Déterminants des IDE
Malgré l’importance croissante prise par les investissements internationaux dans les économies, et malgré (ou à cause de) l'impressionnante littérature consacrée à ce sujet, il n’existe aucun cadre théorique unifié permettant de comprendre les déterminants des IDE. Les analyses théoriques sur la multinationalisation des firmes sont récentes, leur apparition datant de la fin des années 1950. C'est d'ailleurs surtout depuis le tournant des années 2000 que la littérature sur les IDE a connu une très forte accélération, en lien avec le développement du phénomène.
En outre, l’analyse des déterminants de l’IDE se situe à l’intersection de l’économie internationale et de l'économie industrielle. La première permet d’appréhender ces comportements dans leur
dimension d’arbitrage géographique et dans la perspective d’une articulation entre commerce de produits et mouvements des capitaux. La seconde met plus l’accent sur les stratégies de
développement des firmes et l’arbitrage entre divers modes d’organisation de leurs activités.
L’approche éclectique et le paradigme OLI
Une première tentative a été effectuée par Dunning8,9 qui propose une approche globale des facteurs
explicatifs de l’investissement direct (paradigme OLI) dans laquelle apparaissent des éléments comme la concurrence imparfaite, les avantages comparatifs ou l’internalisation des coûts de transaction. Cette approche, dite « éclectique », se réfère au paradigme OLI (pour Ownership, Localisation, Internalisation). Celui-ci fait de la multinationalisation le résultat d'une combinaison de trois éléments interdépendants:
Le premier (avantage spécifique ou ownership advantage en anglais) est la possession par l'entreprise d'actifs susceptibles d'être exploités de manière rentable à une échelle relativement large. Parmi les actifs dont la détention joue un rôle moteur dans l'internationalisation des opérations de sociétés multinationales, la technologie ou plus encore, la capacité d'innover régulièrement du point de vue technologique, est reconnue comme un élément de première importance. Plus généralement, on souligne souvent le fait que les sociétés multinationales possèdent de nombreux actifs incorporels qu'elles peuvent exploiter à l'échelle mondiale (brevets, droits d'auteur, compétences, noms de marque, réseaux de commercialisation...).
Le deuxième (avantage à la localisation) est l'existence d'un avantage à utiliser ces actifs pour produire dans plusieurs pays plutôt que d'exporter à partir d'une production dans le seul pays d'origine. De multiples facteurs peuvent être associés à cet élément : une présence physique sur les marchés étrangers est parfois nécessaire pour y être compétitif. C'est souvent le cas dans les activités de services. L'implantation à l'étranger peut aussi s'inscrire dans le cadre d'une division internationale du processus productif dans laquelle les différences des prix et des salaires jouent un rôle important. La délocalisation peut également répondre à une volonté de s'affranchir d'entraves au commerce (frais de transport des produits, protectionnisme commercial du pays d'accueil) ou permettre une meilleure adaptation au marché (proximité des consommateurs, ajustement aux normes locales, meilleure connaissance des concurrents locaux).
de la qualité. Elle assure un meilleur contrôle sur l'utilisation des technologies, notamment si l'environnement juridique dans le pays d'accueil n'offre pas des garanties jugées suffisantes en matière de protection de la propriété intellectuelle en cas d'octroi de licences pour l'exploitation d'une technologie mise au point par l'entreprise. Par ailleurs, il peut y avoir une sous-évaluation par le marché d'une telle technologie si, pour l'exploiter pleinement, on doit faire appel à des technologies complémentaires, à des connaissances et compétences qu'il n'est pas facile de trouver en dehors de l'entreprise.
L’IDE, comme mode de pénétration du marché étranger, est choisi lorsque la firme réunit
simultanément les trois types d’avantages (spécifique, à la localisation et à l’internalisation). S’il n’y a pas d’avantage à la localisation mais un avantage spécifique et un avantage à l’internalisation, la firme garde la maîtrise de la pénétration du marché étranger en y exportant et en établissant son propre réseau de vente. Pour Dunning enfin, si la firme ne possède qu’un avantage spécifique, elle effectue alors une vente de licence auprès d’une entreprise locale et lui laisse le soin d’exploiter le marché de son pays.
Les apports de la Nouvelle Théorie du Commerce International (NTCI)
Le cadre défini par Dunning constitue le point de départ des nouveaux éléments théoriques apportés par les modèles d’investissement stratégique et la Nouvelle Théorie duCommerce International (NTCI) qui mettent en avant un arbitrage des firmes multinationales entre proximité et concentration : Selon Brainard10 (1993), des firmes multinationales de type horizontal apparaissent lorsque les
avantages à s’implanter à proximité des consommateurs sont élevés relativement aux avantages liés à la concentration des activités. La firme préfère donc implanter plusieurs sites de production pour servir les marchés locaux si elle peut réaliser des économies d’échelle entre ces différents sites du fait de la présence d’actifs intangibles, si les coûts d’implantation sont relativement faibles, si les coûts de transport sont plutôt élevés et si la demande sur le marché d’accueil est forte. Ces premiers modèles mettent l’accent sur les IDE de type horizontaux qui correspondent à des stratégies de conquête de marchés locaux principalement dans les pays développés.
Markusen et al.11 (1996) complètent les résultats du modèle de Brainard sur l’arbitrage
proximité-concentration en mettant en évidence les IDE verticaux lorsque les firmes s'intègrent dans une perspective traditionnelle de division internationale des processus de production. Les firmes multinationales répartissent leurs activités entre les pays en fonction des différents avantages comparatifs. Les firmes multinationales de type vertical apparaissent entre pays différents en taille et en dotations factorielles et établissent les étapes de la production les plus intensives en travail dans les pays où les coûts de la main d'œuvre sont peu élevés.
Le modèle avec entreprises hétérogènes de Helpman, Melitz et Yeaple12 (2004) met en évidence que
seules les entreprises les plus efficaces dans leur branche d’activité peuvent s’implanter à l’étranger. En effet, toutes les entreprises ne sont pas d’un même niveau d’efficacité dans une branche d’activité donnée : seules les plus efficaces exportent, et parmi celles-ci, seule une fraction d’entre elles, capable de supporter les coûts d’entrée, pourra s’implanter à l’étranger. M. Mrazova et J.P. Neary (2010)13 complètent ce modèle en mettant en évidence le rôle des plates-formes à l’exportation : en
effet, parmi les entreprises à même de se développer à l’international, seules les entreprises les plus performantes seront à même de créer des filiales dans tous les pays, tandis que celles qui le sont moins se limiteront aux exportations pour pénétrer les marchés étrangers. Les entreprises
D’autres analyses s’attachent à introduire les concepts d’incertitude et d’acquisition de connaissance sur les marchés étrangers afin d’analyser dans quelle mesure une entreprise peut évoluer d’un mode de pénétration des marchés étrangers vers un autre. Ainsi, F. Albornoz et al.14 développent un modèle
basé sur l’apprentissage et l’expérimentation dans lequel les entreprises ne découvrent leur profitabilité sur les marchés étrangers qu’après avoir commencé à exporter. Plus précisément, une entreprise commencerait à exporter un produit vers un seul pays avant de s’orienter vers d’autres pays si les exportations vers le pays initial s’avèrent profitables. Dans le même ordre d’idée, P. Conconi, A. Sapir et M. Zanardi15 étudient comment une entreprise qui a commencé à exporter vers un
pays peut décider de maintenir sa présence dans ce pays en y effectuant des IDE. Ils montrent en particulier que la probabilité de créer des filiales à l’étranger est d’autant plus forte que l’entreprise a acquis, via l’exportation, des connaissances sur les structures et le marché du pays d’accueil.
L’opinion des chefs d’entreprise français de l’industrie
L’INSEE, en collaboration avec le Comité National des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CNCCEF), a publié en 2008 les résultats d’une enquête réalisée auprès de 4000 entreprises industrielles de plus de vingt salariés16.
Les industriels sont un tiers à estimer que le développement des implantations à l’étranger est très important pour l’économie française dans son ensemble, mais ils sont moins nombreux (un peu plus d’un industriel sur dix) à exprimer ce jugement s’agissant de leur propre entreprise. Le développement de leurs implantations à l’étranger est en particulier considéré comme très important par les
entreprises de l’industrie automobile, les entreprises de plus de 250 salariés, et les entreprises fortement exportatrices.
Entre 2002 et 2007, 12 % des entreprises industrielles déclarent avoir développé de nouvelles activités de production à l’étranger, et autant d’entreprises disent avoir déplacé à l’étranger des activités de production auparavant réalisées en France. Les entreprises de plus de 250 salariés ou fortement exportatrices sont plus particulièrement concernées.
Selon les chefs d’entreprise, le développement à l’étranger devrait se poursuivre au cours des
prochaines années, via notamment l’installation de nouvelles capacités de production. Un peu plus de 20 % des entreprises industrielles prévoient de créer de nouvelles activités à l’étranger. Le transfert à l’étranger d’activités de production existantes se poursuivrait également au cours des prochaines années. Il concernerait près de 16 % des entreprises industrielles contre 12 % sur la période 2002-2007. Dans les deux cas, le phénomène d’externalisation demeure toujours plus marqué pour les entreprises de plus de 250 salariés ou fortement exportatrices. Les secteurs des biens d’équipement et de l’automobile sont également davantage concernés.
Parmi les entreprises industrielles qui ont développé des activités de production à l'étranger ou qui envisagent de le faire dans les prochaines années, deux tiers d’entre elles jugent très importante la possibilité de réduire les coûts salariaux. Près de la moitié évoque le fait de se rapprocher des clients. Suit, pour un peu plus de deux entreprises industrielles sur cinq, l’accès à une réglementation plus souple et à une imposition plus avantageuse. Pour les entreprises de plus de 250 salariés, la proximité des clients devient le critère principal, avant même la possibilité de réduire les coûts salariaux.