L’objet-acteur de Tadeusz Kantor. Emballages, Happenings, Pauvreté.
Valentina V
ALENTINIJe ne pense pas qu’un MANNEQUIN (ou une FIGURINE DE CIRE) puisse être substitué, comme le voulaient Kleist et Craig, à l’ACTEUR VIVANT. […] [L]a vie ne peut être exprimée en art que par le manque de vie et le recours à la mort, au travers des apparences, de la vacuité, de l’absence de tout message.
Tadeusz Kantor « Le Théâtre de la mort1 »
Si l’acteur, de même que l’évènement théâtral, sont éphémères, l’objet, lui, peut conserver une forme de vie autonome au-delà de sa fonction d’accessoire scénique, bien plus qu’un simple débris ou reliquat du spectacle. Son statut est celui d’œuvre d’art ; d’ailleurs, dans sa « Lettre aux Autorités », Kantor demande un texte officiel qui « 1. Reconnaisse ces objets comme des œuvres d’art » et « 2. Établisse un prix de vente, garantissant ainsi leur préservation et conservation dans des musées2. »
La reprise de cette dialectique corps/objet se veut une tentative d’aller au-delà des généalogies et typologies élaborées par Kantor tant dans ses mises en scène que ses expositions, et qui ont fourni une terminologie riche : machines imaginaires, objets-images, emballages scéniques, objets pauvres, objets vivants, ready-made. Nous proposons ici de créer un domaine de recherche : « l’objet-acteur », c'est-à-dire de traiter le couple corps/objet comme une entité formée de deux extrêmes à la fois divergents et convergents, les qualités de l’un se transmettant à l’autre et vice-versa. L’objet-acteur et l’acteur-objet se présentent comme un dispositif intermédiaire — codifié par le dynamisme et l’inertie, le vivant et le stagnant — qui se charge de mouvement ou demeure immobile d’une manière transitive et permutable.
Dans le théâtre de Tadeusz Kantor, le costume ne fait plus qu’un avec le corps (et n’est plus simplement ce qui le recouvre) ; les emballages rendent l’intérieur et l’extérieur indiscernables ; les mannequins mis en mouvement par les acteurs constituent un continuum dans l’espace-temps de la représentation. Une telle transitivité entre le vivant et le non-vivant, le corps et l’objet trouve des correspondances dans les courants artistiques internationaux auxquels Kantor a pris part.
L’objet-acteur
Dans les premières réalisations de Kantor illustrant son idée d’acteur-objet, les corps des acteurs sont transformés en éléments géométriques visant à éliminer toute caractéristique humaine et à rendre l’acteur semblable à une sculpture dadaïste, un élément plastique et chromatique à plusieurs faces et qui ressemble à une marionnette. Le concept d’objet-acteur
1 Tadeusz KANTOR, « Le Théâtre de la mort », in Idem, Le Théâtre de la mort, textes réunis et présentés par Denis BABLET, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1977, p. 221.
remonte à Balladyna (1942). Il est motivé par l’aspiration (constructiviste et « Craiguienne ») de modeler la forme vivante de l’acteur et, inversement, de donner au matériau de la sculpture la forme vivante du comédien. Kantor écrit que son objet-acteur « n’est pas un monument-sculpture, qui remplit un certain espace3. » Dans Balladyna, le personnage de l’ermite est enfermé dans « une grande caisse grise, faite de toile, ayant l’apparence d’un cercueil, immobile et avec à l’intérieur un HOMME EMPRISONNÉ, avec d’un côté, une MAIN vivante et animée, un masque représentant un visage humain à peine reconnaissable. Il n’y a rien en lui de la sainteté traditionnelle de l’ermite. Juste une CAISSE ordinaire4! »
Éliminer la psychologie et l’illusion et rendre à l’action dramatique des formes géométriques, des couleurs et du mouvement : telles ont été les pierres de touche du théâtre de Kantor dès ses tout premiers spectacles.
Dans Le petit manoir (1961) de Witkiewicz, vingt ans plus tard, Kantor met en jeu sur scène une méthode de « théâtre informel » née de formes déconstruites et changeantes :
« Les acteurs, opprimés dans l’espace étroit et absurde de l’armoire,
entassés, mêlés à des objets morts (des sacs, une masse de sacs)
leur individualité et leur dignité dégradées pendant inertes comme des vêtements, s’identifiant à la masse pesante des sacs
(les sacs : emballage qui occupe le rang le plus bas de la hiérarchie des objets et deviennent donc facilement une matière non-objectuelle5). »
Cette méthode de « théâtre informel » a aussi pour objectif de modeler la silhouette humaine comme une masse plastique afin d’en restreindre les actions, les gestes et les expressions du visage. Ces mêmes années, après quelques mois passés à New-York et en Californie, Kantor organisa des happenings, comme Cricotage (1965) à Varsovie, The Dividing Line (1966) à Cracovie, Die Grosse Emballage (1966) à Bâle, Rembrandt's Anatomy Lesson (1968) à Nuremberg. Lors de ces happenings, des « emballages humains » eurent lieu. Kantor décrit l’opération : « Emballage avec un « intérieur » vivant, humain. J’accomplis plusieurs fois l’acte d’emballer. Maria Stangret y participe toujours. C’est déjà un pur rituel, libéré de toute symbolisation, un acte pur, ostentatoire6. »
L’enveloppement d’un corps possède son équivalent symétrique et opposé dans l’action même de « désenvelopper » (Nuremberg, 1968). Kantor, alors armé de ciseaux, couteaux et fourchettes, découpa en lambeaux le costume d’un homme corpulent, attablé à un café et s’apprêtant à déguster son repas7. Avec ces emballages, contemporains de l’Anthropométrie
3 D’après un texte écrit par Kantor après 1942, quelques années après la représentation de Balladyna de Julius Slowacki et conservé par les Archives de la Cricothèque dans la section “Théâtre indépendent Clandestin” 1942-1945. Traduction en anglais par Andrzej I GRAŻYNA BRANNY (Archives de la Cricothèque, I/000335, p. 2). 4 Ibidem, p. 3.
5 T. KANTOR, “Le Theatre informel”, in Idem, Le Théâtre de la mort, op. cit., p. 56. 6 Id, « Emballage humain », in Id., Ibidem. p. 79.
d’Yves Klein, Kantor participe à la célébration de la magnificence de la matière et de la narcose de l’homme8.
À la même période, les artistes nord-américains Oldenburg, Dine, Kaprow et Whitman organisèrent de nombreux Happenings, menant la sculpture vers un traitement « hyper- ou im-personnel » de l’homme. Dans L’Œuvre parle, Susan Sontag écrit que souvent, le participant d’un Happening, souvent, « est affublé de masques, de linceuls, d’enveloppes de carton, de toiles d’emballages, qui accentue cette analogie entre [lui] et l’objet matériel » au point d’être « parfois assimilé à un élément du décor9 ». Dans cet essai, Sontag démontre le continuum qu’instaure le Happening — théâtre du peintre — entre l’environnement, l’objet scénique, le costume et l’élément humain ; la transformation des corps en accessoires inanimés ; le sentiment d’insécurité que l’environnement dans lequel se passe le Happening
éveille chez le visiteur, en partie grâce au caractère imprévisible de l’action. Les Happenings
réduisent la distance entre d’une part l’assemblage, la peinture et le collage animés et d’autre part l’invasion de l’espace, l’inclusion des humains, des matériaux et des objets. Kantor prit part — dans le cadre de l’épanchement continu entre les arts plastiques et les arts du spectacle — à toutes ces évolutions qu’on peut notamment voir dans la sculpture moderne et plus généralement dans les tendances artistiques au niveau international. L’intention de Kantor, en façonnant la silhouette humaine dans un sac ou en l’enveloppant dans des bandes de papier, est d’éprouver des méthodes de composition de formes nouvelles par « l’élimination de l’action / du mouvement / de la parole / de l’économie de la révélation des émotions / frisant l’état végétatif10. »
Grâce au paradigme de l’informel, les composantes du spectacle deviennent le hasard, la spontanéité et la matière décomposée. Ainsi l’objet et l’humain cohabitent-ils. L’être vivant devient un corpus, l’équivalent d’un objet trouvé parmi les déchets d’un dépotoir : « L’objet pauvre, misérable, incapable de se révéler utile dans la vie quotidienne, sur le seuil de la décharge, un objet qui éveille la compassion et l’ÉMOTION11 ! » Tout ceci se déroule dans un espace doté d’une fonction dramaturgique et qui se révèle multiple et chargé d’energie.
De plus, dans le théâtre de Kantor, les objets-acteurs, en tant qu’êtres vivants dans un espace-temps scénique, sont transformés. Ainsi un berceau devient-il un instrument de torture gynécologique, un appareil photo une mitrailleuse, un lit escamotable une machine de mort, une armoire un tas de corps, un engin mécanique qui comprime puis enveloppe les acteurs avant de les expulser : un dispositif qui les empêche d’exister sur scène en tant qu’acteurs.
L’acteur mort
8 Au moment où Kantor réalisa ses Emballages, Christo, un artiste d’origine bulgare, conçut Empaquetage (1958) à Paris, puis dans les années qui suivirent commenca à envelopper des monuments et paysages.
9 Susan SONTAG, « Les “Happenings” art des confrontations radicales », in Idem, L’Œuvre parle : essais, trad. G. DURAND, Seuil, Paris, 1966, p. 298.
10 Tadeusz KANTOR, « The Autonomous Theatre », in M. KOBIALKA (dir.), Further On, Nothing: Tadeusz Kantor’s Theatre, op. cit., p. 131.
Les nouvelles de Bruno Schulz, réunies sous le titre Le Traité des mannequins, sont une source précieuse pour définir l’esthétique du théâtre de Kantor telle qu’elle se manifeste (comme il le dit lui-même) à partir de La Classe Morte.
Les aspirations démiurgiques de Kantor, créateur de théâtre, trouvent dans le recueil de Schulz une sorte de manifeste de la pratique théâtrale, même si le théâtre ne s’y trouve jamais mentionné. Schulz décrit ses personnages comme des êtres dont les existences sont brèves et unidimensionnelles, ce qui signifie leur donner la vie pour ne dire qu’un mot, ne faire qu’un geste, pour un instant unique. Schulz expose aussi le principe de soustraction que Kantor met en pratique dans son théâtre et qui consiste à montrer peu d’éléments : un bras, une jambe, la moitié d’un visage — plutôt que l’ensemble du corps humain. En soustrayant la matière organique ou inorganique aux regards et aux agents corrosifs, l’emballage la préserve : c’est là une stratégie opposée à celle du Pop Art qui, selon Kantor, « ne voyait en l’emballage qu’une fascination et une idolâtrie industrielles12 ».
L’objet-acteur et l’acteur mort sont des mannequins ou des marionnettes : réalisés avec des matériaux pauvres qui représentent, dans le théâtre de Kantor, les doubles des dramatis personae, ils possèdent une conscience supérieure, celle qui survient après la mort. Tant dans
La Classe Morte que dans Wielopole,Wielopole, les mannequins ne remplacent pas les humains mais les redoublent, en se montrant leurs répliques parfaites ; ils semblent à la fois distants et proches, et par conséquent troublants : ils forment des composites de mécanique et d’organique, des ancêtres des cyborgs (bio-objets), un corps unique dont les actions sont commandées par la machine, à l’image du mannequin attaché à une petite bicyclette sur le dos du vieil homme qui joue le maître d’école dans La Classe Morte, ou encore de la chaise fixée au corps de l’un des Hommes du pouvoir dans Aujourd’hui c’est mon Anniversaire.
C’est précisément parce qu’ils reçoivent un traitement similaire que le corps et l’objet se retrouvent assis côte à côte au même bureau — l’acteur de chair et de sang et sa copie de cire — tous deux espèrent devenir et finissent par devenir un corps mort.
« Pour moi, dit Kantor, l’homme mort est le modèle de l’acteur. Le mort possède les caractéristiques qu’un acteur devrait avoir. Le cadavre attire l’attention des gens même s’il les répugne : la même chose doit se produire avec l’acteur. Il doit séduire et dégoûter […] et il doit être mort, il doit pour toujours être incroyablement séparé des spectateurs. […] Afin de créer une barrière invisible, celle-là même qui s’élève entre les morts et les vivants13. »
Pauvreté contre Monument
À la différence du ready-made de Duchamp, l’objet-acteur de Kantor ne provient pas plus d’un désir d’exalter la beauté de l’indifférent (selon la lecture que fait Rosalind Krauss des
ready-mades) que d’un sens éthique profond (portant la marque d’Adorno) : il n’est plus possible à présent de construire l’objet artistique ; l’œuvre «[…] "vous devez la prendre,
12 T. KANTOR, Annexing the Impossible. The Writings of Tadeusz Kantor, Archives de la Cricothèque (KWZ 92/2007/161), s. 148.
l’arracher à la vie et lui donner le nom d’œuvre d’art14”». Tandis que la technique de Duchamp — placer un objet trouvé sur un piédestal — aseptise l’objet (notamment le poids matériel et vital que ses origines lui confèrent) ou plutôt le libère d’affects personnels, les objets de Kantor conservent la tension et la qualité dramatique du vivant. Les objets trouvés et les acteurs emballés comme des paquets constituent un tout réversible. L’architecture et la sculpture s’imbriquent à la manière des mannequins et acteurs aux visages blancs assis sur les bancs de l’école de La Classe Morte (1975).
La sculpture moderne et l’objet-acteur de Kantor possèdent trois points communs : l'interchangeabilité de l’objet et de la figure humaine (le corps humain manipulé par Nam June Paik à la manière d’un objet sculpté et, inversement, les postes de télévision anthropomorphisés dans Family of Robot, Uncle et Aunt (1986)) ; la dimension théâtrale de l'espace visuel, plastique et acoustique construit par la sculpture environnementale (environnement installation) et dont le spectateur fait partie ; enfin, l’utilisation d’objets quelconques, quotidiens.
Jannis Kounellis est un autre artiste travaillant sur le caractère vivant de la sculpture moderne et admirateur du théâtre de Tadeusz Kantor. Pour lui, « la galerie est à considérer comme une petite vallée théâtrale15. » En fait, c’est un lieu peuplé d’oiseaux, de chevaux, de poissons rouges, de fleurs, de cactus, de pièces de bœuf pendues à de la tôle, de flammes provenant des lampes à gaz et à pétrole. Toutes ces choses sont vivantes — « Les animaux, végétaux et minéraux qui surgissent dans le monde de l’art » et dont parle Germano Celant dans ses textes : matière et éléments naturels (cuivre, zinc, terre, eau, rivières, plomb, neige, feu, herbe, air, pierre, électricité, ciel, poids, gravité, chaleur, croissance16…). »
Dans le « Anti-exposition Manifeste » (1963), Kantor explique que l’artiste ne crée pas l’œuvre grâce à sa technè, mais qu’il tire simplement du réel ce qui existe, et donc que l’objet est arraché à la réalité de la vie — assemblé, construit — il travaille en vue de réaliser une représentation anti-illusionniste et anti-mimétique, anti-monumentale et pauvre.
« S’il n’y avait pas eu cette PAUVRETÉ, il n’y aurait rien eu de plus qu’une simple élévation de l’objet au rang de monument artistique. Le monument artistique… Je le traitais avec mépris au temps de cette guerre infâme. C’était important de protéger la PAUVRETÉ. C’était important de la faire durer. La PAUVRETÉ est devenue pour longtemps et peut être même définitivement le sujet de mon art17. »
L’artiste, tel un scientifique, pénètre les propriétés « physiques, chimiques et biologiques » des nouveaux matériaux et, de fait, refuse la technè du peintre-sculpteur, lui préférant l’artiste-alchimiste qui vit en symbiose avec la nature ; il ne se contente pas de la représenter et préfigure donc une osmose du vivant et du monde animal, végétal, minéral, etc18. Ceci correspond au portrait de Joseph Beuys, dont les environnements construits comme des scénarios pour ses Aktionen utilisaient des matériaux (feutre, graisse, bois, plomb, jute) et des
14 Ibid. p. 22.
objets ordinaires (lampes-torches, luges, téléphones, bandages, moteurs…) tous dotés d’une valeur symbolique et autobiographique.
Comme dans le théâtre de Kantor, la vitalité des matériaux utilisés par Beuys et Kounellis se veut l’expression d’une esthétique qui oppose d’un côté le monumental, de l’autre, le Pop Art et le consumérisme, qui sont incompatibles avec la conservation et la sauvegarde de l’objet dans le temps.
Si, pour Kounellis, l’éphémère réside dans la matière vivante que la sculpture moderne préconise, pour Christian Boltanski, un artiste qui reconnait sa dette envers Kantor, le matériau privilégié est celui a déjà existé : l’absence de vie.
« Kantor, écrit Boltanski, est l’un des artistes qui m’a le plus influencé. […] Comparé à d’autres figures importantes du théâtre, Kantor n’avait qu’une grande pauvreté de moyens, une espèce de théâtre de fête foraine. Tout son travail s’appuie sur la mémoire, qui est également ma mémoire, celle de l’Europe centrale, liée à la guerre. C’est également mon histoire, ma mythologie, associant tragédie et parodie, souffrance, musique populaire, pitreries et horreur, dans un univers expressionniste19. »
Les Saynètes Comiques20 (1974) de Boltanski sont inspirées de Kantor, tout comme ses installations cinétiques avec des marionnettes faites de carton, de ficelle, de liège coloré et de lumière.
Les œuvres de Boltanski sont des monuments funéraires érigés pour une humanité anonyme et pourtant familière, des visages inconnus, les liturgies d’un visage qui ne devient pas iconique, mais qui dérange car il surgit de l’obscurité, une présence spectrale, comme revenant de l’au-delà, de l’intemporalité. Comme Kantor, Boltanski converse avec les morts : pas seulement avec ceux, familiers, de son enfance, mais avec des vies anonymes qui sont entrées dans le flux de l’histoire.
La photographie convient à de telles scènes de deuil et de mort. « J’ai toujours vu le rapport entre un vêtement d’occasion, un cadavre, et la photographie d’une personne. Dans ces trois cas, l’objet rappelle un sujet et son absence. Il n’y a pas de chair21. » Boltanski partage avec Kantor la représentation de la mort dégradée, dévaluée, celle de l’Holocauste et celle, quotidienne, qui surgit des journaux, et dont il découpe les photos de crimes, de viols, de corps mutilés, des images publiques exposées aux regards, mais dissimulées par le flot des pages noires et blanches.
Comme pour Kantor, son enfance et ses souvenirs sont les pierres fondatrices qui conduisirent l’artiste à la collecte d’objets ordinaires personnels : couteaux suisses, boutons, lunettes de vue, des couvercles, vêtements. Réserve (1991) et Reliquaire (1996) sont, de ce fait, des titres récurrents dans ses œuvres.
La phénoménologie de l’objet-acteur dans l’espace scénique et son interaction avec les arts plastiques, tels que nous les analysions dans le travail de Tadeusz Kantor, appartiennent au
19 C. BOLTANSKI cité par Danilo ECCHER (dir), Christian Boltanski, Charta, Milan, 1997, p. 81.
20 Sketchs courts dans lesquelq Boltanski joue à la manière d’un clown « des personnages stéréotypés appartenant à la mémoire collective : père ou mère de famille, le petit Christian, le grand-père » (Ibidem, p. 105).
processus d’abstraction du théâtre lancé par l’avant-garde historique. L’échange de propriétés entre le corps vivant de l’acteur et les objets de l’espace scénique est une stratégie essentielle et fondamentale de la déconstruction de la représentation qui renverse la relation du personnage au décor. L’objet inanimé a été humanisé et mis en capacité de modifier son environnement, tandis que l’homme a été mortifié, privé de sa capacité à interagir avec ce qui l’entoure.
À la fin du millénaire, avec les expériences sur l’intelligence artificielle et les connexions homme-machine (le cyborg = cybernétique + organisme), le vivant s’est fondu dans le flux électronique qui contrôle notre expérience.
Selon Hal Foster, même le concept de réalité dégradée (dont les clowns obscènes de Bruce Nauman, les représentations et installations de Mike Kelley, Paul Mc Carthy et dont d’autres artistes contemporains se font l’exemple) n’est pas une reconfiguration du réel, mais « le principal avatar d’un infantilisme contemporain22 ».
Dans le monde théâtral de Kantor, nous sommes confrontés une vision blessée de l’histoire, à une humanité dans laquelle les vaincus et les opprimés, en dépit de leur impuissance face aux horreurs du monde, sont entaillés de souvenirs, du temps, de la vie vécue qui les rend tragiquement humains. C’est peut être pour cette raison que les silences, les cris et le balbutiement de ces vieux enfants sont perçus par les spectateurs comme tellement plus douloureux et violents que les corps cruellement démembrés du théâtre de Sarah Kane.
Merci à Luigi Marinelli, Daniela Lancioni, Giulia Palladini, Natalia Zarzecka.