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2.1. L’altérité et la condition subalterne

2.1.1. Le cas d’Aux Etats-Unis d’Afrique

Dans Aux Etats-Unis d’Afrique les Euraméricains qui immigrent vers l’Afrique subissent une transformation et le changement d’identité. Il s’agit d’un récit qui étale le sort de nombreux immigrés euraméricains qui traversent les frontières pour atteindre l’Afrique afin d’y trouver des opportunités. Maya et un autre immigré du nom de Yacouba, représentent ces Euraméricains dans l’œuvre. Ce sont deux personnages qui ont eu des possibilités différentes émanant de leur migration en Afrique. Sayad (2007, 76) montre les problèmes auxquels font face tout immigré, une fois arrivé dans le pays d’accueil. Pour être acceptés et bien intégrés dans la nouvelle société, il est attendu que les migrants offrent quelque chose de valeur à la société, sinon ils ne sont pas accueillis de bonne foi :

What do immigrants cost and what do they bring in? This question seems to run through all that can be said about the presence of immigrants, rather as though it were contained within the implicit definition of immigration. Immigration is

meaningful, and intelligible to the political understanding, only if it is a source of ‘benefits’ or, at the very least, only if the

‘costs’ imputable to it do not outweigh the ‘benefits’ it may procure.

Aux Etats-Unis d’Afrique se conforme aux assertions de Sayad, car il est noté que les immigrés qui ajoutent de la valeur à la société, sont plus facilement acceptés et intégrés, que ceux qui n’ajoutent rien. Tout au début du roman Aux Etats-Unis d’Afrique Waberi présente Yacouba, l’immigré suisse arrivé en Afrique afin d’améliorer sa situation, mais qui demeure dans la misère dans ce continent où il avait espéré trouver le bonheur. Yacouba et d’autres immigrés euraméricains qui arrivent en Afrique se retrouvent dans une condition d’altérité. C’est une situation que Bhabha (2007, 61) décrit comme la « présence de l’autre ». Les immigrés euraméricains dans le roman constatent qu’ils ne sont pas égaux aux Africains et qu’ils sont toujours traités comme « l’Autre ». La situation d’indigence de Yacouba est présentée dans l’incipit : « Il est là, fourbu. Silencieux. La lueur mouvante d’une bougie éclaire chichement la chambre du charpentier, dans ce foyer pour travailleurs immigrés. Ce Caucasien d’ethnie suisse parle un patois allemand et prétend qu’il a fui la violence et la famine à l’ère du jet et du net » (AEUA 11). C’est une description avilissante qui refuse de reconnaître le statut social et linguistique de la personne. La langue de Yacouba est même réduite à un patois. Cela signifie son infériorité aux langues parlées par les africains. Fanon (2003, 14) remarque qu’« il y a dans la possession du langage une extraordinaire puissance » et que « tout peuple colonisé – c’est-à- dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d’infériorité, du fait de la mise au tombeau de l’originalité culturelle locale – se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c’est-à-dire de la culture métropolitaine ». Yacouba dans son infériorité se trouve situé dans cette condition sur le continent africain.

D’après cet incipit, il est noté que certains migrants éprouvent des difficultés après la migration vers l’Afrique.

Yacouba représente la masse des immigrés qui arrivent aux États-Unis d’Afrique afin d’améliorer le niveau de vie, mais qui au contraire vit dans des conditions difficiles. Ces immigrés sont décrits comme « des millions de réfugiés caucasiens d’ethnies diverses et variées (autrichienne, canadienne, américaine, norvégienne, belge, bulgare, britannique, islandaise, portugaise, hongroise, suédoise…) » (AEUA 12). Bref, ils représentent tous les pays occidentaux pauvres d’où l’appellation « Euraméricains ». L’analyse du roman révèle le « regroupement » des Euraméricains en tant qu’« émigrés » ou « réfugiés » dans des différents lieux sous des conditions variées. Pour Yacouba et autres immigrés, leur regroupement était dans « les ghettos » d’Asmara (Bhabha 2007, 223). Yacouba voit sa vie qui se défaire sans qu’il puisse faire quelque chose pour l’arrêter. En Afrique, il trouve des Africains trop imbus d’eux-mêmes et qui considèrent tout étranger avec des yeux soupçonneux et avec dégoût.

De plus, Yacouba n’est pas son vrai nom, mais on l’appelle ainsi « primo pour préserver son identité, deusio parce qu’il a un patronyme à coucher dehors » (AEUA 11). Simplement, Yacouba est une non-entité qu’il n’est pas vraiment nécessaire d’appeler par son nom. Selon Thésée et Carr (2014, 316) les cultures dominantes ont tendance à « la fabrication de l’Autre ». Cette fabrication de l’Autre leur permet de rendre possible « la confiscation des identités, des cultures, des imaginaires et des voix de l’Autre » (ibid. 316).

Yacouba est une des personnes privées d’identité, de culture et de voix. C’est une personne qui vient d’un milieu pauvre, « il est né dans une insalubre favela des environs de Zurich, où la mortalité infantile et le taux de la prévalence du virus du sida – un mal apparu, il y a bientôt deux décennies dans les milieux interlopes de la prostitution, de la drogue et du stupre en Grèce, et devenu une endémie universelle » (AEUA 11). C’est une sorte de discours que selon Mbembe (2000, iv) « finit par produire une notion perverse de la différence [et de l’altérité] comme alibi destiné à légitimer sa domination ».

Beaucoup d’immigrés euraméricains arrivent à la recherche d’opportunités dans la fédération africaine. Ce type de migration est une vraie « dispersion des gens » selon la description de Bhabha (2007, 223). Il y a par exemple « des petits écoliers français, bataves ou luxembourgeois malmenés par le [sic] kwashiorkor, la lèpre, le glaucome et la poliomyélite [qui] ne survivent qu’avec les surplus alimentaires des fermiers vietnamiens, nord-coréens ou éthiopiens » (AEUA 12). Bhabha (1997, 431-432) décrit cette situation comme

« le jargon des minorités ». C’est-à-dire que le monde a tendance à créer un jargon particulier pour des minorités considérées comme « Autres » dans la société. Il explique qu’il y a « a certain ambivalence […]

about the prodigious production of discourses of "othering" that, in their turn, have given rise to formulations of affiliative alterity ». Cette altérité amène l’oppression de ces minorités. Les Africains et les autres pays comme le Vietnam et la Corée du Nord fournissent l’aide humanitaire mentionnée, aux Euraméricains pauvres qui arrivent sur le continent, mais ce n’est pas de bon cœur car ces immigrés sont ressentis comme une gêne qu’ils ne peuvent plus supporter.

Ils sont décrits avec des termes dérogatoires tels que « des boat people squelettiques [sic] de la Méditerranée septentrionale qui n’en peuvent plus de zigzaguer devant les mortiers et les missiles enténébrant les infortunées terres d’Euramérique » et des « pauvres diables [qui] sont en quête du pain, du lait, du riz ou de la farine distribués par des organisations caritatives afghanes, haïtiennes, laotiennes ou sahéliennes » (AEUA 12). Cette description démontre le jargon des minorités dont parle Bhabha. Les pays de l’Euramérique sont ravagés par diverses maladies, la famine, la pauvreté générale, ainsi que les guerres civiles et ethniques. Ces problèmes forcent les citoyens euraméricains à abandonner leur pays pour faire des

traversés difficiles à la recherche d’opportunités en Afrique. Les États-Unis d’Afrique est une fédération de pays prospères qui a fait des progrès dans les secteurs de la culture et de l’éducation, mais aussi dans les sciences. Aux États-Unis d’Afrique, il existe de grandes universités renommées telles que « l’université Langston Hughes de Harar » ou « l’université de Gao » (AEUA 16 & 17).

Les professeurs des universités se préoccupent aussi des problèmes de la migration euraméricaine et par exemple « le doyen Mamadou Diouf de l’université de Gao » avait exposé le problème en publiant « un pamphlet resté célèbre (Les Frontières invisibles ou le défi de l’immigration de l’Alaska, Kigali, University Press of Rwanda/Free Press, 1994, 820 pages, 35 guinées) » (AEUA 17). Les Africains connaissent aussi la prospérité aux niveaux politique, social et économique. Tandis qu’il y a des guerres civiles dans les pays comme la France et « la dictature corrompue [en] Nouvelle-Zélande », [au moment où] la fédération africaine elle, connaît la paix et la démocratie sous la direction de « notre actuel président Nelson Mandela et son vice-président Areski Babel, l’un et l’autre tout juste remarquables pour leurs chemises chatoyantes, dessinées par le couturier Pathé Ndiaye lui-même » (AEUA 16 & 30). La richesse du continent africain, opposée à la pauvreté, la famine, les maladies inguérissables et les guerres civiles dans les pays occidentaux, force les Euraméricains à quitter leurs pays, non par choix, mais parce qu’ils y sont tenus par les circonstances. Ils rencontrent la discrimination de la part des Africains et ils ne peuvent pas accéder aux mêmes opportunités disponibles aux citoyens des États-Unis d’Afrique. Ce sont des gens qui sont exclus de la société. D’autres sont si pauvres qu’il y a « des prostitués de tout sexe, monégasques et vaticanesques » (AEUA 12). Yacouba est même décrit comme un « quidam, pauvre comme Job, [qui] n’a jamais vu la couleur d’un savon, n’imagine pas la saveur d’un yaourt, ne soupçonne point la douceur d’une salade de fruits » (AEUA 13).

Même les grandes universités et institutions comme « la Kenyatta School of European and American Studies

» qui se spécialisent dans « l’africanisation », « soutien[nent] que les Etats-Unis d’Afrique ne peuvent plus accueillir toute la misère de la Terre » (AEUA 15). Selon Apter (1994, 31) le discours est souvent utilisé par des pouvoirs dominant en tant qu’outil hégémonique. De plus, « le discours [permet] de distinguer les indigènes, des étrangers » (ibid. 31). Les universités et autres institutions d’éducation font partie du discours hégémonique. Où la fédération utilise la force contre les immigrés, les universités, s’implique dans l’enjeux en déployant ce que Saint-Gilles (2009, 97-98) appelle « « le pouvoir doux » qui consiste à obtenir par la persuasion séductrice résultats que l’on pourrait aussi atteindre par force ». La « Kenyatta School of European and American Studies » est comparable aux maintes institutions dans des pays occidentaux qui

s’engagent dans des études orientales et africaines. Dans le contexte du roman, « l’africanisation » représente une valeur supérieure que les immigrés euraméricains, dévisagés en tant que « l’Autre », devaient assimiler. L’analyse du roman démontre que les immigrés sont dévisagés comme une masse indistincte et en conséquence, ils sont socialement ostracisés. Il n’y a pas de distinction entre ceux qui ont de bonnes intentions et qui viennent en Afrique pour des raisons authentiques et ceux qui sont perfides et de mauvaise foi. Ainsi, le concept de « l’africanisation » tient que « les forces fédérales doivent prendre leurs responsabilités avec fermeté, mais non sans humanité, en reconduisant à la frontière, sous la contrainte si cela s’avère nécessaire, tous les ressortissants étrangers d’abord illégaux, puis semi-légaux, enfin para- légaux et ainsi de suite » (AEUA 15). Cette africanisation s’avère d’un concept hégémonique qui renforce l’itération entre les Africains et les immigrés.

Les immigrés sont toujours surveillés avec suspicion, tel Yacouba dont « les caméras de longues portées enregistrent tous ses faits et gestes » (AEUA 18). Avec ce type de surveillance, les immigrés sont désignés de tous les stéréotypes, et on dit qu’ils « propagent leur natalité galopante, leur suie millénaire, leur manquent d’ambition, leurs religions rétrogrades comme le protestantisme, le judaïsme ou le catholicisme, leur machisme ancestral, leurs maladies endémiques. En un mot, ils introduisent le tiers-monde directement dans l’anus des Etats-Unis d’Afrique » (AEUA 18-19). La fédération africaine promulgue la vision du monde divisé en classe sociale, où elle occupe la position supérieure et les immigrés occidentaux ne sont qu’au troisième rang de la société. Il s’agit de ce que Fanon (2003, 36), dénomme une « véritable conception manichéiste du monde […] Blanc ou Noir, telle est la question ». Sauf que dans cet instant, c’est le Noir qui occupe la position privilégiée. Il est certain que toute cette haine envers les migrants ressort de la peur chez des Africains pour tout ce qui est étranger, moins connu et donc déstabilisateur du statuquo.

Malgré ses efforts de venir en Afrique afin d’améliorer sa condition de vie, Yacouba reste sans succès et finit par mourir dans les rues de Djibouti. Sa quête pour la survie, qu’elle soit économique, politique ou socio- culturel, n’a abouti à rien. Yacouba représente la masse des Euraméricains pour lesquels la migration ne se traduit pas dans un gain de pouvoir ou de possibilités. Ce sont des subalternes, partout où ils se trouvent.

La migration euraméricaine est considérée par la majorité des Africains comme une crise migratoire qui apporte les problèmes des pays occidentaux en Afrique, au lieu d’y apporter des bénéfices. Ainsi, l’intégration des Euraméricains devient problématique dans cette société qui rejette le multiculturalisme et préfère garder son homogénéité ethnique. Les Africains s’avèrent intolérants au pluralisme culturel et ils élisent de rester parmi eux-mêmes. À cause de tout cela, les immigrés ne restent que « les ouvriers caucasiens [qui]

retournent les champs d’igname en cadence. Tous dans la gadoue », après les pluies (AEUA 38). Le résultat est qu’au lieu du succès et de l’autonomisation qu’ils cherchaient en se déplaçant vers l’Afrique, ils ne connaissent que la mobilité vers le bas dans leurs vies quotidiennes.