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Tentara menumpas terorisme dan ancaman militer

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Université de Paris VII – Denis Diderot UFR de Sciences sociales

Militer pour l’antiracisme

Mémoire de maîtrise de sociologie

Etienne ANTELME

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Introduction.

L’engagement des militants antiracistes, qui est l’objet de cette étude, se définit d’abord contre le racisme. Il présuppose donc fonctionnellement un acte de définition de celui-ci. Pour situer le sens de cette opération de conceptualisation, il est utile de se pencher sur les usages sociaux dominants de la notion de racisme. Dans un dictionnaire général , le « racisme » est défini comme suit : « 1902 ; de race . 1 – Théorie de la hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race dite supérieure de tout croisement, et à son droit de dominer les autres. Le racisme n’a aucune base scientifique. 2 – (Abusivement) Hostilité systématique contre un groupe social. »1 On peut voir ici la définition la plus commune du racisme, qui le qualifie de théorie affirmant la supériorité absolue d’un groupe d’hommes sur les autres. Ici, le racisme est caractérisé avant tout comme mouvement de dévalorisation, d’infériorisation de l’Autre, légitimant sa domination et son exploitation, et dont le paradigme est l’esclavage. Il s’agit là d’une première logique du racisme, l’ « inégalitarisme ». Un deuxième axe interne au racisme, le « différentialisme », est également perceptible dans cette définition. En effet, il est question d’une volonté de préserver « la race dite supérieure de tout croisement ». Sur cette base, on peut dire que le groupe « racisé » n’est pas seulement perçu comme propre à être dominé, mais aussi comme menaçant, antagonique, devant être tenu à l’écart, ce qui complète la légitimation de sa domination. Nous rendrons compte un peu plus loin des débats scientifiques concernant l’articulation de ces deux dimensions du racisme.

La définition précitée étant issue d’un dictionnaire à la diffusion très large, on peut la considérer comme représentative de l’idéologie dominante. Dès lors, on peut noter qu’elle contient implicitement un jugement négatif du racisme, en affirmant que le racisme n’a aucune base scientifique. Le mouvement social antiraciste a ainsi pu être qualifié de « mouvement sans adversaires » [Juhem, 2001], dans la mesure où, à l’instar des mobilisations protestant contre le terrorisme, il s’appuie sur un large consensus. De

1 REY-DEBOVE Josette, REY Alain (sous la direction de), « Racisme », in Le petit Robert, Dictionnaires

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par sa définition sociale dominante, le racisme est aujourd’hui, dans la société française, une idéologie fortement stigmatisée, qu’il est difficile de revendiquer dans l’espace public. Par suite, le conflit antiracistes/racistes est d’une autre nature qu’un conflit salariés/patronat, dans lequel les acteurs sont à même de faire accepter par leurs adversaires, au moins partiellement, une légitimité de leur existence sociale. En tant qu’auto-définition publique, le raciste est presque introuvable.

La deuxième partie de la définition postule un usage abusif du terme servant à désigner une « hostilité systématique contre un groupe social ». Au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, notamment en liaison avec le travail de mémoire entourant la Shoah, le combat antiraciste s’est institutionnalisé, au niveau national comme international. Ainsi, le « racisme » est devenu un mot extrêmement familier dans la société française. Si une telle banalisation de ce concept est peut-être le signe réjouissant de l’intégration dans la conscience collective d’ un antiracisme de base, intériorisé chez les individus par une éducation de masse qui va dans ce sens, on peut aussi penser, comme le sociologue Pierre-Jean Simon, qu’à « travers la banalisation du terme il y a une banalisation de la chose » [1998], qui risque de créer de la confusion dans la reconnaissance du problème et dans son traitement.

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Erik Neveu définit la notion de mouvement social comme une « forme d’action collective concertée […] dans une logique de revendication, de défense d’un intérêt matériel ou d’une « cause » » [2002], et qui se construit en identifiant un adversaire. On peut la décrire comme une composante importante de la participation politique. L’antiracisme, comme l’ensemble des mouvements sociaux, s’inscrit dans une évolution historique tendant à la politisation de l’action protestataire, dans le sens d’un recours croissant à l’Etat, identifié comme le lieu du déclenchement de politiques publiques appelées à régler les problèmes construits en tant que questions sociales. On identifie souvent spontanément les mouvements sociaux à des acteurs dominés, les opposant à l’action politique institutionnalisée. Cependant, une approche relationnelle de ce phénomène invite à le concevoir davantage comme un espace d’accès aux arènes sociales institutionnelles, à travers l’interconnexion de différents univers sociaux, plus ou moins institutionnalisés. Ainsi, si l’idéal-type de l’action du mouvement social réside dans une participation directe des militants à une action orientée vers les autorités politiques, celle-ci n’est pas nécessairement disjointe d’une certaine institutionnalisation comme groupe de pression. D’autre part, elle est aussi souvent faite de pratiques qui ne s’adressent pas aux pouvoirs politiques, mais se déroulent au sein de la société civile, telles que l’ « éducation populaire » ou les réseaux d’entraide.

Depuis l’affaire Dreyfus, le mouvement social auto-désigné comme « antiracisme » s’est progressivement construit comme un « espace d’appel » [Ibid]

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Selon Albert Lévy, qui fut longtemps secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), « comparé à la plupart des associations de même nature, le MRAP se distingue, précisément, par son universalisme » [1999]. Aspirant à lutter contre tous les racismes, le MRAP est exemplaire d’une posture universaliste prétendant à un militantisme moral, agissant en faveur de groupes dont il n’est pas nécessaire de faire partie. Ainsi, le discours officiel du mouvement insiste sur une volonté d’ouverture politique et culturelle : sur son site internet, il préconise une « lutte pour les droits de l’homme au-delà des sensibilités politiques, philosophiques ou confessionnelles des membres qui le composent ». Cependant, l’étude de l’histoire du MRAP témoigne de liens importants avec la gauche communiste. Encore aujourd’hui, des statistiques produites par Johanna Siméant [1998], ainsi que l’enquête que nous avons menée, démontrent une continuité d’une inscription dans cet univers de référence politique. Une deuxième dimension historique significative pour caractériser le MRAP réside dans le contexte de sa création, qui s’appuya sur une forte base dans la communauté juive de Paris, notamment à travers différentes organisations de solidarité issues de la résistance à l’occupation nazie.

A partir d’une enquête auprès de militants du MRAP, le but de notre recherche est d’étudier l’idéologie et les pratiques qu’ils mettent en œuvre dans un antiracisme politique. A partir d’une démarche de sociologie compréhensive, il s’agit de cerner une « carrière » idéologique et culturelle aboutissant à une implication active dans ce collectif, et à un positionnement particulier dans celui-ci, pouvant provoquer une position plus ou moins critique, pouvant aller jusqu’à la rupture. Afin d’appréhender les conditions de possibilité de l’engagement des militants interviewés, nous tenterons de mettre en valeur les trajectoires au principe de leur militantisme actif.

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symboliques, mais celles-ci risquent alors d’être identifiées de manière tautologique, sans mettre à jour la logique sociale qui les précède.

Pour décrire la rationalité à l’œuvre dans le militantisme au MRAP, il est important d’étudier les trajectoires militantes individuelles, afin de replacer cet engagement dans un champ plus large, qui est celui du militantisme politique. En effet, notre recherche nous a amenés à constater que la plupart des militants du MRAP adhère, ou a adhéré, à au moins un syndicat, parti politique, ou autre association politique que le MRAP. Au départ de notre recherche, nous avons élaboré une question de départ, qui s’est progressivement précisée dans une problématique :

- Comment des individus parcourent la distance qui sépare un antiracisme fait de l’affirmation de principes généraux, intégrés dans la morale dominante, consistant

essentiellement en une attitude passive ou défensive, à l’implication dans un antiracisme actif et offensif, politique, donc amené à identifier des enjeux précis, des manifestations du racisme dans l’ensemble de la société, et à désigner la responsabilité, par action ou absence d’action, du pouvoir étatique à travers ses instances exécutives, législatives et judiciaires ?

- Quelles trajectoires sociales et militantes peuvent amener des individus à s’engager activement au MRAP ? Quelles dimensions de leur capital social sont investies ou ont été acquises dans leur activisme ? Quelle intégration sociale représente le militantisme pour eux ?

- Quel est leur rapport au politique ?

- Quels sont les principes fédérateurs de l’idéologie des militants, quel sens donnent-ils à leur combat ? En quels termes définissent-ils les enjeux du mouvement ? Quelles relations de conflit font sens pour eux ? Quels sont les critères de leur combat universaliste ? Quel est leur rapport subjectif à l’engagement ? Quelles valeurs et quelle rationalité morale mettent-ils en avant ?

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I/ La méthode appliquée.

1 - La construction de l’objet sociologique.

Avant d’exposer la recherche que nous avons mise en œuvre, il est important de rappeler l’objet de la sociologie, en nous appuyant sur certains concepts fondamentaux, mûris par différents chercheurs qui ont contribué à consolider le statut scientifique de cette discipline. La sociologie est l’étude des faits sociaux, c’est-à-dire des « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui » [Durkheim] . De cette définition du social comme extérieur à l’individu – dans la mesure où il lui préexiste - découle le précepte durkheimien selon lequel il faut traiter les faits sociaux comme des choses. Cette objectivité du social, qui justifie l’ambition scientifique de la sociologie, s’incarne à la fois dans des règles instituées, formelles, des conditions objectives d’existence, mais aussi dans des systèmes de dispositions sociales incorporées, des habitus, pour reprendre un concept largement développé par Pierre Bourdieu.

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ils évoluent, en en faisant un objet de connaissance qu’ils investissent de sens. Le point de vue subjectiviste a donc l’intérêt de mettre en avant le fait que les individus sont doués d’une compétence sociale, qu’ils ne sont pas le jouet de forces autonomes, et qu’ils élaborent des stratégies faites de représentation et de volonté. Mais là aussi, il existe un écueil à éviter, celui d’oublier de prendre en compte les structures sociales dans lesquelles les agents sociaux effectuent leurs actes de construction. En effet, si ces derniers effectuent bien des actes de classification individuels, ils n’ont pas produit les catégories qui sont à leur principe, et qui expliquent la persistance des configurations objectives dans lesquelles les individus mettent en œuvre leurs stratégies. Une recherche sociologique fructueuse se doit donc de considérer ces deux orientations comme deux moments de l’analyse qui sont complémentaires. Pour construire un objet sociologique, il est cependant conseillé de partir de l’objectivation des structures du phénomène que l’on veut étudier, qui permet une première rupture avec les prénotions du sens commun.

2 – La phase exploratoire et les conditions d’accès au terrain d’enquête.

Le point de départ de notre recherche, en posant naïvement la question « Comment peut-on être antiraciste ? » consista à se défier de la doxa, qui présente

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des années 80, et dont les revendications s’axent principalement autour de la dénonciation des injustices sociales subies par les populations issues de l’immigration et vivant dans les quartiers populaires. Mais ce groupe s’avéra difficile à contacter, car doté d’une structure militante très lâche et informelle. Notre documentation parallèle nous confirma la faiblesse de structures de cette association, liée à la radicalité et la volonté d’autonomie mises en œuvre dans ses revendications. Je décidai alors de me diriger vers une association à la structure organisationnelle plus importante, en l’espèce le MRAP.

Souhaitant m’intéresser prioritairement à la dimension politique – c’est-à-dire à la mise en jeu de catégories politiques dans des revendications orientées vers les pouvoirs publics - de l’association plus qu’à sa structure organisationnelle, mon but initial fut de rencontrer des militants actifs dans l’association, avec l’intention de diversifier, dans la mesure du possible, l’échantillon des personnes interviewées. Pour cela, j’adhérai au mouvement, en notant sur le bulletin d’adhésion mon intention de participer activement au comité local de mon quartier, celui regroupant le cinquième et le treizième arrondissement de Paris. Cette adhésion me permit de recevoir, à partir du mois de décembre 2004, le magazine trimestriel de l’association, Différences – dont je pus aussi

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dehors de cette réunion, je pus assister à une assemblée générale du comité, ayant notamment pour buts de tirer un bilan de son activité, de dresser un rapport financier et d’élire son bureau. Engagé dans un travail de type ethnographique, je me posai la question de savoir si mes entretiens devaient ou non être réalisés dans un espace d’interconnaissance, cadre qu’il est souvent propice d’utiliser pour analyser la vie interne d’un groupe associatif. Mais l’activité relativement irrégulière de ce genre de comité associatif me détourna d’un travail focalisé sur un comité local. En effet, les comités locaux n’engagent pas en tant que tels leurs militants dans une pratique intensive, car ils restent subordonnés au bureau national de l’association qui concentre la mise en œuvre de ses grandes orientations. Il n’était donc pas possible d’effectuer beaucoup d’observations sur ce groupe, stratégie qui se prête davantage à l’étude de groupes restreints totalement autonomes. En plus de ces raisons, il ne me parût pas pertinent de limiter l’échantillon de mes enquêtés au comité local du cinquième et du treizième arrondissements pour des raisons de diversité sociologique.

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titre « Nous sommes les indigènes de la république », qui, début 2005, divisa beaucoup dans les milieux antiracistes et notamment au MRAP. Cette interview me permit d’étudier un profil militant en rupture avec l’antiracisme traditionnel et institutionnalisé tel que le développe le MRAP.

Dans le but d’étudier une diversité d’acteurs antiracistes, nous nous posâmes la question de l’utilité d’élargir le champ social étudié à d’autres organisations antiracistes. Mais la diversité des orientations thématiques du MRAP, prétendant à un antiracisme universaliste, ainsi que son histoire déjà ancienne et riche, nous incita à nous concentrer sur cette association. Afin d’objectiver le champ social de l’antiracisme, dans lequel évoluent les militants interviewés, nous serons conduits à dresser un bref état des lieux des grandes organisations antiracistes, et à nous pencher sur l’évolution de l’antiracisme politique dans la société française. Au niveau individuel des enquêtés, il s’agira de faire ressortir les caractéristiques objectives de leurs trajectoires sociales et politiques, afin de les mettre en relation avec le sens qu’ils donnent à leur engagement.

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II / L’antiracisme en France : des valeurs mythiques de

l’Histoire aux crises du présent.

1 – La place du MRAP parmi les principales organisations antiracistes françaises.

Depuis la fin du dix-neuvième siècle, la société française a vu émerger plusieurs organisations politiques se réclamant explicitement et prioritairement de la cause antiraciste. Aujourd’hui, quatre d’entre elles se distinguent, de par leur relative institutionnalisation et leur importante renommée : la LDH, la LICRA, le MRAP, et SOS racisme. Chacune d’elles s’est formée dans un contexte social et politique particulier, dont il s’agit ici d’esquisser les grandes lignes.

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en faveur de la révision du procès de Dreyfus. Cette catégorie sociale joue encore aujourd’hui un grand rôle dans le mouvement antiraciste, comme nous le verrons par la suite dans l’analyse des profils sociologiques des militants du MRAP, ainsi que dans celle de la place accordée à l’éducation, dans le mouvement social antiraciste. Enfin, cette émergence de l’antiracisme politique créa aussi un point de rencontre entre les intellectuels et les institutions de plus en plus puissantes du mouvement ouvrier français.

La Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, quant à elle, naquit en 1928, sous le nom de LICA, ajoutant le « R » de « racisme » à son acronyme en 1936. Elle fut fondée en réaction à la montée de l’antisémitisme et des pogroms en Russie, et lia ensuite son discours à l’anti-fascisme du Front populaire.

La création d’SOS-Racisme, en 1984, répondit à de nouvelles préoccupations, dans un contexte de crise économique. Le début des années 80 fut le moment de nouveaux défis pour le mouvement antiraciste, avec la montée de l’extrême droite et particulièrement du Front national, stabilisant sa base électorale entre 12 et 14% des votes, ainsi qu’avec l’émergence de ce que l’on nommera le mouvement « beur », c’est-à-dire l’entrée sur la scène publique des jeunes – français ou étrangers – dits de la « seconde génération », enfants d’immigrés, qui créèrent des organisations autonomes, en réaction à différentes agressions, crimes, attentats et « bavures policières » à caractère raciste. Cette période fut marquée par des explosions de révolte (étés 81 et suivants), des grèves de la faim (1981 et 1983), ainsi que par la création de « collectifs » et de groupes autonomes. Cette dynamique culmina dans les « marches » de 1983 (« Marche pour l’égalité et contre le racisme ») et 1984 (« Convergence 1984 »). C’est dans le sillage de ces mouvements, soutenus par les grandes organisations antiracistes (LDH, LICRA et MRAP) mais œuvrant indépendamment d’elles, que Sos-Racisme fut créée.

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chances d’être stigmatisée par les mouvements antiracistes de gauche. Une deuxième spécificité des premières années d’activité d’SOS-Racisme se trouve dans les répertoires d’action qu’il utilisa. La notion de « répertoire d’action collective » a été élaborée par Charles Tilly [1986] pour décrire les formes plus ou moins codifiées que prend l’action protestataire. Les répertoires d’action qu’utilisa alors SOS-Racisme renouvelèrent ceux de l’antiracisme classique issu de la lutte antifasciste, essentiellement axé sur des « standards » éprouvés tels que la manifestation, mais aussi sur la notion d’éducation populaire et sur celle de solidarité, forgée dans les réseaux d’entraide organisés dans la résistance à l’occupation nazie. Ce nouveau mouvement fit d’abord campagne en direction de la jeunesse, distribuant de nombreux badges portant le slogan « Touche pas à mon pote » et organisant de grands concerts. Il parvint à mobiliser, lors de ses premières actions, de nombreux soutiens médiatiques. En quelques mois, SOS-Racisme acquit une popularité supérieure à celle des autres organisations antiracistes, ce qui lui permit de réunir, dès le mois de juin 1985, des centaines de milliers de personnes, place de la Concorde, à Paris. L’association s’efforça de revivifier les revendication antiracistes, tâchant de les rendre plus populaire en mettant l’accent sur une expression positive des différences culturelles et du métissage, dans le but de contribuer au développement d’un consensus antiraciste le plus large possible.

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clairement établie après les premiers temps où elle fut occultée, fut dénoncée par d’autres groupes issus du mouvement « beur », dont précisément SOS-Racisme tirait sa légitimité. Ainsi ce mouvement fut fortement soupçonné par un nombre important de militants issus de la « marche des beurs » - et l’est encore aujourd’hui - d’être un instrument du Parti socialiste destiné à « casser » la radicalité de ce mouvement et à le récupérer à son profit.

Dans l’optique de renforcer sa cohérence interne et son implantation locale, SOS-Racisme sera amené à politiser ses propos, qui déclencheront un revirement d’un grand nombre de ses appuis médiatiques et politiques. Deux prises de position provoqueront une rupture de consensus autour de l’association. La première verra SOS-Racisme s’opposer à l’exclusion de l’école prononcée contre deux élèves musulmanes portant le foulard, à Creil, en 1989. La deuxième sera sa participation aux mobilisations protestant contre la guerre du Golfe. Dans les deux cas, le mouvement fut à rebours de la majorité de l’opinion, et à fortiori de celle exprimée par les partis politiques et les médias, qui furent les principaux relais de son rapide développement. SOS-Racisme deviendra alors plus radical et critique dans sa dénonciation du racisme, notamment à travers la critique des politiques d’intégration, ce qui le conduira à se rapprocher des organisations antiracistes traditionnelles. La première phase de l’activité de cette association consista donc en un mode d’action collective mettant en avant des valeurs simples et consensuelles, illustrant la propension de l’antiracisme français à bâtir un projet hégémonique, par une sorte d’idéalisation des rapports entre les différentes fractions de la société française, évitant la mise au jour de conflits sociaux concrètement liés à l’expression du racisme dans la société française. Ensuite, ce n’est que par son engagement dans des conflits politiques particuliers, mettant en cause des responsabilités particulières, que SOS-Racisme put conserver une base militante assez forte pour agir localement, et donc devenir une organisation à part entière du mouvement social antiraciste.

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menée dans le cadre général du combat pour libérer la France. Son activité consista à « réunir des résistants juifs et non-juifs pour des actions à caractère humanitaire : cacher des enfants qui risquaient la déportation, organiser des évasions et le passage des frontières, fabriquer des faux papiers… et obtenir de l’aide au-delà des milieux juifs, notamment parmi les milieux catholiques » [Lévy, 1999]. Ce groupement s’efforça aussi de contrecarrer l’idéologie raciste de l’occupant et de Vichy, notamment grâce à deux journaux clandestins : J’accuse en zone nord et Fraternité en zone sud. Ces

brochures accordaient une place importante à des contributions intellectuelles, avec par exemple la publication, en 1943, d’une Psycho-analyse de l’antisémitisme, écrite par le

philosophe Vladimir Jankélévitch. Le MRAP eut aussi comme base une autre organisation résistante, l’UJRE (Union des juifs pour la résistance et pour l’entraide), qui lui donnera son journal, Droit et liberté. Au lendemain de la guerre fut créée une

large organisation antiraciste, l’Alliance antiraciste, composée de la LICRA et du MNCR. Mais très vite, de sérieuses tensions apparurent entre l’ancienne génération de ceux qui étaient à la tête de la LICRA avant la guerre (menés par Bernard Lecache) et les plus jeunes (parmi lesquels se distingua Charles Palant, qui deviendra plus tard président du MRAP), ainsi qu’entre gaullistes et communistes. L’alliance éclata après son premier congrès en 1947, et mena à la création du MRAP, en 1949, au milieu de vifs reproches qui durèrent quelques années.

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entre les Alliés dans les débuts de la guerre froide, ainsi que par celles existant à l’intérieur de la Résistance. Il s’agissait alors de refonder l’antiracisme, au lendemain de l’Holocauste, et de tenter de construire une hégémonie antiraciste, au-delà des divisions, fédérant un maximum de courants d’opinion autour du serment d’allégeance suivant, se référant à l’expérience récente : « Je jure de ne jamais être dans le même camp que les bouchers nazis » (Droit et liberté n°29, juin 1949).

Dans la première décennie de son existence, le MRAP s’attacha à quatre combats principaux . Il s’agît d’abord de lutter pour une « dénazification », en stigmatisant la réhabilitation de certains responsables nazis en Allemagne, ainsi que celle de certains de leurs complices en France. Il s’engagea aussi dans la dénonciation des oppressions subies par les Noirs américains, dans celle de l’affaire Rosenberg, du nom d’un couple exécuté aux Etats-Unis, « otages progressistes et juifs de la « chasse aux sorcières » » [Lévy, 1999], dans le contexte de la guerre froide. Enfin, il dénonça la « peur et le soupçon frappant des innocents sous le signe de l’ « antisionisme » » [Ibid], en Europe

de l’Est, et manifesta sa solidarité avec les peuples colonisés. Pour donner des assises idéologiques fortes à ces différents combats, le MRAP participa, sur le plan intellectuel, à développer un discours mobilisant l’héritage politique et philosophique des Lumières et de la Révolution française, afin d’affirmer une « tradition » antiraciste.

2 – Les mythes des Lumières et de la Révolution française : l’idéal d’une France antiraciste.

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basé sur des idées progressistes et libératrices. Pour les acteurs antiracistes, deux évènements symbolisent la dimension antiraciste de cette période historique : l’émancipation des juifs, en septembre 1791, et l’abolition de l’esclavage, en février 1794. Depuis 1945, on peut voir des relations fortes entre les discours – au sens de systèmes de pensée institutionnalisés – antiracistes, et des interprétations changeantes des Lumières et de la Révolution française, dans un ensemble d’affirmations sur les origines et la légitimité dérivées de l’Histoire. Cette construction d’une « tradition antiraciste » fonctionna doublement. D’une part, elle servit à fournir un cadre de socialisation permettant de consolider la cohésion interne des organisations militantes, notamment à travers l’éducation populaire et des appels au développement de lois contre le racisme. D’autre part, ces appels mirent en avant l’idée d’une rationalité antiraciste, en tant que partie intégrante du projet scientifique des Lumières.

Dans cette période de « refondation » de l’antiracisme politique, que l’on peut situer sur une période allant de 1949 à 1960, le discours utilisé releva en partie de l’ordre du mythe, en étayant l’idée d’une France antiraciste et tolérante par nature. Dans le magazine Droit et liberté, la France est alors présentée comme ayant un rôle spécial,

de par une longue histoire de pays d’immigration. Elle est caractérisée comme une « Athènes moderne » - référence qui ne peut être élogieuse qu’à condition de l’abstraire de la réalité historique de l’esclavage – de par la tradition de la Déclaration des droits de l’Homme, et même comme ayant une tradition d’ouverture et de démocratie

antérieure à la Révolution. Dans le premier numéro de Droit et liberté, elle est décrite

de la manière suivante : « C’est précisément parce que son territoire n’est pas une forêt vierge à conquérir qu’elle jouit de cette position privilégiée de terre façonnée par une civilisation millénaire qui reste assez riche pour accueillir de nouveaux enfants » [Droit et liberté n°1, 29 octobre 1949]. La référence à 1789 n’est pas hasardeuse, dans la

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Les articles éducatifs qui paraissent se réfèrent en détail à la Révolution et aux Lumières. Ils mettent en valeur des figures clé, des philosophes comme Montaigne, et aussi de célèbres personnages français qui ne sont pas nés en France, tels que Jean-Jacques Rousseau. De nombreux articles font référence à un autre personnage, présenté comme incarnant un lien entre l’antiracisme et les autres aspects des Lumières et de la Révolution : l’abbé Grégoire, personnage qui défendit des idées antiracistes au moment de la Révolution française. En 1931, au moment du centenaire de sa mort, il commença à faire l’objet d’une certaine vénération dans la communauté juive en France. Dans l’après-guerre, il devint une figure de référence pour le mouvement antiraciste. On mit en valeur les positions qu’il avait prises en faveur de la tolérance religieuse, et pour l’émancipation des juifs. On souligna aussi le fait qu’il était un membre important de la « Société des amis des Noirs », engagé en faveur de l’abolition de l’esclavage dans les colonies, qu’il participa à faire voter comme député à la Convention. En tant que prêtre, il avait l’avantage de pouvoir sensibiliser un auditoire chrétien. L’exemple de l’abbé Grégoire fut utilisé pour aborder les problèmes de racisme contemporain, tels que ceux présents aux Etats-Unis et dans l’empire colonial français. Il fut présenté comme un militant ayant combiné des valeurs universalistes et particularistes, notamment à travers ses critiques des inégalités sociales et ses contacts avec les élites culturelles juives, et revendiquant une morale basée sur la tolérance religieuse, en utilisant la science et la raison.

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traditionnel porté par les grandes organisations telles que le MRAP, et donneront lieu à un certain nombre de critiques, à travers la contribution de philosophes aux débats, ainsi que de la part de nouveaux acteurs antiracistes revendiquant leur autonomie vis-à-vis des valeurs universalistes et assimilationnistes mises en valeur dans l’héritage historique français.

3 – Les tensions de l’antiracisme français entre universalisme et particularisme.

Le mouvement antiraciste français, principalement lié à la gauche, a constamment dû affronter des tensions internes entre universalisme et particularisme. Lors de l’affaire Dreyfus s’exprimèrent déjà des divergences entre l’approche de la LDH, essentiellement fondée sur une perspective universaliste liée au combat pour la laïcité, et le militantisme provenant d’une partie de la communauté juive, mené par une organisation nommée le Prolétariat juif. Celle-ci était issue de vagues récentes d’immigration ayant fui l’Europe centrale et de l’Est, et notamment les pogroms russes de 1892. Ces immigrés eurent une réaction plus forte à l’affaire que le reste de la communauté juive française, anciennement installée et dotée d’une tradition assimilationniste et séculariste.

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l’auto-détermination, avec le « droit à l’insurrection » de la Révolution française, et surtout avec le combat plus récent de la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale. Peu à peu, de nombreuses remises en question du rôle de la France dans le monde émergèrent, et l’expérience de la guerre d’Indochine (1947-54), puis de la guerre d’Algérie (1954-1962), finit par provoquer une rupture dans le discours de la gauche qui, à la fin des années 50, se mit à défendre explicitement le droit des peuples à l’auto-détermination nationale. Dans les années 50 et 60, les voix des colonisés, amplifiées par l’immigration de l’après-guerre largement issue des territoires colonisés, se firent de plus en plus entendre dans le discours anti-colonialiste et anti-raciste en France.

A travers les contributions d’intellectuels issus des colonies, parmi lesquels on peut distinguer Aimé Césaire, Albert Memmi ou encore Frantz Fanon, apparurent des revendications culturelles, la figure du colonisé n’étant plus seulement vue comme celle d’un travailleur exploité économiquement. Dans le même courant émergea l’accusation d’un paternalisme exercé par la France, prétendant apporter aux colonisés des lumières universelles, et les mouvements antiracistes commencèrent à devoir s’interroger sur la représentativité de leur action.

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Ces contradictions internes au mouvement antiraciste reflètent les débats philosophiques et anthropologiques entre universalisme et relativisme culturel. Le premier élément de ce binôme tend à ignorer les différences entre cultures pour valoriser des principes égalitaires. Le deuxième, qui a été développé plus récemment, notamment par Claude Lévi-Strauss, est venu en réaction à l’ethnocentrisme inhérent à toute société, et au principe des prétentions civilisatrices des empires coloniaux occidentaux. Ce concept d’ethnocentrisme a d’abord été utilisé par le sociologue américain William Graham Sumner, pour décrire « cette vue des choses selon laquelle notre propre groupe est le centre de toutes choses, tous les autres groupes étant mesurés et évalués par rapport à lui »2. Dans un essai titré Race et histoire – publié par l’Unesco

en 1952, parmi une série de brochures consacrées au problème du racisme dans le monde – Lévi-Strauss s’attacha à montrer l’omniprésence de cette manière de penser l’altérité culturelle et sociale. Il s’en servit notamment pour dénoncer un « faux évolutionnisme », décrit comme une « tentative pour supprimer la diversité des cultures tout en feignant de la reconnaître pleinement ». En effet, cet évolutionnisme social tend à considérer les différences entre les sociétés comme la manifestation de leurs situations à différentes étapes d’une même échelle d’évolution. En concevant le développement des sociétés humaines comme univoque, dirigé dans la même direction, il a pu apparaître comme un universalime. Mais en considérant cette direction uniquement en référence aux valeurs issues de leurs sociétés, les grand empires coloniaux issus de la civilisation occidentale ont pu légitimer toute un ensemble d’opérations d’exploitation de nature raciste, infligées aux peuples colonisés sous le prétexte d’une mission civilisatrice. Ainsi, ce faux universalisme a justifié toute une série de processus d’acculturation méprisant la différence culturelle.

A partir de la fin des années 50, le discours antiraciste en France va ainsi évoluer. Sous l’impulsion des combats pour la décolonisation et en faveur du tiers-monde, les valeurs de progrès et de modernité, basées sur les « grands récits » des Lumières et de la Révolution française, vont connaître de nouveaux questionnements. Les acteurs antiracistes vont prendre un recul croissant vis-à-vis des personnages mythifiés des Lumières. Il va s’opérer la reconnaissance de l’existence d’un discours sur les « races »

2 W. G. Sumner, Folkways. A study of the Sociological Importance of Usages, Manners, Customs, Mores

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pendant cette période historique. En effet, il apparut alors utile de montrer l’ambivalence des Lumières qui, en affirmant apporter le progrès et la liberté, présupposaient dans une certaine mesure l’infériorité des autres cultures. L’accent va davantage être mis sur les discours de raison et d’éducation des Lumières, ainsi que sur leur rôle dans le développement de la tolérance et de la fraternité.

Cette tendance à remettre en cause la réelle signification des valeurs universalistes issues de l’Histoire française va se prolonger avec l’émergence du mouvement « beur », au début des années 80. Celui-ci sera fait de nombreuses associations aspirant à représenter la diversité de la jeunesse française, et en particulier les enfants d’immigrés. Cette tendance à la reconnaissance de la diversité des acteurs impliqués par les problèmes de racisme va poser de nombreuses questions quant à la représentation et au rôle des victimes de racisme dans l’action protestataire. Ce déplacement vers des problématiques plus particularistes se refléta dans le lancement par le MRAP d’un nouveau magazine, titré Différences, au début des années 80. A travers ce magazine va

se modifier la représentation des victimes, devenant davantage portée à en faire des acteurs forts et déterminés. Cette nouvelle perspective se vit aussi dans le choix des personnages historiques de référence. Délaissant la figure de l’abbé Grégoire, symbole de la majorité française catholique défendant des valeurs antiracistes, plusieurs articles furent consacrés à Toussaint Louverture, homme politique et général héros des révolutions d’esclaves qui forcèrent les révolutionnaires français à accorder l’émancipation à Haïti. Si le fait de mettre en valeur la lutte antiraciste du côté des victimes colonisées est quelque peu nouveau, il va persister une ambivalence. En effet, les articles juxtaposèrent la révolte haïtienne et la Révolution française, en les liant dans une construction d’ordre mythique. Cette symbolisation des esclaves épousant la cause républicaine participa d’un mythe de l’universalité des aspirations du peuple français, et d’une communauté nationale ne connaissant pas de limites physiques, biologiques, religieuses ou culturelles.

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à défendre l’universalité des droits issus de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et de la construction de la république. C’est donc le principe d’une égalité dans la différence que vont défendre les antiracistes. Mais d’un point de vue philosophique, il demeure difficile de concilier ces deux principes, dans la mesure où l’égalité implique une échelle de valeurs communes. Pierre–André Taguieff, philosophe impliqué dans le mouvement antiraciste, va, à la fin des années 80, adresser un certain nombres de critiques aux grandes organisations antiracistes. Il va même définir l’antiracisme de ces associations comme un « double du racisme », exerçant avec lui une « rivalité mimétique ». Il fonde cette critique en montrant qu’il existe une contradiction difficile à surmonter entre égalité et différence, dont peuvent tirer profit les argumentaires racistes. Taguieff explique ainsi que la « nouvelle droite », à partir des années 70, a repris à son compte l’argument antiraciste du « droit à la différence », l’a racisé, en opérant un glissement d’une version idéologique du racisme à dominante inégalitariste et biologique vers une seconde à tonalité surtout différentialiste et culturelle. Il a décrit cette reformulation des thèses racistes de l’extrême droite comme s’exprimant à deux niveaux dans l’espace idéologique français. D’abord dans le champ métapolitique, par l’intermédiaire du GRECE (Groupement de recherches et d’études sur la civilisation européenne) et du Club de l’Horloge, puis sur le plan politique, depuis 1983, à travers l’idéologie identitariste du Front national, qui n’est pas seulement la réactivation d’un racisme colonial et paternaliste, mais implique aussi l’intégration du thème du « droit à l’identité des peuples » dans un discours populiste. Cette rétorsion du « droit à la différence » par l’extrême droite, consistant à raciser ce thème, serait dû au fait que racisme et antiracisme partagent des origines communes dans deux anthropologies : l’ « individuo-universalime » et le « traditio-communautarisme ». La première, faisant prévaloir l’unicité sur la différence, s’exprimerait à la fois dans un antiracisme universaliste de teneur assimilationniste, et dans un racisme symétrique de nature hétérophobe. La deuxième, illustrant la thématique du relativisme culturel, s’exprimerait tant dans un antiracisme différentialiste que dans un racisme hétérophile.

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racisme à son profit (en utilisant par exemple la dénonciation du racisme anti-blancs), l’idéologie raciste dans la société française conserve la même substance dans l’absolutisation qu’elle fait des héritages spécifiques et des hérédités différentielles. S’il existe une hétérogénéité argumentative dans l’antiracisme, entre l’impératif de métissage et celui de différence, c’est que toute la difficulté de l’antiracisme et de lier une approche universaliste et une approche particulariste de la diversité humaine.

Dans cette partie, nous avons dressé une brève description des grandes évolutions de l’antiracisme dans la société française au vingtième siècle. En traitant de la « refondation » de l’antiracisme après la Seconde guerre mondiale, en particulier à travers le MRAP, nous avons montré comment la mobilisation de l’Histoire, et notamment de celle des Lumières, a permis de développer un consensus, une hégémonie antiraciste. Cependant, l’échec de la « dénazification », le développement du racisme contre les travailleurs immigrés pendant la guerre d’Algérie, puis la montée de l’extrême droite à partir de la fin des années 70, décevront peu à peu les espoirs placés dans une société sans racisme. Le mythe d’une « vraie France » antiraciste a ainsi été démenti par l’enracinement du Front national dans les couches populaires. Des critiques comme celle de Taguieff ont accusé l’antiracisme français de ne pas s’être adapté aux reformulations du racisme, et d’être resté figé sur des modèles anciens.

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l’histoire de la Seconde guerre mondiale et des guerres de décolonisation, avec la socialisation des militants que nous avons interviewés. Nous verrons ensuite comment le MRAP a été un acteur déterminant dans la progression des lois antiracistes, et l’importance du droit dans son activité. Enfin, nous aborderons la notion d’éducation populaire telle qu’elle est développée par le MRAP.

III – L’antiracisme politique : un ensemble de

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1 – Les traditions de solidarité : l’entraide antiraciste.

Au commencement de notre recherche, nous avons défini la notion de mouvement social comme une action concertée ayant une dimension politique. Afin de donner un sens précis à la notion de politique, Erik Neveu [2002] préconise de considérer qu’un mouvement prend une charge politique lorsqu’il « fait appel aux autorités politiques (gouvernement, collectivités locales, administrations…) pour apporter, par une intervention publique, la réponse à une revendication », et donc qu’il « impute aux autorités politiques la responsabilité des problèmes qui sont à l’origine de la mobilisation ». Si l’on s’en tient à cette définition, elle permet de caractériser l’action du MRAP, qui agit effectivement en ces termes, particulièrement du point de vue de son travail juridique, que nous aborderons un peu plus loin, en traitant des processus d’institutionnalisation du mouvement antiraciste. Mais à l’origine, issus d’un contexte de création clandestine pendant l’occupation allemande, les groupes militants qui ont constitué le MRAP se sont d’abord forgés dans des actions particulières de soutien concret aux victimes de l’idéologie et des pratiques racistes, en la personne des juifs victimes de la déportation vers les camps d’extermination nazis. C’est donc d’abord sur le registre de l’action directe de solidarité, peu formalisée et faisant appel à des valeurs défensives de la vie humaine, plus qu’à des revendications formalisées dans un cadre démocratique, que la socialisation de nombreux militants du MRAP s’est effectuée. C’est ainsi sur la base d’une expérience personnelle parfois très précoce que se sont construites leurs dispositions aux militantisme antiraciste.

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idéal-type du « militant moral » s’apparente à la figure de l’ « entrepreneur de protestation » ou du « militant révolutionnaire » qui, dans le modèle léniniste, apporte de l’extérieur la conscience critique à la classe ouvrière.

Concernant l’antiracisme, une telle typologie a par exemple été appliquée par Michel Wieviorka [1993], qui a distingué deux types de mouvements antiracistes. Un premier type concernerait les mobilisations d’auto-défense de groupes racialisés, et un deuxième serait constitué par les mouvements basés sur des groupes agissant dans une perspective plus large des valeurs démocratiques. Mais si ces constructions sont avant tout des idéaux-types qui ne peuvent refléter fidèlement la complexité de la réalité, nous pouvons tout de même penser que l’antinomie militant bénéficiaire/militant par conscience est difficilement applicable aux militants du MRAP que nous avons interviewés. Loin d’illustrer cette dichotomie qui oppose excessivement antiracisme universaliste et antiracisme différentialiste, plusieurs des militants interviewés font, dans leur parcours, le lien entre différentes luttes. Plusieurs militants que nous avons rencontrés nous ont fait part, dans le récit du parcours les ayant mené au MRAP, d’une expérience forte du racisme, interprétée comme le point de départ d’une prise de conscience sur ce problème. En nous appuyant sur des extraits de différentes interviews, nous allons montré dans les prochaines pages comment les trajectoires sociales des militants articulent une expérience précise du racisme, en différentes positions à l’intérieur d’un rapport social de confrontation au racisme, avec la mise en avant de valeurs dépassant la particularité de ce vécu.

Pour montrer comment la socialisation à la solidarité antiraciste a orienté certaines trajectoires militantes, il est intéressant d’exposer ici quelques extraits des propos recueillis auprès de Bernadette, une militante du MRAP qui a lié différentes luttes dans son parcours. Son discours reflète ici une socialisation précoce à l’action collective de solidarité pendant la Seconde guerre mondiale, par le biais de l’aide qu’elle reçut de la part de réseaux résistants mobilisés pour sauver des familles juives de la déportation. :

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contre l’étouffement des autres parce qu’ils sont juifs, parce qu’ils sont noirs, parce qu’ils sont… ça a vraiment été très important. » (Entretien n° 5)

A travers le récit qu’elle fait de « ses premiers pas militants », on peut voir la mise en avant de valeurs de solidarité, interprétées comme véhiculées par des milieux de gauche issus de milieux populaires et enseignants proches du Parti communiste :

« Vous savez, j’ai été militante, ma première manifestation, c’était sous l’occupation allemande, j’avais quatorze ans. C’était le 14 juillet 43, à Grenoble. Puis après on a dû quitter Grenoble précipitamment, tous, toute la famille. Et je pensais qu’il fallait s’opposer à… enfin bon, y avait un mélange et un brassage énorme de gens. Des lycéens, des étudiants, et puis des gens du peuple, comme on dit. Et ça m’a marquée beaucoup. Et après j’ai toujours été orientée vers ça. Et puis les gens qui nous accueillaient, comme je vous l’ai dit, euh… Y avait des gens qui avaient fondé les auberges de jeunesse, en 1936, y avait des instituteurs qui étaient… des enseignants, qui étaient très très ouverts à gauche, et qui nous accueillaient comme si… enfin, comme tous les autres, justement. On était en sécurité, avec eux, c’était assez extraordinaire. Ça a été une leçon formidable. Sans ces gens-là, on aurait peut-être été dénoncés ou… On a une cousine qu’a été dénoncée, qu’a été immédiatement arrêtée, et déportée, comme juive. Mais là y a jamais eu l’ombre d’un… Mon frère est rentré aux FTP, les Francs-tireurs et partisans, il a contribué, mon frère aîné, à mon éducation politique donc euh… Si vous voulez, on s’est orienté vraiment… on était tous les trois, on est trois, au PC, après la guerre. » (Entretien n°5)

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« Donc, à ce moment là j’étais pas du tout au MRAP encore. Par contre, j’avais été active pendant la guerre d’Indochine, où nous étions un petit groupe, donc, de communistes universitaires, à nous occuper d’un certain nombre de Vietnamiens en France, qui étaient militants contre la guerre d’Indochine, qui avaient été souvent poursuivis. Donc on avait fait des systèmes de protection. Et puis la guerre d’Algérie, alors là ça a été euh, l’occasion, si j’ose dire, d’être encore plus actifs dans la bataille anti-colonialiste et antiraciste. Notamment, moi j’ai fait partie d’un réseau de soutien, au FLN, parce que bon le PC était un petit mou là-dessus, enfin, avait peur de l’illégalité »

« Y a toujours eu des dispositions d’accueil, même avant d’être au MRAP. Quand y a eu les réfugiés chiliens, communistes chiliens, on leur prêtait notre chambre. Y a toujours eu, malheureusement, des bonnes causes. Y a toujours eu des petits comités ad hoc, qui se sont formés pour telle ou telle cause, ou des relations, on se téléphone : « tu as une chambre libre, provisoirement, pour héberger une famille, et cetera. Ça s’est toujours fait, ça. » (Entretien n°5)

Il est significatif de noter que sa participation à des réseaux d’action directe de solidarité s’est effectuée avant qu’elle adhère au MRAP, et en marge de son parti d’appartenance, le Parti communiste. Cette indépendance à l’égard des institutions militantes peut être analysée comme liée à des dispositions politiques acquises dans le contexte de la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale, cadre clandestin portant nécessairement l’action politique à être peu formalisée. Lorsque Bernadette parle de « comités ad hoc », créés pour diverses causes, elle met en avant une thématique qui traverse l’ensemble des mouvements sociaux, celle de groupes peu formalisés, qui se créent pour régler un problème précis, circonscrit dans un espace-temps concret.

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immigrés, communistes et appartenant au milieu ouvrier. Elle évoqua notamment le militantisme syndical de ses parents, perçu comme un moyen d’intégration sociale et de défense pour des individus subissant une domination sociale très fortes, mettant en jeu jusqu’à leur vie biologique, leurs droits à l’existence :

« Bon, mes parents étaient Hongrois de... Ils étaient apatrides, et ils étaient partis de là-bas parce que persécutés, parce que Juifs, parce que syndiqués, parce que communistes. Ils se sont connus en France. (Silence) Ils se sont

mariés. A l’époque ils ne parlaient pas français ou très mal, ils ont toujours mal parlé du reste. Et y avait ce qu’on appelle, dans les syndicats, les groupes de langue. On les regroupait par langue pour leur apprendre, non seulement à parler français, mais pour se défendre ensemble. » (Entretien n°1)

Un autre militant interviewé, Claude, rendit compte d’un autre type de socialisation familiale au militantisme de solidarité avec les victimes du racisme et pour les droits de l’Homme. Mais dans son cas, sa position fut différente, puisqu’il ne fit pas partie des victimes du racisme, mais connut dans sa famille un entourage participant à cette solidarité, au nom de principes universels, acquis au contact de parents enseignants appartenant à la gauche. Il me fit aussi part de la participation de son grand-père à la fondation de la Ligue des droits de l’Homme, qui l’orienta dans une connaissance précoce du mouvement antiraciste :

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Le thème de la solidarité imprègne donc fortement le discours de ces militants. En faisant un retour sur leur passé, ils perçoivent la solidarité qu’ils ont connue comme une éthique au principe de leur action militante. Cela leur permet de concevoir leur pratique comme basée sur des liens entre les causes particulières et des principes universels. Ainsi, dans l’extrait suivant, Josiane s’auto-définit à la manière d’un maillon dans une chaîne de solidarité, ce qui la mène à décrire son engagement comme une évidence dans sa trajectoire :

« Et que cette personne à qui on a rendu service, dans sa vie future, elle pourra le rendre. Si vous voulez, moi, si j’avais pas été sauvée par toute une chaîne euh, de gens, qui m’ont sauvée pendant la guerre parce que j’avais pas le droit de vivre, et cetera. Ils m’ont rendu service. Et maintenant ce que j’ai reçu j’essaye de le transmettre à d’autres. »

« Et euh, mes parents étaient militants eux-mêmes au... ils m’ont toujours appris à être solidaire. En fait c’était le mot, presque le mot clé, à la maison. Solidarité, ça a commencé en 1936, quand les copains hongrois venaient en Espagne, pour aller dans les Brigades internationales, créchaient chez nous. Donc j’ai été plongée dedans... » (Entretien n°1)

Cette mise en avant de la solidarité peut aussi être perçue dans une valorisation que fait Bernadette de l’ouverture sociale qu’elle trouve au MRAP, ce qu’elle relie à une éthique de gauche, qui implique la solidarité entre des gens de toutes classes sociales, ce qu’elle met en opposition avec la fermeture de son milieu professionnel de professeur d’université :

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avec des gens qui vont faire leur marché, qui sont pas tous des universitaires, des riches, et cetera, quoi. » (Entretien n°5)

Le thème de la solidarité, dans le mouvement antiraciste et parmi les militants du MRAP, a pu consolider la cohésion interne des groupes militants. A partir de l’expérience de la lutte pour la survie pendant la Seconde guerre mondiale, directement vécue par certains militants, il a permis de canaliser les tensions entre universalisme et particularisme, existantes dans le mouvement antiraciste depuis l’affaire Dreyfus. La perpétuation de ces traditions de solidarité continue encore aujourd’hui à fournir une référence importante pour les militants. D’une part, elle affirme une responsabilité collective par rapport aux groupes persécutés, et d’autre part, on peut penser que dans son implication active des victimes – en particulier les juifs et les immigrés – elle améliore l’efficacité de l’action antiraciste.

Le MRAP a aussi contribué à consolider les assises de l’antiracisme en l’engageant dans un processus d’institutionnalisation. Ce travail visant à renforcer les moyens de l’antiracisme en l’intégrant aux institutions politiques étatiques et même supra-étatiques, s’est réalisé sur deux terrains privilégiés. D’abord, sur celui de la législation, et ensuite, dans le domaine de l’éducation. Prolongeant l’activité du discours, ces domaines ont fait l’objet d’un travail aux perspectives de long terme. Comme nous allons le voir dans la partie suivante, le mouvement antiraciste français ne peut être décrit comme une simple force d’opposition qui serait essentiellement spontanée et réactive. En effet, avec le MRAP comme un de ses principaux protagonistes, il va peu à peu construire un « agenda » de la lutte antiraciste, autour de campagnes pour une loi et une éducation antiracistes.

2 – Un travail d’institutionnalisation de l’antiracisme au niveau national et international.

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Lumières, afin de réaffirmer un consensus antiraciste le plus large possible. Les années 60 et 70 virent les préoccupations quant à la vie interne de l’organisation et à sa stabilité devenir plus importantes. Le MRAP entra dans une période que l’on peut qualifier de rationalisation, au sens wéberien du terme. Ainsi, dans la recherche de solutions plus stables et institutionnalisées aux problèmes affrontés, le travail juridique et l’éducation antiraciste vont devenir peu à peu les activités phares de l’association. Nous allons d’abord voir comment la législation contre les discriminations raciales est devenue l’un des principaux enjeux de revendication du mouvement, à partir de la fin des années 50.

2-1 – Une lutte de longue haleine pour une législation antiraciste.

Le problème de la législation antiraciste est un combat primordial pour les organisations antiracistes. Le racisme est en en effet un phénomène complexe qui s’exerce à de multiples niveaux. On nomme souvent « racisme institutionnel » l’ensemble des lois dénoncées comme racistes. Il faut cependant différencier les lois qui traitent des droits selon le critère national/étranger, telles que celles réservant de nombreux postes de la fonction publique aux Français, de celles qui sont racistes, en tant qu’elles impliquent un critère de « race », comme le furent les lois promulguées par l’Etat français de Vichy. Les premières ne font pas nécessairement l’objet d’un consensus, car elles impliquent plus la conception de la nation, du droit d’asile, et donc du droit des étrangers. Ainsi, toutes les associations antiracistes n’ont pas la même position du point de vue des conditions de régularisation des « sans-papiers ». Leur lutte commune vise à inscrire dans la législation les meilleurs moyens possibles de lutter contre les discriminations racistes, qui consistent à traiter défavorablement des personnes en raison de leur « race » ou origine ethnique, réelle ou supposée. Le caractère raciste d’une discrimination est parfois difficile à prouver, notamment dans le cas de la recherche d’emploi, ce qui rend nécessaire de travailler sur la manière de fournir les preuves.

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parlement. Son initiative visait à légitimer la résistance à l’antisémitisme, mais tendait aussi à développer un concept plus large d’antiracisme, lié à la justice sociale. Créée en réaction à la montée de l’antisémitisme, la LICA s’ouvra alors vers un discours plus universaliste et internationaliste, notamment en protestant contre l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini, en 1935. Cette campagne déboucha sur l’obtention d’une loi contre le racisme très limitée, le décret Marchandeau, en avril 1939. Il faut dire qu’elle fut adoptée dans des circonstances peu propices, dans les derniers mois de paix, alors que de nombreuses lois étaient adoptées pour restreindre le droit des étrangers, par exemple leur droit d’association. Le décret Marchandeau modifia la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans le but de préserver l’unité nationale menacée par la crise internationale. Il introduisit des sanctions pour la « discrimination à l’encontre de groupes de personnes appartenant par leur origine à une race ou une religion spécifique, quand celle-ci vise à encourager la haine entre citoyens ou résidents » [Droit et Liberté

n°177, décembre 1958]. Ce décret fut abrogé par le régime de Vichy puis rétabli par De Gaulle à la Libération. Jusqu’en 1974, le décret Marchandeau resta la seule loi spécifiquement antiraciste, bien que la Constitution de 1946 établit que « chaque être humain, sans distinction de race, de religion ou de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Ce décret était difficile à utiliser, car trop focalisé sur la diffamation. Il avait en effet été conçu pour protéger l’unité nationale plutôt que les individus victimes de préjudices racistes.

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l’inadéquation de la loi fut par exemple une campagne dénonçant le refus de vente infligé à des Noirs dans certains cafés parisiens.

Un aspect important dans la législation antiraciste est sa dimension internationale, en particulier à travers le cadre de l’Organisation des Nations Unies. Ainsi, l’adoption de la « Convention internationale des Nations Unies contre le racisme », en décembre 1965, apporta une nouvelle pression de poids pour modifier la législation française. Les articles 2 et 4 de cette convention obligèrent les signataires à avoir une législation contre le racisme, et le MRAP appela le gouvernement français à ratifier et satisfaire ces exigences. A ses journées nationales de 1966, le MRAP lança une pétition demandant la ratification de la convention de l’ONU, l’adoption d’une loi sur la base des propositions existantes, la poursuite des personnes faisant l’apologie des crimes racistes, ainsi que celle des publications, films et disques propageant le racisme. Elle fut envoyée à tous les futurs candidats parlementaires des élections de 66, et, entre mars et juin 67, recueillit 25 000 signatures. En 1966, l’ONU poursuivit ses initiatives antiracistes, en proclamant le 21 mars « journée internationale contre le racisme », choisissant cette date en souvenir du massacre de Sharpeville, perpétré en Afrique du Sud en 1960. Ainsi, comme l’illustre l’extrait suivant d’un entretien que nous avons réalisé avec un juriste travaillant à la permanence juridique du MRAP, le poids des institutions politiques internationales, qu’il s’agisse de l’Organisation des Nations Unies ou de l’Union Européenne, est souvent déterminant dans l’aboutissement de nouvelles lois ou institutions nationales dédiées à la lutte contre le racisme :

« Mais il faut savoir aussi, parce que c’est important, ça, le moteur de la lutte contre la discrimination, c’est pas le gouvernement français, c’est l’Europe. C’est l’Europe qui oblige la France à créer un organisme indépendant comme la HALDE (la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances, instituée par le parlement

français en décembre 2004). Parce que la France avait un délai de trois ans

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l’aménagement de la preuve, en fait, c’est pas les députés français, c’est l’Europe. » (Entretien n°8)

Dans un contexte où les évènements de mai 1968 jouèrent aussi un rôle, il se dessina une évolution vers une ouverture de discussions avec le gouvernement, et c’est ainsi qu’en janvier 1971, une délégation du MRAP fut reçue par le premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Enfin, le 1er juillet 1972, une loi contre le racisme fut adoptée, à l’unanimité des parlementaires.

Cette loi incorpora les dispositions du décret Marchandeau sur l’incitation à la haine raciale, et les étendit aux insultes raciales. Elle interdit les discriminations sur une base religieuse ou raciale, notamment dans l’emploi, le logement et les services. Elle donna le pouvoir au gouvernement de dissoudre les associations promouvant la haine raciale, tandis que les associations antiracistes obtinrent le droit de se porter partie civile en faveur des victimes de discriminations racistes, c’est-à-dire de mener des actions légales en leur nom. La loi fut intégrée au code pénal, son infraction pouvant impliquer des peines de prison. Pour la première fois, le racisme devint donc un délit.

Les dispositions intégrées dans cette loi ont été, au fil des années, complétées par d’autres lois, visant d’autres types de discriminations, telles que celles de nature sexiste ou liées au handicap. Concernant le racisme proprement dit, une autre loi importante fut celle du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot, qui instaura le délit de contestation de crimes contre l’humanité. Enfin, une nouvelle loi sur les discriminations racistes, le 6 novembre 2001, renforça l’arsenal législatif contre celles se produisant dans le cadre de l’entreprise. Ainsi, elle a modifié la responsabilité de la charge de la preuve, en obligeant désormais les employeurs à apporter la preuve que leur pratique n’a pas été discriminatoire, lorsqu’ils font l’objet d’une plainte fournissant des indices qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination.

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l’Histoire. Le fait que la loi soit soutenue à l’unanimité, essentiellement par la gauche, mais aussi par le gouvernement de droite, démontra la capacité des organisations antiracistes à construire un consensus autour de leurs objectifs.

Basés principalement sur des principes universalistes, les débats reconnurent aussi les problèmes particuliers de la société française, en abordant les discriminations subies par les nord-Africains, surtout depuis la guerre d’Algérie. Néanmoins, la manière d’aborder ce problème put aussi être ambiguë, puisque cela permit à certains de décrire le racisme comme un produit étranger importé des colonies, qui « imprègne la décolonisation après avoir hanté la colonisation » (René Chazelle, Journal Officiel,

Débats du 7 juin 1972). De plus, les débats ne firent aucune mention du contrôle de l’immigration, alors que dans la même période étaient adoptées les circulaires Fontanet - Marcellin, qui allaient renforcer le contrôle du séjour lié à l’emploi. Ainsi, si l’aspect hégémonique des valeurs antiracistes permit de faciliter un consensus vis-à-vis de la loi, on peut aussi penser qu’elle a obscurci la spécificité de l’antiracisme, en accréditant l’idée d’une France naturellement antiraciste.

En effet, il faut différencier ici deux composantes du discours antiraciste. La première concerne le phénomène raciste au sens strict du terme, en tant que toute discrimination ou stigmatisation qui s’exerce envers une personne pour son appartenance, réelle ou supposée, à toute religion, ethnie ou nationalité. Une deuxième composante concerne la conception des principes antiraciste et donc de l’égalité sociale, selon que l’on limite celle-ci aux nationaux ou que l’on revendique son extension aux immigrés de nationalité étrangère. En effet, la communauté politique dans laquelle nous vivons fait des citoyens français les seuls véritables détenteurs de droits politiques tels que le vote ou l’éligibilité.

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LICRA et SOS-Racisme, qui prônent un discours plus moral que politique, ne défendent pas la même position, et se limitent davantage à revendiquer une intégration nationale antiraciste. Cette distinction a par exemple amené le MRAP a créé une permanence juridique spécifiquement destinée l’aide des « sans-papiers » et des demandeurs d’asile. L’engagement du MRAP sur ce thème tend à accroître sa dimension politique, puisqu’il n’est pas en accord avec l’hégémonie antiraciste. Il s’agit donc de deux thèmes différenciés, celui du soutien aux « sans-papiers » et aux demandeurs d’asile étant davantage présenté en termes de défense des droits de l’Homme et de l’ « amitié entre les peuples ». Cette dissociation serait propre à la France, d’après le juriste que nous avons interviewé :

« Dans les pays, par exemple, anglo-saxons, le droit des étrangers et la lutte contre la discrimination, c’est une seule matière, donc, constituent une seule discipline. En France, on a dissocié. » (Entretien n°8)

En faisant le lien avec cette dissociation entre droit des étrangers et celui des discriminations racistes, nous pouvons penser que la dimension hégémonique de l’antiracisme français, telle qu’elle a pu s’exprimer dans l’adoption de la loi de 1972, peut avoir comme effet pervers d’obscurcir le débat à l’égard des politiques régissant les droits des immigrés de nationalité étrangère. La séparation des deux domaines a amené le MRAP à faire le projet d’une permanence juridique spécialement conçue pour lutter contre les discriminations :

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