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38. - ETHYL-PLANT'

Avant de quitter la cabine de repos, Sudji relut encore une fois les instructions: « 40 drums yellow TEL 2, 23 kilos orange-dye, 12 kilos red-dye », « Quarante ... », répéta-t-il en lui-même, et déjà, il entrevoyait les gros bidons métalliques, pleins de ce liquide parfumé, qui corrode sur-le-champ tout ce qui vient à son contact, hommes comme choses.

Il sortit d'un pas léger, longea le dépôt où les bidons se trouvaient emmagasinés derrière un solide grillage, et parvint devant le labora- toire, où l'on procédait au mélange du TEL, des colorants et de l'essence.

Là, son regard tomba sur un large écriteau avec, en dessous d'une tête de mort et de deux tibias en sautoir, cet avertissement écrit en grandes lettres rouges : « ATTENTION! DANGER DE MORT!

DEFENSE DE pENETRER SANS AUTORISATION! » II pénétra, sans y prêter plus attention. Alentour, la nuit était tranquille. Les bidons pleins, destinés au transvasement étaient rangés en ligne devant la porte de la salle des dosages, tandis que les bidons vides gisaient çà et là sur le sol. Au grillage qui entourait tout le laboratoire, étaient accrochés de loin en loin d'autres écriteaux, avec la même tête de mort, mais de format plus réduit.

En donnant au passage quelques coups de pied dans les bidons vides, Sudji se dirigea vers le vestiaire, qui se trouvait au fond. Il y trouva Katjung, son nouveau collègue, qui avait déjà enfilé sa combi·

naison de travail, toute blanche, et était en train d'examiner son masque.

« Bonsoir 1 dit Sudji, le premier.

- Bonsoir, répondit Katjung, en le voyant entrer. Combien y en a·t-il, cette nuit?

- Quarante bidons de corrosif jaune, vingt-trois kilos ...

- Quarante bidons? interrompit Katjung, qui ne pouvait en croire ses oreilles.

- Oui, quarante. Ça t'étonne?

- Tant que ça ? »

Katjung était encore sous le coup de la surprise. Il y avait à peine un mois qu'il travaillait ici, en remplacement d'un ouvrier dont les

(1) Cf. notice, p. 337.

(2) TBL est l'abl'tviadon de Tetra Bthyl L.ead _.

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340 DENYS LO~mARD

poumons malades avaient provoqué le renvoi, et il ne lui était encore jamais arrivé d'avoir à transvaser une quantité aussi importante.

Il Il m'est arrivé d'en faire soi"iante d'affilé, et tout seuIl iD dit Sudji pour mette fin à l'étonnement de son compagnon.

« Mais ... pourrons-nous finir cette nuit?

_ II le faudra bien 1 Les gars du contrôle viendront demain matin dès six heures, pour prendre un prélèvement. Qu'est-ce qui ne va pas avec ton masque?

_ Je ne sais pas, je crois qu'il est hors d'usage iD, dit Katjung en tournant et en retournant son masque dans tous les sens.

Il Tu n'en as pas demandé un autre?

_ Non. C'était à ceux de l'équipe de l'après-midi de le faire.

_ Ils ne le savaient peut-être pas. Tu ne leur as rien dit?

_ Ah ! ils pouvaient bien s'en rendre compte tout seuls. Comment faire, si je n'ai pas de masque?

- Oh ! on peut très bien s'en passer! dit Sudji d'un ton égal.

_ Oui, bien sûr, si on veut se suicider. Tu sais bien que, si le contre- maître l'apprend, il nous plaquera un avertissement et de toute façon ...

- Ce seront tes poumons qui prendront, acheva Sudji. Moi, ça ne me fait plus rien. Les miens sont déjà mangés. »

Katjung eut un haut-le-corps et fixa Sudji dans les yeux.

li Que veux-tu dire?

- Je pars de la caisse, et Sudji se frappa sur la poitrine du bout des doigts.

- On ne plaisante pas avec ces choses-là!

- Plaisanter? Mais pas du tout, je dis la vérité.

- Qui t'a dit ça ? le docteur?

- Le docteur ne m'a rien dit. Mais moi, je le sais. Et je vais te dire comment. Hier, ils m'ont rappelé à l'infirmerie. C'était pour me faire repasser à la radio. Ils ne m'ont rien dit, mais ils ont augmenté ma ration d'huile de foie de morue.

- Mais nous en prenons tous, de l'huile de foie de morue.

- Oui, mais dans mon cas, c'est différent. J'ai vu le regard du docteur, et ça m'a fait froid dans le dos. J'ai bien vu qu'il voulait me cacher quelque chose. Quand je tousse, j'ai mal ici. »

Ils gardèrent le silence, pendant un temps. La déclaration de Sudji consternait Katjung. Tout en tripotant son masque, il jetait de temps à autre, à la dérobée, un coup d'œil à son compagnon, qui maintenant se tenait devant l'armoire à vêtements et lui tournait le dos. Il regar- dait ce dos. Peut-être bien, après tout !...

« Alors, comme ça, il t'est souvent arrivé de faire les mélanges sans tao masque », dit-il en baissant la voix.

« Heio ? » Sudji se retourna. li Oh ! ce n'est là qu'une raison parmi d'autres. Quand on travaille ici, avec ou sans masque, on risque sa peau. Nous travaillons avec des gaz toxiques invisibles. On met un masque à côté, mais ici aussi les gaz pénètrent dans les poumons. Cela fait cinq ans que je suis dans ce laboratoire, et je peux m'estimer

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HISTOIRES COURTES D'INDONl1sm 341

heureux si mes poumons ne me lâchent que maintenant. Aucun de mes prédécesseurs n'a pu tenir aussi longtemps; au bout de deux ans ils étaient congédiés. »

Katjung essaya de réconforter son camarade

ft Mais pourquoi ne demandes-tu pas à changer de service?

- Comment le pourrais-je, si on ne m'y autorise pas. On ne trouve personne qui veuille venir travailler ici. A propos, j'aimerais bien savoir pourquoi toi, tu as accepté. Tu savais pourtant bien de quel genre de travail il s'agissait, non?

- Ils m'ont promis une augmentation.

- Une augmentation? On dirait que tous ceux qui viennent travailler ici, sont tombés dans le panneau : " Une augmentation de salaire et des facilités plus grandes. " Ils l'ont eu, en effet, leur augmen- tation, au moment où ils ont accepté de venir ici. Mais une fois en place, ils sont redevenus des ouvriers comme les autres, avec e.'"<actement les mêmes" garanties" et les mêmes" facilités" et rien de plus.

- On t'avait aussi fait des promesses, à toi?

- On m'avait même promis davantage 1

- J'ignorais. Je pensais que la Compagnie tiendrait parole.

- Ils ont augmenté ton salaire? Tu n'as plus rien d'autre à espérer, si ce n'est lors des augmentations générales, qu'ils n'accordent d'ailleurs que lorsqu'ils ne peuvent pas faire autrement!

- Mais nous pouvons réclamer en vertu de l'Accord biparti!

- L'Accord biparti, mais ce n'est rien d'autre qu'une série d'articles sur la façon dont il convient d'étrangler les ouvriers; on l'a fait imprimer et on le leur a donné à lire, mais à quoi est-ce qu'il peut servir?

- Je ne suis pas tout à fait de ton avis. Si nous nous taisons toujours, notre condition ne sera jamais réenvisagée!

- Mais voyons! tu le sais bien, tout le monde en a discuté et tout le monde le sait : cet accord est indiscutablement à notre désavantage.

- C'est sûr, les gars comme nous n'accumulent que des désavan- tages; jamais rien dans notre intérêt. Mais peut-être est-ce aussi de notre faute.

- Ça c'est sûr! Il ne sert à rien de rejeter la faute sur les autres.

Comment cet accord pourrait-il être à notre avantage, alors que nos représentants, ceux qui ont mené la discussion en notre nom, étaient loin de posséder les qualités de leurs interlocuteurs, tous des messieurs à tête chauve 1 Regarde un peu qui sont nos délégués : Tjongék, Bobol, Turut. Quelle a été leur éducation? Les résultats de la discussion étaient prévus d'avance. Pour faire face à tous ces défenseurs de notre sort, il leur a suffi d'organiser un beau banquet et tout a été conclu alors qu'ils titubaient et puaient le whisky. »

Katjung eut un petit sourire, en entendant cette explication:

ft Oui! La faute en est aux ouvriers, qui ont élu ces gars-là pour les représenter.

- Mais qui a voté? Tu es membre toi-même. Dis-moi un peu, si tu as jamais participé à une élection?

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342 DENYS LO'-IBARD

_ Non, en effet 1 Mais laissons cela; car quelle différence, après tout, entre travailler ici et travailler au laboratoire où j'étais aupa·

ravant; là-bas, l'atmosphère est également toxique, pleine de gaz d'oxyde de soufre. Tu connais l'endroit, tu y as été.

_ Il se peut que tu aies raison. Mais, à mon avis, on risque davan- tage ici.

_ Je crois que non. J'ai travaillé assez longtemps là-bas et j'ai vu congédier plusieurs gars dont la santé était ruinée et qui sont morts dans la misère. Ici, il est vrai, ça peut vous prendre tout d'un coup;

là-bas, ça vient petit à petit. Mais ce n'est qu'une question de temps;

le résultat est le même. Ici, au moins, on a la garantie de pouvoir travailler avec un masque.

_ Avec un masque? oui, bien sûr! Mais dans quel état se trouve le tien? »

Et après ces digressions qui les avaient entraînés bien loin, ils se trouvèrent brusquement ramenés au présent .

• Je crois qu'il est inutilisable, dit Katjung en haussant les épaules.

- Dans ce cas, je vais faire le mélange tout seul. Tu feras les prépa- ratifs annexes et tu pousseras les bidons près des pompes. »

Katjung remit son masque dans l'armoire et sans mot dire, sortit dans sa combinaison toute blanche.

Sudji, sans prêter davantage attention au départ de son compagnon, quitta ses vêtements et examina son masque. Il tira sa combinaison de travail de l'armoire, se dirigea devant la glace qui pendait au mur, au·dessus du lavabo, et se courba un peu pour y regarder son visage blême et défait. Son regard s'arrêta sur l'image de son torse nu; les côtes étaient saillantes; on aurait dit qu'elles voulaient percer la peau.

Il passa sa main comme pour les compter, puis se mit à respirer à petits coups, pour voir comment sa poitrine se gonflait et se dégon.

flait ...

• C'est sûr, se dit-il à lui-même, j'ai les poumons malades. » Il revit en pensées le docteur qui l'avait examiné la veille. Quelques jours auparavant, il avait passé la visite obligatoire, comme chaque année;

et voilà que tout d'un coup on l'avait rappelé à l'infirmerie. Le docteur avait un visage bien grave et Sudji y avait lu le secret qu'on voulait lui cacher. Cette découverte l'avait atterré. Il ne savait que trop bien ce qui lui arriverait, si ses poumons étaient pris pour de bon ...

Son regard ne pouvait s'arracher de son image dans la glace. Il y avait cinq ans qu'il travaillait ici, mais on aurait dit que c'était la première fois qu'il réalisait vraiment que, durant tout ce temps, il s'était lui-même jeté au-devant d'une mort inévitable. Maintenant, il était trop tard. Et quand bien même il n'aurait pas été trop tard, que pouvait-il faire? Cesser le travail? Demander à changer de service?

Il ne fallait pas y penser.

Avec un profond soupir, il détourna le yeux du miroir et se mit à enfiler son vêtement de travail. Un instant plus tard, il était recouvert de la combinaison parfaitement blanche. Il enfonça ses jambes

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mSTOlRES COURTES O'INDONaIE 343 jusqu'aux genoux dans ses bottes de caoutchouc, blanches également, prit d'un geste mécanique son masque dans l'armoire, le mit sous son bras et quitta la pièce.

Il trouva Katjung qui se préparait à mettre la pompe en marche.

te As-tu ouvert tous les robinets?

- C'est fait, répondit l'autre sans lever la tête, j'ai préparé les colorants dans la salle des pompes.

- Tu peux commencer à m'amener les bidons. Laisse-moi terminer ça ici. li)

Katjung partit en direction du dépôt, qui était situé à l'aut.re bout du laboratoire, à 15 m de là à peine; Sudji commença par vérifier ce que son compagnon avait fait; il était novice et une maladresse était encore possible. Une faute de rien, un robinet ouvert par erreur par exemple, et cela pouvait avoir des conséquences incalculables.

Après avoir tout bien vérifié, Sudji mit la vapeur, afin de faire démarrer la pompe. Dès que le robinet fut ouvert, le silence fut déchiré par un sifflement aigu et le grincement de la pompe qui se mettait en mouvement. La vapeur chaude jaillissait avec violence, l'enveloppant d'une nuée épaisse et chaude, mais lui, restait impassible, imperturbable, ct continuait le réglage. Une fois la pompe réglée, il recula de quelques pas et adapta son masque. Son corps était maintenant recouvert tout entier: aux pieds, les bottes de caoutchouc blanc; aux mains, de longs gants en caoutchouc, blancs également; sur le corps, la combinaison immaculée et, tout autour de la tête, le masque avec ses tuyaux de caoutchouc blanc. Tout comme un scaphandrier qui se rend à l'endroit où il doit plonger, il se dirigea vers la salle des dosages, d'un pas alourdi par les bottes. De derrière la glace de son masque, il pouvait voir Katjung qui déplaçait les bidons et les poussait vers la porte du dépôt.

Tout d'un coup, il fut pris de pitié pour son compagnon: « Encore une victime de leurs promesses, se dit-il, qui tôt ou tard, tombera, elle aussi, terrassée par le contenu de ces bidons. »

Ce qu'on appelait la salle des dosages, n'était qu'une petite partie du laboratoire, séparée du reste par un grillage particulièrement solide.

A l'intérieur, se trouvaient les deux machines aspiratrices : des cana·

Iisations de deux pouces de diamètre qui aspiraient le TEL et les colorants grâce à la pompe située à l'extérieur et les foulaient vers un tuyau de 6 pouces, par où circulait l'essence pour voiture ou pour avion, à laquelle ils devaient se mélanger.

Il se mit aussitôt au travail et commença par introduire les tuyaux aspirateurs dans le colorant liquide que Katjung avait préparé. Cela ne lui prit qu'un quart d'heure. Puis il se mit en devoir d'ouvrir les bondes situées au sommet des bidons. Toutes étaient soigneusement scellées, et il fallait une grande force pour les ouvrir. Un ouvrier sans expérience aurait bien mis une demi-journée avant d'en ouvrir une et il n'est pas sûr qu'il aurait pu empêcher le liquide de venir éclabousser ses vêtements. Il suffisait de quelques minutes à peine pour constater

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344 DENYS LOMBARD

les conséquences d'une pareille maladresse : le vêtement éclaboussé était troué à l'endroit de la tache, et là où le corps était touché, la chair prenait une couleur violacée, et s'émiettait bientôt comme du pain.

L'odeur du liquide pouvait ravir un amateur de parfums, mais si cette vapeur parfumée pénétrait dans la trachée, et parvenait jusqu'aux poumons, l'on crachait bientôt, à chaque quinte de toux, un liquide rougeâtre et épais ...

Sudji avait une longue pratique de ce genre de travail; il savait très bien comment il faIIait s'y prendre avec ces engins porteurs de mort. Ce qu'il fallait avant tout, c'était avoir de la force: une force suffisante pour pouvoir brandir le marteau qui devait ouvrir la bonde;

une force suffisante pour introduire le tuyau aspirateur dans l'ouver- ture et, quand le bidon était vide, pour le refermer soigneusement et le rouler à l'extérieur. Tels étaient les gestes qu'il fallait répéter autant de fois qu'il y avait de bidons d'indiqués dans les instructions. Cette nuit-là, le nombre fixé était de quarante, et il faIIait avoir fini avant six heures du matin ...

Pourtant il ne songeait pas au temps qui s'écoulait. Il travaillait machinalement, ouvrait les bondes, introduisait les tuyaux, refermait les bidons vides, et les roulait dehors. Son ardeur au travail, jointe au fracas des machines et aux sifflements de la vapeur et des gaz, lui faisait oublier tout le reste. Un long moment, il s'affaira ainsi, tel un automate, sans penser à lui-même.

Il était tout à son travail, lorsque tout à coup, il aperçut quelque chose qui passait sur la route. Il leva la tête et regarda: c'était une jeep qui avançait à vitesse réduite. Le vacarme qui régnait autour de lui, l'avait empêché d'entendre le bruit du moteur. Réalisant immédiatement la gravité de la situation, il cherca Katjung du regard. Celui-ci était en train de pousser les bidons vides vers la porte de la resserre à l'autre bout du laboratoire. Sudji voulut lui crier un avertissement, mais sa bouche était offusquée par le masque. Katjung ne s'apercevait toujours de rien, tout absorbé qu'il était par son travail, et il se trouvait en un lieu où il était facile de l'apercevoir de la route. La jeep s'arrêta brusque- ment devant l'enceinte du laboratoire et de derrière le volant descendit un blanc, de haute stature, avec des lunettes et un casque blanc; sur le casque ces deux lettres : « SF »3.

Katjung fut tiré de son travail par le bruit de quelqu'un qui frappait dans ses mains. Il leva la tête et vit qu'on l'appelait d'un geste. Il s'interrompit, se redressa et se rendit compte que tout son corps était baigné de sueur. Il se dirigea vers celui qui l'avait appelé mais sa respi- ration n'avait pas encore repris son rythme normal. Lorsqu'il eut compris de qui il s'agissait, son pas se fit plus lourd.

« Le contremaître », se dit-il et il se sentit très mal à l'aise.

« Où est ton masque? demanda le blanc, avant même que KatjUDg ne se rot approché.

(3) SP est l'abrtvlatlon de • Shlft foreman ".

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HISTOIRES COURTES D'INOONl1sm

345

- Là-bas (la voix de Katjung était hésitante).

- Pourquoi ne l'as-tu pas mis?

- Il est hors d'usage, Monsieur. Absolument inutilisable ...

- Pourquoi ne l'as-tu pas changé?

- C'est à ceux de l'après·midi de s'en charger ...

- Tu sais bien qu'il est interdit de travailler ici sans masque?

- Mais comment faire, quand il est inutilisable, Monsieur? ~ C'était Sudji qui se mêlait à la conversation.

• Ce n'est pas une excuse! Il fallait en demander un autre!

- Mais comment faire, puisque nous travaillons la nuit ? ~ Katjung commençait à s'énerver.

« Tu dois pourtant bien savoir qu'on ne travaille pas ici sans masque.

- Je sais, je sais », dit Katjung avec impatience. « Mais comment faire, quand il est hors d'usage? Avec tout ce travail à terminer?

- Où est ton insigne? » demanda le blanc en plongeant son regard aigu dans les yeux de l'ouvrier.

• Et pourquoi donc? » Katjung était prêt à ne pas se laisser faire.

Il était bien petit à côté de ce grand contremaître, mais il semblait ne pas s'en rendre compte. Son visage était rouge de colère.

• Où est ton insigne ? ~ répéta le contremaître en haussant le ton.

• Tiens, le voici ! ~ Katjung fit un bond et son long gant de caout- chouc vint frapper son interlocuteur au visage; les lunettes tombèrent et volèrent en éclats; le contremaître, qui ne s'était pas attendu à une telle attaque, perdit un instant l'équilibre. Katjung n'était plus à même de se contrôler; il avait saisi le manche d'une brosse à carrelage qui se trouvait à proximité, et avant que son adversaire ne soit revenu à lui, il lui en avait asséné quelques bons coups sur la tête et le dos. Il était aveuglé par la colère; Sudji ne parvenait pas à le retenir, et ne pouvait rien faire d'autre que lui crier de s'arrêter. Il ne cessa que lorsque le contremaitre fut étendu sans réaction sur le sol. Sudji était affolé mais lui, bien qu'à bout de souffle, contemplait sa victime avec un mépris mêlé de satisfaction. Sur son visage, il n'y avait pas la moindre expres- sion de regret.

• Quoi faire maintenant? » s'écria Sudji d'un ton indécis. Les yeux de Katjung jetaient des éclairs :

• Quoi faire? eh bien! lui verser un bidon de corrosif sur le corps.

Qu'il en crève 1 ~

Cette idée était loin de plaire à son camarade qui réalisait quelles graves conséquences tout cela pouvait avoir. Des ouvrier qui passaient juste à ce moment, s'étaient approchés, et en moins de rien, la nouvelle s'était répandue. On en discutait dans tous les ateliers. Un ouvrier avait frappé un contremaître; voilà une nouvelle sensationnelle et qui vous ôtait l'envie de dormir, dans la fraîcheur du petit matin. Les OpinIOnS étaient partagées; plusieurs regrettaient la chose, mais il y en avait aussi beaucoup qui approuvaient Katjung.

Le jour pointait déjà. Le contremaitre blessé avait été transporté à l'infirmerie. Katjung, après enquête, était détenu au Service de

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DENYS LOMBARD

Sécurité. Il n'avait rien voulu dire à ceux qui lui avaient demandé de raconter comment la chose s'était passée. Maintenant. il était perdu dans ses propres pensées et. peu à peu, il prenait conscience de sa situation et de la portée de son acte,

mais

toujours sans éprouver aucun regret. Soudain il pensa à son foyer, à sa femme, à ses enfants; à cette heure ils dormaient d'un profond sommeil et ne savaient encore rien de ce qui lui était arrivé.

Cette image le plongea brusquement dans un profond désespoir.

CI; Quel allait être leur sort, si on le révoquait, et si en plus on le mettait en prison? » La révocation, la prison, son ressentiment, sa femme, ses enfants; il perdait tout courage et peu à peu la terreur l'envahissait.

Ce serait horrible, si tout cela lui arrivait ...

Le contremaître a fini par se remettre de ses blessures et il est en congé dans son pays. Quant à Katjung ... Katjung peut remercier le ciel de ne pas avoir été renvoyé, ni emprisonné, ni même frappé d'un avertissement. Les autorités ont considéré la chose comme banale et ont déclaré clos J'incident. Il peut continuer son travail, comme d'habi- tude. Il est vrai qu'on a grand besoin de lui. Ils sont si rares, ceux qui acceptent de travailler dans ce laboratoire, et ce laboratoire est si important, vital même. Car comment produire les essences pour voitures ou pour avions, sans y ajouter au préalable ces colorants et ce « TEL », qui augmentent le pourcentage d'octanes?

Et Katjung continue à travailler, comme d'habitude.

Toutefois, il ne fait plus équipe avec Sudji. Sudji lui, a été congédié, il vit maintenant comme il peut, avec des poumons malades et sans ressources.

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XXVIII. - W.S. RENDRA

,

Willibrodus Suréndra Broto - qui a écrit sous le nom de Réndra - est né le 7 novembre 1935 à Solo (Java central). Issu d'une famille catho- lique, il termine ses études secondaires, dans sa ville natale, à l'institution Saint-Joseph (1955), puis entre à l'Université Gadjah Mada de Djog- djakarta (section: « Littératures occidentales »). A Solo, il participe aux activités de l'Association pour la Culture (Himpunan Budaja Sura- karta), et plus spécialement à celles de la section « Art dramatique »,

I! écrit des poèmes, des pièces de théâtre qui sont jouées par la troupe de cette Association, ainsi que des scénarios radiophoniques qui sont diffusés par la radio de la ville. En 1954, il obtient un prix pour son drame Il Ceux qui sont au tournant du chemin », Orang-orang ditikungan djalan. En 1964, il se rend pour quatre mois aux :Ëtats-Unis, où il suit des cours de littérature à l'Université de Harvard, puis obtient une bourse plus longue pour étudier à l'Academy of Dramatical Arts et ne rentre en Indonésie qu'en 1967.

Il s'est tout d'abord rendu célèbre par ses pièces de théâtre, et surtout par ses poésies, parues dans les revues comme Seni, Indonésia, Kisah, puis dans deux fascicules séparés, intitulés : « Ballade des bien aimés », Ballada orang-orang tertjinta, et « Quatre recueils de poèmes »,

Empat kWllpulan sadjak (Pembangunan, Djakarta, 1957 et 1961). Il ne commence à écrire des tjerpén qu'à partir de 1955; en 1956, il obtient pour l'une d'elles le prix. de la revue Kisah et en 1963, publie son premier recueil de prose, sous le titre: « Il a déjà vagabondé », la sudah bertualang (Nusantara, Bukittinggi-Djakarta, 9 nouvelles, 97 p.).

La nouvelle retenue ici (Orang-orang peronda) a paru dans Kisah III (1955, nO 2, p. 11), puis dans « Il a vagabondé» (pp. 48 à 56); l'auteur y dépeint, non sans humour, la société d'une petite bourgade javanaise, et souligne la place que tient dans la vie de ces villageois oisifs la coutume de la ronde de nuit.

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Referensi

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