autour du match, et ramenées à l’avantage d’évoluer à domicile). Les résultats mon-trent clairement que les trois facteurs interviennent simultanément et inter-agissent dans la détermination de la performance (la probabilité de mar-quer). Plus précisément :

— une meilleure aptitude que l’équipe adverse multiplie la probabilité de marquer par un facteur compris entre 2,1 et 2,4,

— des situations stratégiques différentes font varier cette probabilité se-lon un facteur compris entre 1,4 et 2,2,

— jouer à domicile (facteur émotion) multiplie la probabilité de marquer par un facteur compris entre 1 et 2.

Au total, ces chiffres indiquent que les trois forces sont à peu près d’égale importance dans la détermination de la performance (la probabilité de mar-quer).

(19)

suscep-tible d’exister également dans le monde économique : les facteurs très généraux intervenant dans le comportement et les performances d’une équipe de football interviennent sans doute également dans d’autres types d’organisations évoluant dans un environnement hautement concurrentiel, notamment les entreprises20. Ainsi, Palominoet al.espèrent que leurs

résul-tats stimuleront un nouvel axe de recherche théorique en économie : cons-truire des modèles capables de prendre explicitement en compte les inter-actions entre raison et émotions.

3. Qu’avons-nous appris de l’analyse

des records ?

L’évolution des records est une autre source de données intéressante pour l’économiste puisqu’elle permet de comparer des performances sur des pé-riodes relativement longues dans un contexte stable (en tout cas au niveau des règlements).

3.1. Progrès technique et mondialisation

Le développement économique du XXesiècle est lié à un double

phéno-mène de progrès technologique et de mondialisation des échanges. Même si la théorie reconnaît l’importance de ces deux facteurs, il est extrêmement délicat d’en évaluer la portée relative : quelle est la contribution respective du progrès technique et de la mondialisation au développement écono-mique ? Tant sur un plan théorique que sur un plan empirique, cette ques-tion est très difficile à traiter.

Munasinghe, O’Flaherty et Danninger [2001] étudient l’évolution des re-cords en athlétisme pour tenter une mesure de l’impact relatif du progrès technique et de la mondialisation. Pour cela, ils comparent l’évolution des records internationaux (mondiaux ou olympiques), qui sont sujets à l’effet de la mondialisation de l’athlétisme, avec celle des records locaux (natio-naux ou scolaires) qui ne peuvent être établis que par les membres d’une communauté donnée. Les records internationaux devraient donc refléter la contribution à la fois du progrès technique (meilleur équipement, méthodes d’entraînement plus performantes) et de la mondialisation, alors que les records locaux ne devraient, eux, refléter que le progrès technique. Ainsi, la différence entre l’amélioration des records internationaux et celle des re-cords locaux donne une estimation de l’effet de la globalisation.

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Les auteurs observent que les records américains évoluent de manière similaire aux records mondiaux. Pour comprendre de manière chiffrée ce parallélisme dans l’évolution des records mondiaux et américains, on peut comparer la proportion des records mondiaux détenus par les Américains en 1950 et en 1995 et se demander en quelle année (avant 1995) les perfor-mances mondiales devraient être « gelées » afin de restaurer la proportion de recordmen américains à son niveau de 1950. En 1950, les Américains détenaient 30,9 % des records mondiaux contre 28,9 % en 1995. Si les per-formances mondiales étaient « gelées » à leurs niveaux de 1993, les Améri-cains de 1995 détiendraient à peu près la même proportion de records mondiaux qu’en 1950. Autrement dit, sur la période 1950-1995, le progrès technique tout seul (records américains) a mis 45 ans à accomplir ce que le progrès technique et la globalisation ont mis ensemble 43 ans à accomplir. Tout cela suggère donc que le progrès technique est, en matière de records athlétiques, le moteur central de l’amélioration des performances, la globa-lisation semblant jouer un rôle mineur.

Quelles peuvent être les implications de ces résultats au-delà de l’athlé-tisme ? Comme le soulignent Munasingheet al., l’importance relative de la globalisation et du progrès technique dans l’explication de l’évolution de la distribution des revenus aux Etats-Unis ou en Europe est un sujet de débat majeur depuis près d’une décennie. Or, une des grandes faiblesses de ce débat est l’absence de mesures directes de l’impact de la globalisation et du progrès technique. Les records d’athlétisme permettent d’évaluer leurs poids relatifs.

Bien entendu, ce qui est vrai pour l’athlétisme ne l’est pas forcément pour les activités économiques. Il faudrait pouvoir faire des mesures similaires dans l’industrie automobile ou informatique. Malheureusement, cela s’avère extrêmement difficile, notamment parce que, dans les activités écono-miques, il n’est pas toujours évident de mesurer l’amélioration des perfor-mances. Le gros avantage des données sur les records en athlétisme est que l’amélioration des performances peut être définie et mesurée de manière très simple et sans aucune ambiguïté. En l’absence de toute autre mesure sur les effets relatifs du progrès technique et de la globalisation, l’analyse des records d’athlétisme de Munasingheet al.a au moins le mérite d’être informative, en donnant des indications claires dans un contexte certes res-trictif, mais qui partage avec le monde économique la caractéristique fon-damentale d’être hautement concurrentiel.

3.2. La théorie des grappes d’innovation

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Gaviria [2000] utilise le record de l’heure cycliste pour caractériser la dyna-mique des innovations technologiques dans le domaine du cyclisme sur piste. Il constate que l’évolution de ce record est loin d’être stationnaire. Le rapprochement des records sur de courtes périodes, en alternance avec de longues périodes de stagnation, suggère la présence d’effets de contagion dans la progression du record et, par suite, dans les innovations technolo-giques qui l’ont accompagnée. Plus précisément, Gaviria conclut à un haut degré de contagion puisqu’il obtient que la probabilité d’un nouveau record augmente de 21,1 % tout de suite après l’établissement d’un record, cette probabilité retombant ensuite rapidement (moins de deux ans après) à son niveau normal (de long terme). Gaviria indique également que les périodes de progression « contagieuse » du record correspondent effectivement à des évolutions technologiques majeures pour le cyclisme sur piste : introduction du pneu à la fin du 19ème siècle ou encore les recherches en soufflerie pour améliorer l’aérodynamisme au milieu des années 1990 (avec des innova-tions importantes au niveau du guidon notamment).

Comme le note Gaviria, l’effet de contagion pourrait ne pas être lié à la dynamique des innovations technologiques, mais plutôt à une dynamique sportive, les records appelant les records. Pour écarter cette interprétation, l’auteur étudie l’évolution d’un autre record sportif « mythique », celui du mile en athlétisme. Il note que cette épreuve requiert incontestablement moins de technologie que l’épreuve de l’heure en cyclisme sur piste et ne devrait donc pas faire l’objet d’effets de contagion technologiques. Confor-mément à ses attentes, la dynamique du record du mile est très différente de celle du record de l’heure cycliste. En particulier, aucun effet de contagion ne peut être décelé.

Gaviria considère finalement que ses résultats constituent une confirma-tion indirecte des effets de contagion dans les innovaconfirma-tions technologiques et plaident donc, d’une manière générale, en faveur de l’hypothèse des grap-pes d’innovation.

3.3. L’économie du vieillissement

Une question fondamentale enéconomie du vieillissementest de savoir à quelle vitesse les capacités physiques se détériorent avec l’âge. Cette ques-tion est notamment importante pour les politiques de retraite. Plus le déclin est lent, plus il est justifiable de retarder l’âge légal de la retraite. Par ailleurs, la mesure de la vitesse du déclin des capacités est également importante pour évaluer dans quelle mesure, sur la base stricte de la productivité, les salaires devraient dépendre de l’âge.

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aug-mente. À partir dek2, la performance se dégrade, le déclin étant supposé constant (linéaire) dans un premier temps (jusqu’à k3) avant de devenir quadratique jusqu’àk*, l’âge le plus vieux auquel il est possible de finir la course21. Fair utilise les techniques économétriques modernes pour estimer

la fonction de dégradation des capacités à partir de l’âgek2, fixé à 35 ans. En particulier, il estime, pour toutes les épreuves d’athlétisme, le taux de dépré-ciation de la performance année après année et l’âgek3à partir duquel le déclin s’accélère. Pour cela, il utilise les records par catégories d’âge en tenant compte du fait que, plus l’âge avance, moins l’échantillon de perfor-mances est représentatif (participation aux compétitions moins nombreuse et moins représentative) et, par conséquent, moins le record observérkest une bonne estimation debk.

Fair développe deux résultats intéressants. En premier lieu, il se dit surpris par la lenteur du déclin. Par exemple, pour les distances comprises entre le 400 m et le semi-marathon, un homme de 85 ans est seulement 49 % plus lent qu’il ne l’était à l’âge de 55 ans. Selon Fair, ce type de résultat peut avoir des implications au niveau des politiques pour la vieillesse dans le sens où « it may be that societies have been too pessimistic about losses from aging for individuals who stay healthy and fit » (p. 117). Le deuxième grand résul-tat concernek3, c’est-à-dire l’âge « seuil » à partir duquel le déclin s’accélère. Les estimations de ce seuil sont très variables d’une épreuve à l’autre. Pour améliorer la qualité de l’estimation, Fair regroupe les distances par grandes familles (sprint, demi-fond, fond). Pour l’ensemble des distances comprises entre le 400 m et le semi-marathon, il obtient unk3de 47,7 ans. Par contre, le seuil semble plus élevé pour les sauts, avec des valeurs fréquemment au-dessus de 60 ans.

Fair [2007] complète son étude en incluant également les records de nata-tion et les classements aux échecs. En agrégeant l’ensemble des estima-tions, il conclut que, globalement, le déclin est linéaire à partir de 35 ans jusqu’à un âge (k3) d’environ 70 ans, puis devient quadratique après. Il obtient également que le déclin est nettement moins marqué aux échecs que dans les activités physiques.

Selon Fair, ces résultats suggèrent que la pratique sportive retarde le processus de déclin : les personnes âgées sont capables de se maintenir à un bon niveau physique et intellectuel à condition qu’elles mettent l’accent sur l’hygiène de vie, l’exercice, etc., un point sur lequel les programmes publics devraient insister (par exemple, par la mise en place de programmes de prévention, de remise en forme, etc., destinés aux personnes âgées).

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4. Qu’avons-nous appris

de l’observation des stratégies

des sportifs durant les

compétitions ?

Dans les compétitions sportives, les concurrents sont amenés à prendre en permanence des décisions stratégiques. L’observation de ces stratégies a permis d’établir des résultats importants quant à la pertinence de certains modèles issus de la théorie des jeux. En particulier, les prédictions théo-riques par l’équilibre en stratégies mixtes (ou le principe du minimax) s’avè-rent robustes alors qu’elles ne le sont pratiquement jamais dans les contex-tes expérimentaux classiques.

4.1. Les équilibres en stratégies mixtes

Un très grand nombre d’études expérimentales en laboratoire ont été menées pour tester la validité empirique de l’équilibre en stratégies mixtes. Le bilan en est globalement négatif : en général, et à l’exception des jeux parfaitement symétriques, les observations sont très éloignées des prédic-tions théoriques (cf. Camerer [2003], chapitre 3). Ainsi, la conclusion des travaux expérimentaux est plutôt d’invalider la théorie des stratégies mixtes (et donc le principe du minimax de von Neumann). Les seuls cas dans lesquels les observations empiriques correspondent à l’équilibre sont les études de cas menées dans le domaine du sport professionnel (tennis et football)22!

La première étude mobilisant des observations sur les sportifs afin d’éva-luer la pertinence du concept d’équilibre en stratégies mixtes est due à Walker et Wooders [2001]. Dans cette étude, les auteurs s’intéressent au tennis et, plus précisément, au jeu stratégique que constitue le service. En effet, lors d’un service, deux joueurs (le serveur et le relanceur) sont enga-gés dans un jeu (au sens d’une interaction stratégique). Le gain issu du jeu pour chaque joueur se ramène à la probabilité de gagner le point. Le serveur doit choisir entre deux stratégies : servir sur la droite (D) du relanceur ou servir sur la gauche (G) du relanceur. Compte tenu de la vitesse de la balle de service (bien souvent plus de 200 km/h), le relanceur est obligé d’« anti-ciper », ce qui l’amène, lui aussi, à jouer soit « Droite » s’il anticipe un ser-vice sur sa droite, soit « Gauche » s’il anticipe un serser-vice sur sa gauche. Ainsi, on peut considérer que les deux joueurs jouent simultanément (et non

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pas séquentiellement). Il s’agit clairement d’un jeu à somme constante puis-que la probabilité de gagner le point pour un joueur est la probabilité de le perdre pour l’autre. Ce jeu, dans lequel il est capital pour les joueurs de ne pas être prévisibles, admet un unique équilibre de Nash dans lequel le serveur et le relanceur adoptent chacun une stratégie mixte23.

Quelles prédictions peut-on faire à partir de l’analyse théorique du jeu ? Par définition même d’un équilibre en stratégies mixtes, les deux stratégies pures (G et D) doivent, à l’équilibre, rapporter exactement la même espé-rance de gain au serveur. Ainsi, pour le serveur, le pourcentage de réussite (c’est-à-dire le taux de points gagnés) doit être le même lorsqu’il sert sur la droite du relanceur et lorsqu’il sert sur la gauche de celui-ci.

Walker et Wooders étudient 10 grandes finales de tournois du Grand Che-lem ou du Masters. Le Tableau 2 donne les résultats agrégés pour l’ensem-ble de ces 10 matches.

Tableau 2. Résultats de Walker et Wooders [2001]

Services

G 1622

D 1404

Total 3026

Services (en %)

G 54

D 46

Points gagnés

G 1040

D 918

Taux de points gagnés (en %)

G 64

D 65

Source :Walker et Wooders [2001], Tableau 1, p. 1526.

Ce tableau est vraiment impressionnant. Sur l’ensemble des 10 matches étudiés, ce qui représente en tout 3026 services, les taux de points gagnés sont quasiment identiques pour les deux stratégies (64 % pour G, 65 % pour D), conformément à la prédiction théorique par l’équilibre en stratégies mix-tes.

Une autre propriété de l’équilibre de Nash en stratégies mixtes est que les joueurs doivent effectivement choisiraléatoirement. Ainsi, il ne doit pas y avoir de corrélation entre les choix présents et les choix passés. Cette pro-priété n’est toutefois pas vérifiée dans l’étude de Walker et Wooders ; en effet, les joueurs modifient leurs choix trop fréquemment par rapport à une

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décision aléatoire, ce qui signifie que, comme dans les expériences en labo-ratoire, il n’y a pas indépendance entre les actions présentes et les actions passées. Ce résultat vient quelque peu nuancer la conclusion des auteurs en faveur de la théorie des stratégies mixtes.

Hsu, Huang et Tang [2007] ont répliqué l’étude de Walker et Wooders sur une série d’autres matches. Ils trouvent des résultats encore plus nets en faveur de la théorie des stratégies mixtes puisque les deux propriétés de l’équilibre en stratégies mixtes (taux de réussite identiques sur les deux stratégies pures et choix aléatoire entre les stratégies) sont cette fois-ci vérifiées.

Le même type d’étude a été mené sur les penalties au football par Chiap-pori, Levitt et Groseclose [2002] et par Palacios-Huerta [2003]. Comme pour le service au tennis, le penalty au football est une situation simple d’interac-tion stratégique entre deux joueurs (le tireur et le gardien) ayant les carac-téristiques d’un jeu à somme constante. Considérons que les deux joueurs aient deux stratégies pures. Le tireur peut choisir de tirer sur sa droite (D) ou sur sa gauche (G)24. Compte tenu de la force de frappe du tireur, la balle met

environ 3 dixièmes de seconde pour arriver sur la ligne de but ! Par consé-quent, le gardien doit anticiper un tir à droite (D) ou un tir à gauche (G), avant que le tireur n’ait touché le ballon25. Autrement dit, il s’agit bien d’un

jeu simultané, les deux joueurs ignorant le choix de l’autre au moment de faire le leur26.

Dans ce jeu à somme constante, le gain du tireur correspond à la proba-bilité d’inscrire le but alors que celui du gardien est simplement la probabi-lité complémentaire, c’est-à-dire la probabiprobabi-lité que le tireur échoue. Sur la base des 1417 tirs de penalty analysés par Palacios-Huerta [2003], les va-leurs des gains du jeu sont celles présentées dans le tableau suivant :

Gardien

G D

Tireur

G 58.30, 41.70 94.97, 5.03

D 92.91, 7.09 69.92, 30.08

Dans chaque case, le premier chiffre correspond au « gain » du tireur (c’est-à-dire la probabilité, en %, qu’il marque) et le second au « gain » du gardien (la probabilité complémentaire).

24. On suppose pour simplifier qu’il ne peut choisir l’option de tirer au milieu. L’analyse est en tout point similaire lorsqu’on inclut cette troisième stratégie pure.

25. Notons que l’on omet la possibilité pour le gardien de ne pas plonger, c’est-à-dire de rester immobile au milieu du but. Voir Bar-Eliet al.[2007] sur l’existence d’un biais psycho-logique en faveur de l’action, qui pousserait les gardiens à plonger trop systématiquement compte tenu de la distribution des tirs.

(26)

AppelonsTGla probabilité à l’équilibre que le tireur tire à gauche,TD la probabilité d’équilibre qu’il tire à droite,GGla probabilité à l’équilibre que le gardien plonge à gauche et GD la probabilité d’équilibre que le gardien plonge à droite. Il est très facile de vérifier que l’unique équilibre en straté-gies mixtes est caractérisé par :TG=0,39,TD=0,61,GG=0,42etGD=0,58.

Les données de Palacios-Huerta concernent 1417 penalties tirés dans des matches de championnats espagnol, italien ou anglais. Le Tableau 3 com-pare, au niveau agrégé, les stratégies observées avec les prédictions théo-riques.

Tableau 3. Résultats de Palacios-Huerta [2003]

Tireur Gardien

G (%) D (%) G (%) D (%)

Equilibre de Nash 38,54 61,46 41,99 58,01

Observations 39,98 60,02 42,31 57,69

Source :Palacios-Huerta [2003], p. 402.

Les observations sont très proches des prédictions théoriques. Ainsi, l’équilibre en stratégies mixtes s’avère être un bon modèle prédictif des stratégies effectivement adoptées par les tireurs et les gardiens.

Pour un joueur donné, le concept de stratégies mixtes implique qu’il doit avoir le même taux de réussite sur les deux stratégies pures. Prenons le cas de Zinédine Zidane, un des joueurs étudiés par Palacios-Huerta. Sur 40 penalties observés, il a tiré 19 fois à gauche (48 %) et 21 fois à droite (52 %) avec des taux de réussite quasiment identiques de 74 % et 76 %, respecti-vement. Ainsi, Zinédine Zidane serait-il (en plus…) un excellent théoricien des jeux ! Notons que les choix stratégiques des tireurs de penalties ou des gardiens peuvent être largement « inconscients » ; simplement, leur im-mense expertise du jeu les conduit naturellement à opter pour les stratégies optimales (Palacios-Huerta [2003], p. 406).

Palacios-Huerta montre également que les décisions des joueurs sont bien aléatoires et que, par conséquent, les choix présents sont indépendants des choix passés. Ainsi, la seconde implication de l’équilibre de Nash en straté-gies mixtes (décision aléatoire) est également vérifiée.

(27)

sont les mêmes à droite et à gauche pour chaquejoueur de l’échantillon (mais éventuellement différentes entre les joueurs)27.

Les résultats de Chiappori et al. [2002] sont très proches de ceux de Palacios-Huerta : les joueurs choisissent les stratégies mixtes optimales et leurs décisions sont bien aléatoires28. Par ailleurs, Moschini [2004], qui

s’in-téresse à une autre phase de jeu typique, dans laquelle l’attaquant se trouve, pendant une action, à l’entrée de la surface de réparation, obtient également des résultats conformes aux prédictions théoriques par l’équilibre de Nash en stratégies mixtes.

Quelle conclusion peut-on tirer de l’ensemble de ces études de cas « spor-tives » ? Les expériences classiques en laboratoire montrent que les sujets novices n’adoptent pas les stratégies optimales dans les jeux avec équilibre en stratégies mixtes alors que les études de cas sur le tennis ou le football montrent que les sportifs professionnels trouvent, eux, la stratégie d’équili-bre. Sur le spectre de l’expertise, on trouve à une extrémité les novices (tels que les sujets des expériences), pour lesquels la théorie ne marche pas bien, et à l’autre, les sportifs professionnels, pour lesquels la théorie semble s’ap-pliquer correctement. Bien entendu, la majorité des jeux à somme constante « réels » se déroulent dans un contexte intermédiaire entre ces deux cas polaires ; or, on sait très peu de choses sur ces cas « intermédiaires »…

4.2. Les comportements stratégiques

dans les tournois

Certains modèles de la théorie du tournoi s’intéressent aux comporte-ments stratégiques des joueurs en cas de capacités intrinsèques hétéro-gènes, c’est-à-dire, dans un cadre simple à deux participants, en présence d’un favori et d’un outsider. Dixit [1987] montre, à l’aide d’un modèle de théorie des jeux, que, s’il joue en premier, le favori a toujours intérêt à s’engager à fournir un niveau élevé d’effort (plus élevé que dans le cas sans engagement), alors que l’outsider a, lui, l’incitation inverse. Baik et Shogren [1992] ont étendu le modèle de Dixit en considérant un choix endogène de l’ordre d’intervention des joueurs. Ils montrent que l’outsider a toujours intérêt à jouer en premier alors qu’il est de l’intérêt du favori d’attendre et de jouer en second.

Les modèles théoriques sur les comportements stratégiques du favori et de l’outsider n’ont fait l’objet que de très peu d’investigations empiriques. La raison en est évidente : il est difficile de trouver des situations économiques dans lesquelles les positions de favori et d’outsider sont clairement définies et les stratégies des uns et des autres (notamment l’ordre dans lequel ils

27. Voir Chiapporiet al.[2002] pour une discussion détaillée sur ces aspects méthodolo-giques.

28. Voir également Coloma [2007] qui obtient des résultats similaires à ceux de Chiappori

Gambar

Figure 1. Nombre d’articles « sportifs »publiés dans les revues généralistes, 1991-2005.

Referensi

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