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Informer ou militer les medias kurdes et

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Ecole des hautes etudes en sciences de l'information et de la communication Universite de Paris-Sorbonne (Paris IV)

MASTER 1 - Option JOURNALISME -Mention : Information et Communication

Specialite et Option : Journalisme

INFORMER OU MILITER

LES MÉDIAS KURDES ET LA QUESTION DE L'OBJECTIVITÉ

Préparé sous la direction de Madame le Professeur Karine Berthelot-Guiet Et accompagné par Valérie Jeanne-Perrier

Nom : MAS

Prénom : Liselotte

Promotion : 2015 - 2016

Soutenu le : 14/06/2016

Mention : Très bien

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Remerciements

Je souhaite remercier Valérie Jeanne-Perrier, tutrice de ce mémoire, pour son soutien, ses recommandations et conseils tout au long de ce travail.

Je tiens également à remercier mon rapporteur professionnel, Alain Gresh, pour sa disponibilité, ses relectures fouillées et précieux conseils.

Je voudrais remercier Maxime Azadi, Gulê Algunerhan et Allan Kaval, journalistes kurdes et français avec qui j'ai pu longuement discuter pour de nourrir cette étude. Avec eux, je remercie tout particulièrement Wali Iscen et Can Gözcü pour leur soutien.

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INFORMER OU MILITER

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Sommaire

Remerciements...2

Introduction...6

I. Peuple et presse, les Kurdes opprimés...9

Introduction :...9

A) L'histoire du Kurdistan, une longue lutte pour plus d'autonomie ...9

1. De l'empire ottoman à la création des États-nations au Moyen-Orient : le faux espoir de l'indépendance...9

2. Des soulèvements successifs pour l'indépendance du Kurdistan...10

3. La création d’une région fédérale en Irak...13

B) L'histoire de la presse kurde de 1898 à nos jours : tenter d'exister malgré les interdictions...15

1. Les prémisses médiatiques kurdes : 1898 - 1990's...16

2. Montée en puissance des médias kurdes à partir des années 1990...17

C) L'oppression des États, une constante historique pour les Kurdes et leur presse...22

1. Les politiques d’assimilation menées par l'État turc...22

2. Les médias kurdes interdits, perquisitionnés : journalistes tués, en prison ou en exil...25

3. L'accusation d'apologie du terrorisme, un outil pour censurer les médias...30

4. Les Etats veulent empêcher la création d'une identité commune...32

Conclusion :...33

II. Un paysage médiatique très politisé...34

Introduction...34

A) Un discours nationaliste omniprésent...34

1. La symbolique culturelle kurde au cœur du dispositif médiatique : créer l'unité autour du folklore ...34

2. Des médias qui participent à la construction de l’identité nationale...35

3. Mise en valeur des combattants et de la lutte armée : l'exemple parlant des femmes...37

4. Les divisions politiques se transforment en divisions médiatiques...38

B) Les médias kurdes et leurs allégeances : quand la presse devient le miroir de la politique...40

1. En Irak, un paysage médiatique riche et divisé...41

2. En Syrie, une presse embryonnaire qui profite d'un contexte actuel favorable...44

3. En Iran, une presse en langue kurde contrôlée par le gouvernement...44

4. En Turquie, des médias nombreux mais en grande difficulté...44

5. Les instances fédératrices : syndicats, associations de journalistes et codes de déontologie...45

C) Des médias “peu fiables” selon les journalistes français...47

1. Le lien au politique, marque d'une dépendance et signe d'une forme de « propagande »...47

2. Ce manque de confiance engendre une forme d'hégémonie des agences occidentales dans la couverture des régions kurdes...48

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III. Construire une société civile avec les médias...51

Introduction :...51

A) Dans un contexte de guerre, prendre parti serait un « impératif moral »...51

1. Journalistes certes, mais militants avant tout...52

2. L'exemple de la pénétration de l'idéologie d'Öcalan dans les médias...53

3. Contexte de guerre : obligation morale de choisir le camp des “victimes”, et donc de les défendre dans la presse...54

4. Deux guerres médiatiques pour les journalistes kurdes : interne et externe...56

5. Un discours médiatique orienté vers l'international : une volonté se sensibiliser le monde à la cause kurde...58

6. À contexte particulier, journalisme particulier...60

B) Le rôle des journalistes en démocratie : règles d’objectivité et déontologie occidentales...62

1. Conventions internationales et règles tacites, une déontologie du monde des démocraties occidentales...62

2. La périlleuse question de la « vérité » journalistique...63

3. Les journalistes kurdes font partie d'un système politique mais surtout d'un système de pensée. .64 3. Le professionnalisme des journalistes kurdes...66

C) Les conditions idéales au développement d’une presse puissante ne sont pas réunies dans les régions kurdes...70

1. Des conditions précaires mais très différentes : comparaison des contextes turcs et irakiens...70

2. Un journalisme engagé mais « honnête », une posture adoptée par certains...71

3. La communication politique, une posture majoritaire...73

4. Un public fragmenté...75

5. Influence des tensions géopolitiques sur les médias...75

6. Le lien au politique, une fatalité ?...77

Conclusion :...77

Conclusion générale...78

Bibliographie ...80

Ouvrages académiques :...80

Rapports : ...81

Articles de presse :...81

Pages internet :...82

Ouvrages de corpus :...82

Annexes...83

Annexe 1 : Réponses de Guillaume Perrier, Allan Kaval et Maxime Azadi au questionnaire...83

Annexe 2 : Entretien semi-directif avec Allan Kaval...88

Annexe 3 : Charte de Munich (1971)...91

Résumé :...92

Mots-clefs :...92

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Introduction

« Le journalisme fait partie du militantisme kurde », affirme Maxime Azadi, journaliste et fondateur de l'agence de presse Firat (ANF). Les médias kurdes s'ancrent dans un paysage politique particulier, complexe et très divisé. Ils couvrent de nombreux territoires et travaillent dans des conditions parfois très violentes. Dans cet environnement, ils adoptent un discours journalistique très engagé.

Cette posture pose problème dans le sens où elle ne correspond pas aux critères déontologiques communément admis dans les pays occidentaux. Là où le journaliste se doit d'être neutre et de rapporter des faits, ceux qui fabriquent l'information dans les régions kurdes s'attachent à diffuser une certaine vision du monde, fortement teintée politiquement.

Mais cet environnement politique et politisé se comprend de nombreuses manières. Les Kurdes parlent depuis leur spectre culturel et politique, ils s'appuient sur une histoire et des valeurs qui leurs sont propres. Étudier les médias du « plus grand peuple sans nation » permet de comprendre les fortes imbrications qui existent, presque par nature, entre le politique et le médiatique. En partie pour cette raison, les journalistes français leur font très rarement confiance. Ils les qualifient de « propagandistes » des camps politiques auxquels ils sont liés. Ce jugement de valeur se comprend selon les critères déontologiques connus dans les pays occidentaux car les médias kurdes adoptent une posture politique clairement identifiable.

Tout d'abord, il convient de poser les bases de cette étude. La question kurde étant éminemment polémique et complexe, il semble légitime de bien définir les termes employés. Les Kurdes forment un peuple. C'est à dire un groupe d'êtres humains vivant sur le même territoire ou ayant en commun une culture, des mœurs. Ils partagent un sentiment d'appartenance qui repose sur un passé commun réel ou supposé, un territoire commun, une langue commune, une religion commune ou des valeurs communes. Il nous a semblé important de définir ainsi les Kurdes qui sont aujourd'hui un peuple, certes, mais un peuple très morcelé. Globalement, nous qualifierons de Kurdes les personnes se revendiquant comme telles au sein de la diaspora et les personnes vivant sur les territoires kurdes.

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Par journalisme engagé, nous entendons une production d'information à laquelle s'ajoute une forme de commentaire, en opposition à la simple énonciation de faits1. Nous entendons en plus une

catégorie de médias qui s'adresse explicitement à des individus eux-mêmes engagés, sympathisants du combat politique kurde et plus généralement de la cause kurde.

Informer c'est « transmettre un message sans le déformer », sans qu'il y ait de « but caché » et tenter de « reproduire la réalité » le plus fidèlement possible. De l'autre côté, militer c'est vouloir convaincre. Finalement, ces deux termes renvoient à la classique opposition entre journalisme et communication. Un article, par exemple, peut délivrer des informations qui ne servent pas l'intérêt général ou qui cherchent à exercer une forme d'influence, à défendre un point de vue. On parle alors de communication. Selon les critères déontologiques connus dans les pays occidentaux, le journalisme est supposé informer le public, servir l'intérêt général, présenter différents points de vue et tenter de restituer la complexité du monde. Ces définitions ont été reprises d'ouvrages très généraux comme l'Encyclopaedia Universalis, il nous a semblé superficiel de reproduire ici les querelles universitaires autour de ces termes. Nous nous en tiendrons donc à la doxa.

Dans ce mémoire, nous cherchons à comprendre les enjeux qui traversent le paysage médiatique kurde et les spécificités qui peuvent traverser la presse d'un peuple sans État. Ce cas précis nous semble intéressant de par son actualité, notamment via le conflit syrien dans lequel s'inscrivent les Kurdes, mais aussi pour explorer les liens journalistico-politiques.

Nous concentrons notre étude sur les médias kurdes de Turquie et d'Irak, cela pour deux raisons. Premièrement, ce sont les deux régions kurdes les plus peuplées et elles représentent deux modèles très différents qui s'opposent sur bien des points. Ensuite, ce sont les deux territoires sur lesquels les médias kurdes se sont réellement développés. Nous mentionnons donc les médias kurdes de Syrie ou d'Iran mais ceux-ci sont très peu nombreux, ils commencent à peine à se développer au Kurdistan syrien depuis les récentes avancées militaires des YPG2 et YPJ3 contre l'Organisation État

islamique.

L'objectif principal est de pouvoir expliquer les raisons de la spécificité du journalisme kurde. Nous avons donc eu recours à plusieurs sources principales d'information et de réflexion : les journalistes

1 Dominique Marchetti, « PRESSE - Journalisme et journalistes », Encyclopaedia Universalis, Universalis Education, s. d. in Encyclopaedia Universalis

2 YPG (Yekîneyên Parastina Gel) : Unités de protection du peuple, branche armée du PYD (Partiya Yekîtiya Demokratà, Parti de l'union démocratique, groupe politique kurde de Syrie proche du PKK. Lui aussi affirme vouloir plus d'autonomie et ne propage pas de discours séparatiste. Il est actuellement dirigé par Salah Muslim et mène une guerre contre l'Organisation État islamique).

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kurdes et français qui travaillent sur cette région, les entretiens effectués sur place par Reporters Sans Frontières et Zubeida Abdulkhaliq, docteure en sociologie à l'EHESS4, et une série d'ouvrages

et articles universitaires. Nous avons également visité les locaux des studios de plusieurs chaînes de télévision satellitaires kurdes à Denderleeuw, en Belgique. Nous n'avons pas pu conduire d'entretiens semi-directifs enregistrés mais avons cependant reproduit fidèlement leur propos et cité seulement ce que nous avions noté avec précision. Enfin, nous avons adressé un questionnaire précis d'évaluation des médias kurdes à trois journalistes, Allan Kaval duMonde, Guillaume Perrier, ancien correspondant duMonde en Turquie et Maxime Azadi, journaliste et fondateur de l'agence de presse kurde Firat (ANF).

Au travers de ces entretiens et de ces ouvrages, les pistes de recherches s’avéraient multiples. Dans le prisme de l'étude de la déontologie et des liens entre le journalisme et les cercles politiques, nous nous sommes tout d'abord demandé comment les médias kurdes se positionnent, en tant que porte-voix de « minorités », dans les États-nations turc, syrien, irakien et iranien. Quel rôle jouent-ils dans la société civile et quels sont leurs liens avec les différents groupes politiques kurdes ? De quelle manière leur « journalisme engagé » se manifeste-il et est-il perçu par les journalistes français qui couvrent la question kurde ? Dans quel contexte travaillent-ils et dans quelle mesure cet environnement influence-t-il leurs méthodes de travail et l'information qu'ils produisent ?

Face à ces problématiques, nous allons mettre à l'épreuve trois hypothèses. La première est que les médias kurdes seraient fortement liés aux partis et mouvements politiques kurdes. La seconde est que les médias kurdes ne cherchent pas, à priori, à devenir des médias de masse puisqu'ils semblent adopter un discours clivant. Enfin, la troisième hypothèse porte sur le fait que leur existence même poserait problème aux États-nations dans lesquels, ou plutôt contre lesquels, ils s'inscrivent.

Dans une première partie introductive, nous reviendrons sur l'histoire du Kurdistan, de sa presse et de ce qui la structure : l'oppression des États-nations. Cette partie nous permettra de comprendre que la presse kurde a rencontré de nombreuses difficultés depuis sa naissance. Dans un second temps, nous verrons dans quelle mesure les médias kurdes sont liés à différents groupes politiques. Nous étudierons également les idéologies qu'ils convoquent dans leur posture et le regard de journalistes occidentaux sur celle-ci. Enfin, dans une troisième partie, nous tenterons de comprendre comment les médias kurdes, en tant que médias engagés, s'inscrivent dans une société civile complexe et adoptent une posture journalistique singulière.

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I. Peuple et presse, les Kurdes opprimés

Introduction :

L'histoire politique du Kurdistan permet de mettre en contexte l'histoire de la presse kurde qui lui est très fortement liée. Cette dernière se structure autour de deux principes : l'oppression par les États-nations des populations et la lutte de certains groupes pour l'indépendance puis pour davantage d'autonomie politique et culturelle.

A) L'histoire du Kurdistan, une longue lutte pour plus d'autonomie

1. De l'empire ottoman à la création des États-nations au Moyen-Orient :

le faux espoir de l'indépendance

Les Kurdes sont un peuple localisé autour des montagnes de l’Est anatolien et sur les rives de l’Euphrate. Millénaire, il a vu passer plusieurs empires, notamment l'empire romain, l’empire perse et l’empire ottoman. Son histoire intra-ottomane se construit autour de plusieurs grandes révoltes lancées par les chefs de tribus kurdes. Un « Kurdistan », l'Émirat Soran, sera même mis en place au nord de l'Irak entre 1816 et 1835. Ces diverses revendications, souvent mises en échec, seront entendues par les pays occidentaux au moment de la chute de l’empire ottoman. A la fin de la Première guerre mondiale, après l’invasion de l’Anatolie par les Européens et les soulèvements nationalistes arabes, plusieurs États européens signent avec l’empire ottoman, du moins ce qu’il en reste, le traité de Sèvres. Ce Traité prévoit la partition de ce qu’il restait de l’Empire ottoman en 1918 et la création, notamment, d’un État arménien avec accès à la mer Noire et d’un État kurde autour de Diyarbakir (Amed en kurde).

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fondre dans la société, notamment via des politiques d’assimilation.

Après les accords de Sykes-Picot (1916) et ceux surtout ceux de San Remo et Sèvres qui divisent la région en zone d'influence des États européens, les Kurdes se retrouvent divisés entre quatre États : Irak (Indépendance du Royaume-Uni en 1932), Syrie (Indépendance de la France en 1946), Turquie (Indépendance en 1923) et Iran, qui n'est pas concerné par les accords Sykes-Picot.

2. Des soulèvements successifs pour l'indépendance du Kurdistan

De là, leur volonté de créer un État indépendant se développe. Un premier proto-État est créé en à l'est de la Turquie en 1927 pour protester contre le traité de Lausanne et l'annulation de la création d'un État kurde. La République d'Ararat, du nom du mont autour duquel se dresse la résistance, perdurera jusqu'en 1930, date à laquelle le mouvement sera écrasé par l'armée turque. Le mouvement kurde prend de l'ampleur et, en 1937, quand Turquie, Irak, Iran et Afghanistan signent un traité de non-agression, ils s'accordent à résorber le phénomène autant que possible (sans le nommer directement)5.

Un phénomène similaire à la République d'Ararat survient en Iran avec la République de Mahabad . L'expérience sera plus courte : de janvier à décembre 1946. Imbriqué dans la crise irano-soviétique entre l'URSS et les États-Unis, ce mouvement voit émerger une figure très importante du mouvement kurde : Moustafa Barzani, ministre de la Défense de cette République avec Qazi Muhammad comme président. Ce dernier sera exécuté en public à Mahabad, capitale de la région, après la chute de son système.

C'est sous la direction de Moustafa Barzani que les Kurdes d'Irak vont se soulever contre le régime de Bagdad en 1961. Le mouvement sera temporairement stoppé par une trêve en 1970 avant de reprendre en 1974. À partir de cette date, les Kurdes d'Irak reçoivent le soutien matériel de l'Iran avec « le soutien et la bénédiction d'Israël et des États-Unis 6». En 1975, « Barzani est victime d’un

dégel régional ». (...) « Téhéran retire son soutien aux Kurdes et laisse le choix à Barzani d’arrêter la lutte armée ou de continuer sans son aide » (...) Il « décide de mettre un terme à l’insurrection »7.

Toujours en 1975, une nouvelle guérilla naît, menée par le PDK8 (Barzani) et l’UPK9 (Talabani), à

5 « Treaty of Non-Aggression. Signed at Tehera », juillet 1937, http://www.worldlii.org/int/other/LNTSer/1938/163.html.

6 Hamit Bozarslan, Conflit kurde, le brasier oublié du Moyen-Orient, Ed. Autrement, p. 74 7 Ibid, p. 74

8 PDK (Partiya Demokrat a Kurdistanê) : Parti Démocratique du Kurdistan dirigé par l'actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani.

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la suite d'une scission du PDK après les accords d'Alger. La résistance s’organise dans les montagnes. Ce moment marque donc la première division notoire du mouvement de guérilla kurde. En 1980, la guerre Iran-Irak éclate et, avec elle, la politique d’extermination des Kurdes mise en place par Saddam Hussein en 1983. En 1988-1989, le régime utilise des armes chimiques contre des villages kurdes, notamment à Halabdja entre le 16 et le 19 mars. Lors de ce que l'on a appelé les « opérations Anfal », plus de 180 000 personnes sont tuées et 90% des villages kurdes détruits.

En Syrie, les Kurdes ne sont pas représentés politiquement entre 1946, date de la fin du protectorat français dans la région, et 1957. A cette date, plusieurs nationalistes kurdes créent le Parti démocratique du Kurdistan de Syrie (Partiya Demokrat a Kurdistanê il Sûriyê). Ses dirigeants seront arrêtés et torturés en 1960. Plus de 5000 personnes y étant associées seront arrêtées10. S'en

suivent, après la fin de l'union Syrie-Egypte en République arabe unie, une série de dictatures militaires et le début du règne de la dynastie Assad. Jusqu'au début du conflit syrien en 2011, les droits à l'éducation, à la propriété, à la détention du passeport syrien et à la pratique de sa langue maternelle sont reniés aux Kurdes du Rojava (nom kurde de la région au Nord-Est de la Syrie).

En Iran, entre 1979 et 1982, des groupes militants kurdes s'opposent à la République Islamique après la révolution iranienne. L'ancien guide de la révolution, l'Ayatollah Rouhollah Khomeini, déclare à cette époque une « guerre sainte » contre les rebelles autonomistes kurdes. Il « ordonna aux forces armées de pénétrer en territoire kurde iranien afin de repousser vers l'extérieur les rebelles kurdes et restaurer l'autorité du pouvoir central dans le pays. (…) Il en résultat qu'environ 10 000 Kurdes furent tués11. »

Pendant ce temps, en Turquie, un coup d'Etat survient en 1980 à la suite d'une quasi guerre civile entre groupes d'extrême-gauche et nationalistes. L'armée instaure un régime militaire jusqu'en 1983. En 1984, une guerre émerge dans l’Est et le Sud-Est anatolien entre l’armée turque et le PKK12. Ce

mouvement, créé en 1978 par Abdullah Öcalan, un étudiant ayant pris part aux mouvements étudiants d'extrême-gauche, se revendique marxiste-léniniste. Il entame une lutte armée contre la Turquie pour obtenir plus de droits culturels, notamment l'usage de la langue kurde, et une autonomie administrative. Au début des années 1990, alors que le mouvement prend de l'ampleur, le président turc de l'époque, Turgut Özal, lance des réformes allant dans le sens des revendications du PKK : amnistie des membres du PKK, plus d'autonomie pour les Kurdes et une meilleure représentativité politique. Dès lors, Öcalan signe un cessez-le-feu en 1993. Un mois plus tard, le

10 Wikipédia, « Rojava », consulté le 13 mai 2016.

11 Wikipédia, « Histoire du peuple kurde », 10. Histoire du XXe siècle, 6) En Iran, consulté le 13/05/2016

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président Özal meurt et les projets de réformes sont donc annulés. La trêve est stoppée et les combats reprennent. Öcalan est finalement arrêté en 1999 au Kenya grâce au travail conjoint des services secrets turcs, américains et israéliens. Condamné à mort, il sera finalement emprisonné à vie sur l'île-prison d'Imrali en mer de Marmara.

Après l'emprisonnement du chef du PKK, la ligne politique change :

« Après l’arrestation d’Öcalan et la trêve de son organisation en l’an 2000, le PKK - devenu KADEK13 suite aux ordres de son chef depuis sa prison - abandonnait ses

anciennes revendications (un « Kurdistan indépendant et uni ») au profit des droits culturels et politiques au sein d’une “république (turque) démocratique”. Il ne s’agissait donc plus d’une lutte contre un Etat présenté jadis comme « colonial », mais d’une lutte menée pour les droits politiques et culturels dans le cadre d’un Etat unitaire. Ce

changement de programme s’accompagna de la transformation du discours du

mouvement nationaliste, y compris à la télévision kurde, conçue comme l’un des outils importants de cette nouvelle politique au sein de la population kurde14. »

Dès lors, les années passent et les tensions semblent s'apaiser. Le gouvernement AKP15 lance des

réformes qui vont dans le sens des revendications kurdes et la bonne situation économique induite par l'entrée massive des capitaux étrangers en Turquie permet de moderniser la région du Sud-Est, très pauvre et défavorisée.

En 2012, un processus de paix est lancé entre le gouvernement turc et le PKK, il s’achève à l’été 2015 : le 28 décembre 2012, Recep Tayyip Erdogan, alors Premier ministre, déclare à la télévision que le MIT16 (services secrets turcs) a entamé des pourparlers avec le PKK pour mettre fin au

conflit. Le 21 mars 2013, Öcalan annonce à l’occasion du Newroz, le Nouvel an kurde, une trêve illimitée du PKK et le passage « de la résistance armée à une ère de lutte politique démocratique » (...) À l’automne, un « paquet de démocratisation » voté par le Parlement concède quelques avancées sur l’usage et l’enseignement en langue kurde. Au cours de l’année suivante, des milliers de prisonniers politiques kurdes sont remis en liberté conditionnelle. Les trois échéances électorales de 2014-2015, propices au durcissement des discours et à la surenchère nationaliste, contribuent toutefois à figer la situation. Le retrait du PKK de Turquie n’a jamais été finalisé. Les tensions avec le mouvement kurde redoublent avec la répression du mouvement « Occupy Gezi » et la chasse aux sorcières contre la confrérie Gülen. Reporters Sans Frontières revient sur les récents événements, notamment le conflit syrien et les récentes élections législatives :

« Les répercussions du conflit syrien, également, pèsent extrêmement lourd : le PKK gagne une légitimité internationale inédite de sa lutte contre l’Etat islamique mais ses victoire attisent les craintes en Turquie, tandis qu’une partie de l’opinion kurde est

13 KADEK (Kongreya Azadî û Demokrasiya Kurdistanê) : Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan, succède au PKK entre 2001 et 2003.

14 Zozan Akpinar, « L’État turc face aux télévisions transfrontières kurdes », Médias-Recherches, De Boeck Supérieur, Bruxelles, no Médias, migrations et cultures transnationales (2007): 160., page 98.

15 AKP (Adalet ve Kalkinma Partisi) : Parti de la justice et du développement, conservateur, au pouvoir en Turquie depuis 2002.

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frustrée par le refus d’Ankara de prendre clairement parti. Ces tensions culminent une première fois avec les émeutes consécutives au siège de Kobané, qui font une

quarantaine de morts en octobre 201417

Les dernières élections de 2015 marquent un tournant pour la question kurde en Turquie : « Centrée sur un duel AKP-HDP18, la campagne pour les élections législatives de juin

2015 voit Recep Tayyip Erdogan enchaîner les discours belliqueux. Lorsque l’entrée du HDP au Parlement prive l’AKP de la majorité absolue qu’il détenait depuis 12 ans, le président de la République fait rapidement comprendre qu’il ne lui pardonnera pas. Alors qu’un gouvernement intérimaire est aux affaires, la situation sécuritaire est de plus en plus explosive : l’attentat qui coûte la vie à 33 activistes prokurdes à Suruç, à la frontière syrienne, le 20 juillet 2015, est l’étincelle qui met le feu aux poudres. Jugeant les autorités complices du groupe Etat islamique, le PKK dénonce le cessez-le-feu qu’il observait depuis deux ans et cible soldats et policiers turcs, ce à quoi Ankara répond par des bombardements visant partiellement l’EI mais beaucoup plus massivement le PKK19. »

En Iran, les réformistes perdent tout pouvoir officiellement au moment de l'élection de Mahmoud Ahmadinejad en tant que président, le 24 juin 2005. Depuis lors, les activités culturelles des Kurdes ont considérablement diminué, selon Sheyholislami20. Ce dernier note que, depuis le milieu des

années 1990, la plupart des organisations kurdes iraniennes ont abandonné la lutte armée. Les cadres de la rébellion et ses militants ont soit émigré vers l'Ouest ou rejoint le Kurdistan irakien à la condition, mise en place par l'administration kurde irakienne, qu'ils ne s'engagent pas dans une lutte armée contre l'État iranien.

3. La création d’une région fédérale en Irak

De l'autre côté des montagnes, les Kurdes d'Irak s'en sortent mieux et parviennent à créer une région autonome après la Deuxième Guerre du Golfe. Après avoir envahi le Koweït en 1990, l'Irak se retire de ce territoire pétrolifère à l'issue de l'opération « Tempête du désert » en février 1991. Un mois plus tard, en mars 1991, les Kurdes se soulèvent et sont violemment réprimés par l’Irak : deux millions de personnes fuient vers la Turquie ou l’Iran. Le mois suivant, le Conseil de sécurité des Nations unies crée une zone de protection pour les Kurdes au nord du 36e parallèle et met donc en place une autonomie de fait pour les Kurdes sur une partie de leurs terres.

En mai 1992, les premières élections législatives libres sont organisées et « unanimement saluées comme l’une des plus démocratiques de la région21 ». Le PDK remporte 45,27% des voix contre

17 Reporters Sans Frontières, « Problème kurde : la liberté de l’information fait partie de la solution » (Turquie: RSF, octobre 2015), http://rsf.org/sites/default/IMG/pdf/rapport_turquie_2015_fr_web.pdf., page 7.

18 HDP (Halkların Demokratik Partisi) : Parti démocratique des peuples, kurde, situé politiquement à gauche dans la continuité des émeutes de Gezi park, siège à l'Assemblée turque.

19 Reporters Sans Frontières, « Problème kurde : la liberté de l’information fait partie de la solution »., page 8. 20 J. Sheyholislami, Kurdish Identity, Discourse, and New Media (Springer, 2011).

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43,82% pour l’UPK. La structure politique de la région est ainsi mise en place : « Les petits partis sont éliminés de la donne politique. L’hégémonie de ces formations politiques qui ont structuré la résistance entre 1975 et 1991 apparaît au grand jour22 ».

Cette dualité donnera lieu, de mai 1994 à septembre 1998, à une guerre civile fratricide entre le PDK et l’UPK. De là seront constituées deux régions autonomes : le première autour d’Erbil, dirigée par le PDK et celle autour de Souleimanieh, dirigée par l’UPK.

En 2003, la chute de Saddam Hussein en Irak provoque, entre autres, la création d'un espace de libertés. Cette aire nouvelle profite au Kurdistan irakien qui se voit doté du statut de gouvernement autonome par la Constitution irakienne en 2005. La région, nommée KRG23, est divisée en trois

provinces : Dohuk, Erbil et Souleimanieh. Une quatrième sera créée en 2014 autour de la ville d'Halabja, près de la frontière iranienne. En janvier 2005, les premières élections multipartites depuis 1953 sont organisées en Irak et l'Alliance kurde obtient 75 députés à l'Assemblée nationale (sur 275), soit un peu plus de 25% des suffrages24. Ce score important lui permet de jouer le rôle

d'arbitre au moment des votes.

En juin 2005, le Parlement kurde se réunit pour la première fois depuis 1996 et élit Massoud Barzani à la tête de la présidence de la région. C'est le début de la normalisation des relations entre les deux partis, processus qui aboutit en janvier 2006 à un accord d’unification des deux administrations du PKD et de l’UPK et, en mai 2006, à l'inauguration du gouvernement régional du Kurdistan. Si l’union est officielle, elle reste assez formelle puisque les deux régions restent autonomes et que les forces armées ne sont pas unifiées. Une forme de cohabitation se met donc en place avec, à sa tête, le nouveau Premier ministre Nechirvan Idris Barzani, neveu de Massoud Barzani. Ce gouvernement acquiert une autonomie législative sur le territoire dans certains domaines. Enfin, l'année 2009 marque l'arrivée sur la scène politique kurde irakienne d'une opposition parlementaire avec le mouvement Gorran (Changement) et divers partis islamistes.

22 Ibid., page 74.

23 KRG (Hikûmetî Herêmî Kurdistan, de l'anglais Kurdistan Regional Government) : Gouvernement régional du Kurdistan d'Irak, instance dirigeante du Kurdistan irakien.

24 « Élections législatives irakiennes de janvier 2005 », Wikipédia, 27 août 2015, https://fr.wikipedia.org/w/index.php?

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B) L'histoire de la presse kurde de 1898 à nos jours : tenter d'exister

malgré les interdictions

La presse kurde naît en 1898, soit près de 70 ans après le premier journal en ottoman, fondé en 1831. Mais l'histoire de la presse dans l'Empire ottoman débute avec une presse francophone, plus ancienne (années 1820)25. La période du Tanzimat, qui marque l'occidentalisation de l'empire à

partir des années 1840, lance la presse dans son ensemble, mais la presse francophone reste dominante en termes de tirages. Bien que souvent d'ordre diplomatique ou commerciale, cette presse francophone et francophile s'érige en modèle et influence les publications ottomanes26. Ce

modèle médiatique français peut être examiné de différentes manières. Dans l'optique de notre étude du journalisme kurde, il nous paraît important de rappeler les principes fondateurs de la presse française avant la Révolution. Les idéaux véhiculés à l'époque sont synthétisés par Jean-Noël Jeanneney dans son analyse de la presse française prérévolutionnaire (Une histoire des médias).

« Cette presse naissante, balbutiante, mène ses premiers combats pour la liberté. Il s’agit d’abord d’affronter les gouvernements. D’emblée, ceux-ci se soucient de cet instrument nouveau et ils réagissent devant l’inconnu selon un réflexe ordinaire; par la peur, multipliant les interdictions ou punitions si lourdes qu’elles conduisent le journal à disparaître. Puis, dans un deuxième temps, apparaît la volonté de domestication, pour faire servir la presse à leurs desseins27 ».

La notion de lutte contre le pouvoir en place et de combat pour la liberté structure la création de journaux et médias audiovisuels kurdes. L'autorité à combattre est très souvent l'État-nation dans lequel s'inscrit chaque communauté kurde : Irak, Iran, Syrie ou Turquie. Le combat pour la liberté, en constante mutation au fil des années, est surtout une défense de la culture kurde et une volonté d'autonomie politique. Mais les différents gouvernements rejettent ces revendications et oppriment donc les médias qui les portent. Ce dès l'apparition du premier journal kurde en 1898. Cette oppression n'éteindra pourtant pas la dynamique médiatique kurde : « Depuis l’émergence de la presse kurde avec le journalKurdistan jusqu’au début des années 2000, le chercheur Mahmûd Lewendî recense l’existence, souvent éphémère, d’environ 1200 revues, journaux et bulletins.28 »

25 Seza Sinanlar Uslu, « Apparition et développement de la presse francophone d’Istanbul dans la seconde moitié du XIXe siècle », Synergie, no 3 (2010), http://www.academia.edu/724739/_Apparition_et_d

%C3%A9veloppement_de_la_presse_francophone_dIstanbul_dans_la_seconde_moiti%C3%A9_du_XIXe_si %C3%A8cle_Synergie_3_2010.

26 Ibid. « : L’histoire de la presse francophone d’Istanbul témoigne de la grande influence française et aussi celle du français dans l’Empire Ottoman. »

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1. Les prémisses médiatiques kurdes : 1898 - 1990's

Le premier journal kurde, intituléKurdistan, fait figure de modèle pour ses successeurs. Il est créé loin du territoire kurde par un intellectuel en exil, d'abord en Egypte puis en Europe.

« Dès la fin du XIXème siècle, les nationalistes kurdes utilisent la presse pour poursuivre la lutte politique depuis leur territoire d’exil. Ainsi, le 22 avril 1898, au Caire, Mîqdad Mîdhat Bedirxan publie le premier numéro de Kurdistan. Cinq numéros de ce journal sont imprimés dans cette ville avant que l’intervention du palais ottoman auprès des autorités égyptiennes n’oblige son fondateur à en délocaliser la production. Le frère de ce dernier, Abdurrahman Bedirxan, commence alors à le publier à Genève avant de retourner à nouveau au Caire. Le 24ème numéro du Kurdistan est ensuite tiré à

Londres et les cinq numéros suivants à Folkestone, toujours en Grande-Bretagne. Enfin, les deux derniers numéros sont de nouveau publiés en 1902 à Genève, que le

propriétaire du journal regagne29. »

Ce journal, éphémère, est à l'image de nombreuses publications et périodiques en langue kurde à cette période. Il met en valeur la culture kurde, son folklore, ses traditions et sa littérature. L'aspect politique n'est pas absent : il revendique aussi la création d'un État indépendant. Cependant, tout au long du XXe siècle jusqu'aux années 1990, le journalisme kurde reste embryonnaire. Il est très étroitement lié aux mouvements politiques kurdes qui se mettent en place et peine à s'ériger en vecteur d'information des masses. En Turquie, où la population kurde est très importante (20% de la population nationale), la presse kurde ne naît pas au Sud-Est mais à Istanbul. Elle est portée par des intellectuels inspirés des modèles européens.

D'une manière générale, la presse kurde reste aux mains des groupes politiques kurdes. En Turquie, le PKK possède quelques publications majoritairement en turc mais surtout à destination de sa base militante30.

« Jusqu’à la fin des années quatre-vingt, le PKK ne possédait que quelques publications majoritairement en turc, destinées surtout aux militants de l’organisation. Cela ne l’a pas empêché de devenir une force politique au sein de la population kurde. Ce n’est qu’en 1990, avec la création de l’hebdomadaire Yeni Ülke (Le nouveau pays), toujours en langue turque, que le mouvement kurde atteint pour la première fois des lecteurs non-activistes. Pendant longtemps, le PKK a fondé son ancrage social sur la

communication directe, le porte à porte, entre les militants et la population, sans recourir aux moyens de communication de masse31. »

Même chose en Irak :

« Jusqu’au soulèvement de 1991, les “médias“ au Kurdistan irakien étaient des

organisations de propagande politique au service des mouvements de résistance et de la lutte armée. Nécessairement clandestins, ils jouaient un rôle dans l’organisation interne du mouvement. Ils avaient pour but d’informer les militants sur les activités de

résistance et de renforcer leur adhésion. Ces médias avaient également une finalité externe : contrer la publicité développée par le régime de Saddam Hussein. Parmi ces

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médias on peut citer l’exemple de Baray Kurdistani, fondé en 1988 dans les montagnes32. »

2. Montée en puissance des médias kurdes à partir des années 1990

Les années 1990 marquent un tournant pour la cause kurde dans son ensemble, et donc pour le paysage médiatique qui en découle. C'est à cette période que les Kurdes d'Irak construisent leur région autonome et que la lutte du PKK en Turquie s'intensifie. Cette montée en puissance des revendications laisse la place à une presse plus étoffée. Les médias restent cependant intimement liés aux mouvements politiques dont ils dépendent.

En Irak, les Kurdes ont le système politique le plus autonome et le plus abouti. L'autonomie relative de leur territoire vis à vis du reste de l'Irak à partir de 1991 permet de créer un environnement politique propice au développement des journaux et de la télévision.

« Après 1991, tous les partis politiques de la région continuent à avoir leurs propres médias, avec entre autres des chaînes de télévision diffusant localement. En 1992, une loi sur la presse est instaurée. Suite aux élections de mai s’amorce de facto une

bipolarisation progressive des médias dans cette région. La même année, l’UPK lance son quotidien Kurdistani Nwe (Nouveau Kurdistan), et sa chaîne de télévision

Kurdistan People TV. Le PDK de son côté lance la publication de son quotidien Brayati

(Fraternité). D’autres journaux voient le jour comme Harem (Région) en novembre. Quelques intellectuels kurdes, parmi lesquels Bakhtyar Ali, Mariwan Qani’, Aras Fataha, Ismail Hama Amin lancent alors un magazine considéré comme critique, intitulé

Azadi (Liberté)33. »

Avec la guerre civile débutée en 1994 et la séparation de la région en deux parties PDK/UPK, « on observe un renforcement de la bipolarisation déjà existante du champ médiatique, ainsi que la territorialisation Nord/Sud de ces médias34. » Les médias sont donc un pendant quasi organique de

ces partis politiques. Mais d'autres types de médias voient le jour au Kurdistan irakien : « En 1994, les intellectuels de gauche créent le journal hebdomadaire Amro

(Aujourd’hui), considéré comme non-partisan. Ils sont par la suite contraints d’arrêter leurs activités, le ton du journal étant perçu trop critique. Interrogé par RSF, Asos Hardi, président du comité directeur du journal Awene va jusqu’à déclarer qu’’il était juste impossible de publier quelque chose qui n’était pas dans la ligne’. C’est dans ce contexte que Tariq Fatih, alors propriétaire de Ranj Press, créé, au début de l’année 2000, le journal Hawlati. (...) En 2003, la chute du régime de Saddam Hussein marque un tournant de l’histoire politique et des médias kurdes. ‘La censure qui dominait sous Saddam Hussein a disparu, ouvrant une ère de liberté propice à l’émergence

d’innombrables médias’ a déclaré Farhad Awni, président du Syndicat des journalistes35 ».

Au Kurdistan irakien, les médias restent intrinsèquement liés au politique à cette période. Malgré cela, une presse plus « critique », se réclamant « indépendante » voit le jour.

32 Reporters Sans Frontières, « Entre liberté et exactions, le paradoxe des médias au Kurdistan irakien », page 4. 33 Reporters Sans Frontières, « Entre liberté et exactions, le paradoxe des médias au Kurdistan irakien », page 4. 34 Ibid., page 4.

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Parce que le destin politique des Kurdes de Turquie est tout autre, l'histoire de leur presse l’est aussi. Les années 1990 marquent l'entrée de la lutte pour l'autonomie dans une guérilla sanglante. La répression, qui n'est pas nouvelle, engendre des vagues d'émigration vers l'Europe, notamment après le coup d'Etat de 1980. Quand les médias kurdes installés sur le territoire turc ne sont pas attaqués ou interdits, les rédactions déménagent vers l'Europe où elles trouvent des gouvernements locaux plus ou moins prêts à les accueillir.

Le premier journal d'importance, encore très actif aujourd'hui, estÖzgür Gündem (Libre ordre du jour), publié pour la première fois en 1992. C'est le premier quotidien basé à Istanbul (Kurdistan

était publié depuis l'étranger) de l'histoire de la presse kurde. Sa création s'inscrit « dans un contexte de lutte armée36 ». La décision de publier depuis Istanbul et non depuis les terres kurdes n'est pas

anodine selon Akpinar (2007) :

« Dans un premier temps, publier à Istanbul permet de contourner les contraintes de l’état d’urgence qui règnent dans les villes de l’Est et du Sud-Est anatolien. Suite à la décision 430, votée par le Parlement en 1990, la “super-préfecture” a en effet obtenu le droit d’interdire toutes sortes de publications (livres, revues, affiches, films et pièces de théâtre) et, dans les frontières de la région gouvernée par l’état d’urgence, celui

d’interdire la distribution des publications imprimées en dehors de cette région. Dans un second temps, les pratiques coercitives étatiques atteignent le quotidien Özgür Gündem, interdit à Istanbul par la Cour de sûreté de l’Etat qui l’accuse de “propagande

séparatiste”. Une série de nouveaux quotidiens lui succède alors (dont le dernier en date est Ulkede Özgür Gündem). Mais, à Istanbul, dans la nuit du 3 décembre 1994, le siège de l’héritier direct d’Özgür Gündem, Özgür Ulke (Libre pays), est complètement détruit par un plastiquage, ce qui n’empêche toutefois pas sa diffusion le 4 décembre grâce à la solidarité matérielle et humaine des publications de la gauche radicale. Tout au long des années quatre-vingt-dix, des dizaines de travailleurs et diffuseurs de ces quotidiens sont tués37. »

Ces conditions sont très précaires pour le développement de la presse prokurde et la pression exercée par l'Etat ne va pas en diminuant, comme le souligne Akpinar. Dès lors, un mouvement de délocalisation de la presse s'opère vers l'Europe. De là naissent les premiers médias « en exil » qui adoptent une ligne militante plus « dure » encore que celle des premiers :

« La ligne éditoriale des successeurs d’Özgür Gündem, particulièrement celle de

Demokrasi, est de plus en plus considérée par les militants du champ migratoire comme “trop souple”, insuffisamment radicale, d’où la nécessité de créer un quotidien héritier de “la tradition”, imprimé sur le sol européen. En effet, les militants nationalistes pensent que l’Europe offre un champ de manœuvre plus large que la Turquie, permettant en outre une expression plus libre. C’est ainsi qu’en 1995 commence la diffusion, depuis Francfort, d’Özgür Politika (Libre politique)38. »

Cet exil de la presse vient en fait dans un deuxième temps après l'exil de nombreux militants prokurdes après le coup d'Etat de 1980 et le début de la guerre civile en 1984. Les années 1990 sont le moment du départ vers l'Europe pour bon nombre de jeunes kurdes politisés : « L’Europe devient

36 Akpinar, « L’État turc face aux télévisions transfrontières kurdes »., page 91. 37 Ibid., page 91.

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alors un nouvel espace de revendication et de contestation39. »

C'est dans ce nouvel espace qu'est créée la première chaîne de télévision satellitaire et transfrontalière kurde : Med Tv. Son cas a été longuement étudié dans plusieurs ouvrages, notamment ceux de Rigoni, Akpinar et Sheyholislami et tous confirment la même hypothèse : cette chaîne aurait permis de nouer des liens entre les peuples kurdes divisés par les frontières issues des accords post-Première Guerre mondiale. De nombreux commentateurs extérieurs voient dansMed Tv un organe du PKK mais nous n'avons pas été en mesure de le vérifier. Reste que le mouvement de guérilla kurde et la chaîne de télévision véhiculent un message quasi-identique selon les auteurs cités ci-dessus. A travers la langue, la culture, la musique et les informations diffusées, le discours d eMed Tv aurait renforcé le sentiment d'appartenance à un même groupe qui se bat contre un ennemi commun : l'Etat nation oppresseur, qu'il soit turc, irakien, syrien ou iranien.

« De nombreux observateurs ont vu Med Tv comme un cas unique parce que c'était la première chaîne de télévision importante détenue par un peuple sans État et

opprimé 40 ».

Cette chaîne devient un modèle qui sera prolongé aujourd'hui sous d'autres noms (Roj Tv, Med Nuçe,Stêrk Tv...) à cause des interdictions successives des États européens qui l'ont accueillie. Le groupe qui la chapeaute, Med Broadcasting Ltd, « naît à l’automne 1994, de l’initiative d’une vingtaine de Kurdes réfugiés en Europe qui s’inspirent du nom des Mèdes, ancêtres désignés des Kurdes par les nationalistes41 ». Son siège est à Londres, « tandis que, près de Bruxelles, à

Denderleeuw, sont installés les principaux studios de la société de production, Roj NV, qui fournit des programmes : réalisés dans ces studios, ils sont envoyés à Londres qui les transmet au satellite42. »

La croissance de cette chaîne est rapide :

« Trois ans plus tard, Med-Tv triple ses programmes avec, en 1998, dix-huit heures d’émissions par jour pendant la semaine et seize heures par jour durant le week-end. Elles sont diffusées dans trois langues kurdes (kurmanci, sorani, zazaki) aussi bien qu’en turc, arabe et araméen (la langue des Assyro-Chaldéens)43 ».

Au moment de ses recherches (2000), Rigoni précise que « près de 150 personnes travaillent pour la chaîne de télévision kurde, dont certains bénévolement44. »

Le modèle deMed Tv inspire d'ailleurs les Kurdes irakiens, aidés dans leur démarche par la Turquie. Le parti de Massoud Barzani qui a succédé à son père Moustafa, le PDK, collabore avec l'Etat turc pour créerKurdistan Tv en 1998. Mais cette alliance, qui explique d'ailleurs en partie les

39 Ibid., page 90.

40 Sheyholislami, Kurdish Identity, Discourse, and New Media., page 96.

41 Anaïs Rigoni, « Med-TV dans le conflit kurde », Confluences Méditerranée n° spécial "Une nouvelle donne pour les Kurdes, no n°34 (2000), http://www.academia.edu/2401636/Med-TV_dans_le_conflit_kurde, page 45.

42 Akpinar, « L’État turc face aux télévisions transfrontières kurdes »., page 92. 43 Anaïs Rigoni, « Med-TV dans le conflit kurde »., page 45.

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divisions importantes au sein de la communauté kurde, ne dure pas. Elle va et vient au gré des enjeux géopolitiques.

« Après la deuxième guerre du Golfe, les rapports de force dans la région ont changé, et le PDK a désormais des relations tendues avec la Turquie. La télévision du PDK, qui dénonçait jadis Med Tv à l’ITC45 (équivalent du CSA au Royaume-Uni), prépare

dorénavant des émissions spéciales pour dénoncer la répression exercée par l’Etat turc sur Roj Tv. Enfin, outre Kurdistan Tv, deux autres chaînes par satellite, KurdSat et

Zagros Tv, ont leur siège au Nord de l’Irak. De plus, depuis 2006, une autre chaîne par satellite, MMC, qui diffuse essentiellement des clips musicaux, émet depuis

Copenhague. Depuis cette même année, trois autres chaînes, Rojhelat Tv, Komala Tv et

Tishk Tv proches des mouvements politiques kurdes en Iran, ont commencé à émettre depuis l’Europe46. »

Après la suspension de la licence deMed Tv en 1999 par l'ITC juste après l'arrestation d'Abdullah Öcalan,Medya Tv prend la relève depuis la France. Le 30 juillet 1999, une nouvelle chaîne,Medya Tv, commence donc la diffusion de ses émissions depuis la France. Quand elle demande sa licence d'émission, « le CSA47 lui refusa au motif qu’elle succédait àMed Tv.Medya Tv déposa un recours

devant le Conseil d’Etat mais fut déboutée48. » La chaîne diffuse un nouveau discours pendant les

quelques années de sa diffusion (juillet 1999 - février 2004) : celui de l’apaisement après l’arrestation d’Öcalan. Les revendications modérées ne dureront pourtant pas très longtemps. Quand, en 2004, le KADEK (PKK), devenu KONGRA-GEL49, annonce la reprise de la lutte armée,

Roj Tv émerge à la place de Medya Tv. Et la chaîne « correspond à ce nouvel environnement politique50 ».

Cette nouvelle chaîne tiendra peu de temps elle aussi :

« En septembre 2005, Roj Tv a été contrainte de quitter sa fréquence habituelle pour passer sur celle de Mezopotamya Tv. Cette dernière, également licenciée au Danemark, diffusait quatre heures par jour depuis le 19 juillet 2000. Il s’agissait d’une chaîne “en réserve” en cas de fermeture de la télévision principale par satellite51 ».

Entre temps, le climat politique semble s'apaiser en Turquie. Reporters Sans Frontières52 note que

l’usage de la langue kurde dans les médias est autorisé en janvier 2004 et les dernières restrictions en termes de traduction simultanée en turc et d’horaires sont levées en novembre 2009. Cette période d’ouverture pro-kurde initiée par l’AKP n’a pas duré très longtemps et s’est achevée en 2009. Les procès du KCK53 ont ensuite été lancés et ont entrainé l’incarcération de dizaines de

journalistes prokurdes. En décembre 2011, 44 journalistes sont arrêtés et placés en détention

45 ITC (Independent Television Commission) : autorité régulatrice de télévision commerciale au Royaume-Uni de 1991 à 2003

46 Akpinar, « L’État turc face aux télévisions transfrontières kurdes »., page 101.

47 CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) : autorité française de régulation de l'audiovisuel 48 Ibid., page 98.

49 KONGRA-GEL (Kongra Gelê Kurdistan) : Congrès du Peuple du Kurdistan, nouveau nom du PKK depuis 2003, date du renoncement au léninisme.

50 Akpinar, « L’État turc face aux télévisions transfrontières kurdes »., page 98. 51 Ibid., page 98.

52 Reporters Sans Frontières, « Problème kurde : la liberté de l’information fait partie de la solution ».

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provisoire, accusés d’être le « service de presse » de l’organisation de guérilla. Le journaliste Bayram Balci (Özgür Gündem) déclare à RSF en 2013 que, pour eux, « les procès du KCK ressemblent aux pressions orchestrées par Tansu Çiller. La seule différence, c’est que l’emprisonnement a remplacé l’élimination physique ». Après le processus de paix lancé en 2012 entre le PKK et le gouvernement turc, les médias ont pu débattre plus librement de la question kurde. Les poursuites judiciaires étaient plus rares et plusieurs journalistes emprisonnés ont été remis en liberté conditionnelle.

Dernièrement, la situation a empiré pour les médias kurdes avec la reprise du conflit entre l'armée et la guérilla kurde au Sud-Est et en Syrie (Rojava). Plusieurs journaux et télévisions prokurdes ont été interdits au même titre que des médias turcs adoptant un discours critique vis à vis du gouvernement.

L'histoire des médias kurdes au Rojava (Syrie) et en Iran est plus embryonnaire et a été très peu documentée. La répression des Kurdes de ces régions a été féroce : en Syrie, les Kurdes sont des citoyens de seconde zone, peu d'entre eux ont une carte d'identité ou un passeport. En Iran, le projet autonomiste de Mahabad a été réprimé dans le sang et le régime laisse une marge de manœuvre quasiment inexistante aux médias. Cependant, quelques chaînes de télévision, journaux et sites internet en langue kurde existent, à ceci près qu'ils sont étroitement contrôlés par le ministère de la Culture.

« Quand les réformistes étaient au pouvoir, les Kurdes d'Iran réussirent à raviver

certains aspects de leur culture et de leur langue. À la fin des années 1990, une vingtaine de périodiques kurdes ont été publiés en Iran, et dans certains endroits, comme la ville de Mahabad essentiellement peuplée de Kurdes, des cours privés d'apprentissage de la langue kurde étaient dispensés54. »

Après la violente répression des dirigeants de l'éphémère République de Mahabad et la prise de pouvoir des islamistes, la marge de manœuvre est considérablement réduite. Néanmoins, sous l’influence du succès des chaînes satellitaires kurdes gérées par les Kurdes de Turquie depuis l’Europe et d’Irak, les principaux partis kurdes iraniens commencent à lancer les leurs en 200655.

Les informations à ce sujet sont très difficiles à obtenir, Wikipédia dresse une liste de télévisions en langue kurde en Iran avec une large part de télévisions locales. Toutes sont gérées par l'IRIB (Islamic Republic of Iran Broadcasting, Radio-Télévision de la République islamique d'Iran) et produisent également des émissions en persan.

Avec le développement des nouvelles technologies, les Kurdes s'emparent de nouveaux outils dans le prolongement des chaînes satellitaires. Toujours pour aller par-delà les frontières qu'ils contestent, les Kurdes peuvent communiquer grâce à internet et faire entendre leur message à l'étranger. Notamment grâce aux diasporas qui effectuent un travail de sensibilisation des élites

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occidentales. Internet permet de réduire la distance entre les événements au Kurdistan et les lecteurs.

« A l’image du reste du monde, la presse kurde essaie tant bien que mal de maîtriser les nouvelles technologies et de se connecter sur le réseau mondial. Elle bénéficie pour ce faire, de l’appui des bailleurs de fonds internationaux. En moins de cinq ans, le nombre de médias kurdes présents sur le Web a presque été multiplié par vingt. On est ainsi passé d’une dizaine de médias, début 2003, à plus de 800 (journaux, radios et télévisions confondus) début 2009 selon le Syndicat des journalistes d'Erbil56. »

Les médias kurdes ont donc commencé à se développer après les années 1990, moment où les mouvements indépendantistes ou autonomistes ont pris de l'ampleur. La construction du paysage médiatique est donc étroitement liée au contexte politique. Histoire des kurdes et histoire des médias kurdes se superposent, notamment parce que ce sont les mouvements politiques kurdes qui sont presque toujours à l'origine de la création de médias. Nous aborderons ce sujet plus en détail dans un deuxième temps.

C) L'oppression des États, une constante historique pour les Kurdes et

leur presse

Les Kurdes, nous l'avons vu, sont le plus important des peuples sans État. Hormis leur langue et leur culture, un point les rassemble : l'oppression dont ils sont victimes, à différents degrés, de la part des États-nation dans lesquels ils vivent. Cette identité commune est cruciale pour comprendre à la fois l'histoire des Kurdes mais aussi la construction de leur discours médiatique. La posture de victime ou de martyr y joue un rôle de premier plan qu'il convient d'expliquer historiquement. Ce point commun est d'ailleurs assez unique puisque les divisions internes aux Kurdes sont à la fois nombreuses et profondes. Nous verrons ultérieurement quelles sont ces différences.

1. Les politiques d’assimilation menées par l'État turc

La pression exercée par les États sur les communautés kurdes existe à divers degrés dans les quatre pays où ils vivent, et même ailleurs en ce qui concerne la diaspora. Nous nous concentrerons sur le cas turc pour cette partie en tant que point de départ vers une réflexion plus générale.

Nous prendrons pour point de départ le film turcIki dil bir bavul (Sur le chemin de l'école en français). Dans ce documentaire réalisé par Eskiköy et Doğan en 200957, le spectateur suit un jeune

professeur turc qui débute sa carrière dans une petite école primaire située au Sud-Est du pays, dans la province de Şanliurfa. Dans un village kurde très pauvre et rural, les enfants parlent uniquement le kurde (dialecte kurmanci) et ce professeur doit donc leur apprendre le turc et les valeurs

56 Zubeida Abdulkhaliq, « La construction de l’identité nationale kurde dans la presse, au Kurdistan d’Irak, de 1991 à 2010 » (Thèse de doctorat - sociologie, EHESS, 2014), page 225.

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nationalistes turques qui sont inculquées à tous les écoliers du pays. Il prend donc part à un processus d'assimilation des populations kurdes via l'éducation. Il apprend par exemple aux enfants le poème nationaliste «Öğrenci andı ya da Andımız», assez emblématique du « soft-power » turc à l'égard des Kurdes. Ce poème, écrit en 1933, sera récité par tous les écoliers chaque matin jusqu'en 2013.

« Je suis Turc, je suis droit et travailleur, ma loi est de protéger les plus faibles, de respecter les plus grands, d'aimer mon pays, ma nation plus que moi-même. Mon but est de faire des efforts pour m'élever sans cesse. Je voue mon existence à la Turquie, ma patrie. Je promets au grand Atatürk qui nous a permis d'être là de suivre la voie qu'il nous a tracée, d'atteindre le but qu'il nous a fixé sans jamais faillir. Heureux celui qui peut dire : Je suis Turc.58 »

Les élèves récitent par ailleurs l'hymne national deux fois par semaine. Les Kurdes étaient par ailleurs qualifiés de « Turcs des montagnes », expression dégradante niant leur spécificité culturelle. Au-delà de cette assimilation « douce », des politiques plus violentes ont été mises en place dès la fondation de la République par Mustafa Kemal Atatürk. Plusieurs villages ont été entièrement détruits et des milliers de personnes forcées au déménagement vers l'Ouest.

« Si un des moyens d'assimiler une population est de diffuser en son sein la culture et la langue d'État, en Turquie, la modification du peuplement a été aussi clairement

envisagée comme outil d'assimilation. Ainsi, les premiers articles du plan de réforme de l'Est concernent le peuplement. La République, dans ses premières années, a proposé l'installation, en région kurde, de réfugiés turcs (muhacir) et la déportation de familles ou tribus rebelles59. »

Quand les affrontements entre l'armée et le PKK font rage dans une région donnée, les populations sont souvent chassées de leur village sous prétexte qu'elles soutiennent les « terroristes ». Les villages sont détruits mais aussi les moyens de subsistance des populations : bétail, cultures et greniers. Les champs sont minés et le retour ultérieur devient donc impossible. Ce processus se poursuivra avec le développement de l'industrie et la mécanisation de l'agriculture. Les Kurdes partent vers les grandes villes de l’Ouest pour trouver du travail, là où les usines demandeuses de main d'œuvre peu qualifiée s'implantent.

A Dersim (actuelle province de Tunceli), entre 30 000 et 50 000 Zazas60, majoritairement de

confession alévie61, sont massacrés en 1937-1938. Cette région, haut lieu de résistance, devient le

symbole de l'oppression turque sur le peuple kurde. Ces exactions seront décrites par plusieurs

58 Gaye Salom Petek, « L’enfant turc à l’école », Blog, Bleu Blanc Turc, (21 mai 1997),

www.bleublancturc.com/Franco-Turcs/enfantturc.htm

59 Clémence Scalbert-Yücel, « Le peuplement du Kurdistan bouleversé et complexifié : de l’assimilation à la colonisation », L’Information géographique 71, no 1 (1 juin 2007): 63-86, page 67-68

60 Sous-groupe linguistique kurde : les Zazas parlent le zazaki et sont majoritairement alévis, ils vivent à l'Est de la Turquie.

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historiens comme des massacres, voire des génocides62.

À ces discriminations et massacres s'ajoutent, en toile de fond, une humiliation permanente via le dénigrement de la culture kurde. Nous l'avons dit, les Kurdes sont souvent qualifiés en Turquie de « Turcs des montagnes ». Leur image est celle d'un peuple ignorant, pauvre et très traditionnel. Plusieurs jeunes kurdes interrogés nous ont rapporté cette image peu flatteuse en ces termes :

« Certains Turcs pensent que les Kurdes ne paient pas leurs impôts et leurs factures à l'Etat, qu'ils ne vont pas à l'école, qu'ils ne respectent pas l’égalité femme/homme, que les hommes sont mariés avec plusieurs femmes, qu'ils sont très fermés entre eux et très conservateurs. Ils pensent qu'ils s'habillent mal, qu'ils font tous les boulots

non-qualifiés, que ce sont l'équivalent des “beaufs“ en France. Ils ont par exemple un style de musique qui mélange le rap et l'arabesque et les Turcs se moquent de cette

musique63. »

Le discours officiel turc « pendant des décennies, a prétendu que la langue kurde n’existait pas, ou que cette langue ne comportait que “cinq cent mots“, ou encore qu’elle n’était qu’une déviation du turc ou du persan64» ajoute Akpinar. La culture kurde est donc méprisée par une partie importante

de la société turque, alors même que les Kurdes représentent entre 18 et 20% de la population totale du pays.

Dernier fait marquant permettant d'illustrer le climat de rejet de la culture kurde : la répression des festivités du Newroz, le nouvel an kurde. Cette célébration païenne du printemps autour du 21 mars a longtemps été interdite en Turquie avant d’être légalisée à la fin des années 1990. Mais cette légalisation s’est accompagnée d’une récupération du symbole par les autorités turques avec, même, une nouvelle idéologie. Même si le Newroz « muté » crée par les autorités ne s'est jamais installé dans les mœurs, il traduit bien la volonté de l’Etat turc : gommer les aspérités entre Turcs et Kurdes afin d’empêcher le renforcement de l’identité kurde et donc la constitution de mouvements politiques puissants.

L'exemple des Kurdes de Turquie, sans être absolument représentatif de ce qu'il s'est passé en Iran, Irak ou Syrie, nous montre cette volonté de réprimer la culture kurde pour éviter le développement d'un sentiment nationaliste et indépendantiste. Ce phénomène est le même pour les médias : à des époques et à des degrés différents, les médias kurdes dans leur ensemble ont subi les foudres des États. Notons cependant que les problématiques de liberté de la presse au Kurdistan irakien sont très différentes puisque la répression est exercée par l'Etat, certes, mais il est lui-même kurde.

62 Guillaume Perrier, « Dersim: la Turquie sur le chemin de la repentance », Au fil du Bosphore - Lemonde.fr, 29 novembre 2011, http://istanbul.blog.lemonde.fr/2011/11/29/dersim-la-turquie-sur-le-chemin-de-la-repentance. sur le blog Au fil du Bosphore.

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2. Les médias kurdes interdits, perquisitionnés : journalistes tués, en

prison ou en exil

Nous étudierons donc dans cette partie les faits marquants de l'histoire récente en termes d'atteintes à la liberté de la presse et, plus généralement, des agressions subies par les journalistes kurdes. Les médias kurdes sont divisés, à l'image des organisations politiques de la région. Dès lors, la situation n'est pas du tout la même entre, d'un côté, la région autonome en Irak et les régions kurdes d'Iran, de Syrie et de Turquie.

Aussi, les lieux de répression de la presse kurde ne se limitent pas aux régions kurdes mais s'étendent en Europe où la diaspora est très présente et où nombre de médias se sont installés pour échapper à la censure. Ce qui n'a que rarement fonctionné.

Tout d'abord, les Kurdes de Turquie, qui sont les plus nombreux (représentent environ la moitié des Kurdes), ont vu leurs médias menacés dès leur création. En septembre 1992, le grand intellectuel kurde et chroniqueur d'Özgür Gündem, Musa Anter, est assassiné lors d'un attentat à Diyarbakir. Le rôle de l'Etat dans ce meurtre est rapidement mis à jour : « Dès 1998, l’Etat avait reconnu dans le “rapport Susurluk” son implication dans le meurtre de Musa Anter et exprimé des regrets65 ».

Survient ensuite, en décembre 1994, un attentat contre le siège d’Özgür Ulke (héritier d’Özgür Gündem) déjà évoqué dans la partie précédente.

La télévision satellitaire exilée en Europe n'est pas protégée pour autant. Le gouvernement turc fait jouer son influence pour obtenir leur fermeture :

« Plusieurs épisodes dévoilent les heurts entre Med-Tv et l’État turc. En Turquie, seuls certains programmes sont brouillés, tandis que l’Etat turc tente de sensibiliser les Etats occidentaux à la fermeture de la chaîne kurde66 ».

Les studios de production de la chaîne, basés à Denderleeuw67, sont perquisitionnés par la police

belge le 18 septembre 1996 ainsi que le siège du Parlement kurde en exil à Bruxelles. « La Belgique, qui héberge les principaux studios de la société de production Roj NV, devient une autre cible de la diplomatie turque. En juillet 1996, Willy Deridder, commandant en chef de la gendarmerie, se rend en Turquie et signe un accord de coopération policière avec Alaaddin Yüksel, directeur général de la Sûreté. Le 18 septembre 1996, les studios de Med Tv à Denderleeuw et le siège du Parlement kurde en exil à Bruxelles sont perquisitionnés par plus de deux cent gendarmes dans le cadre de l’opération Spoutnik. Les studios de la chaîne sont mis sous scellés, vingt-et-un de ses employés placés en garde-à-vue, et l’entrée aux archives d’images est interdite, ce qui a perturbé pendant un moment la diffusion de la chaîne. L’opération Spoutnik s’est étendue simultanément aux bureaux de la Med Tv en Allemagne et en Angleterre. La raison officielle de l’opération était le blanchiment de l’argent au travers du racket, du trafic de la drogue et de la traite des êtres humains. Treize millions de marks allemands et cinq millions de francs suisses appartenant à la télévision ont été bloqués dans une banque du Luxembourg. Des pierres issues d’une collection de diamants et de saphirs,

65 Reporters Sans Frontières, « Problème kurde : la liberté de l’information fait partie de la solution »., page 4. 66 Anaïs Rigoni, « Med-TV dans le conflit kurde »., page 48.

Referensi

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